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Architecture et droit d’auteur : des abus au Grand-Duché ?


En cas d'atteinte au droit d'auteur, la loi luxembourgeoise prévoit des amendes allant de 251 à 250 000 euros. (Photo : Archives LQ)

Récemment, le photographe Paulo Lobo s’est vu interdire de prendre en photo un bâtiment au Kirchberg.

Le journaliste et photographe Paulo Lobo est membre du collectif Street Photography Luxembourg (SPL). C’était fin mars. Paulo Lobo se promenait au Kirchberg, «l’appareil photo en main, bien sûr», ne se doutant de rien, s’amusant à «choper ici ou là une situation, un coureur, un cycliste, des juxtapositions d’humains et d’éléments urbains, des contrastes et des petits riens», comme il s’en souviendra ultérieurement dans un post sur Facebook. Histoire d’aguerrir l’œil, fidèle à la devise : si ta photo n’est pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près.

Alors, poursuit Paulo Lobo, «forcément, de temps en temps, il y a un peu de bâtiment en arrière-plan, parfois un peu plus, parfois un peu moins», en l’occurrence «un petit bout de Coque» (le Centre national sportif et culturel). Mais à peine avait-il capté l’instant qu’un agent de la sécurité avait surgi pour lui signifier «gentiment» qu’il n’avait pas le droit de photographier le bâtiment en question.

L’anecdote paraît cocasse, surtout à l’époque du smartphone et face au nombre de touristes que le Luxembourg draine chaque année. Pourtant, en 2013 déjà, un photographe avait connu le même sort que Paulo Lobo en s’aventurant du côté de la Banque européenne d’investissement (BEI). À l’époque, il avait fustigé sur son blog «une interdiction d’autant plus agaçante qu’elle n’a d’autre finalité que de permettre à l’institution concernée de manifester symboliquement l’intérêt qu’elle porte à une menace». Or ce n’est pas le risque de menace terroriste qui est à la base de l’interdiction de photographier, défendue par les vigiles du Kirchberg sur instruction de leurs patrons. C’est le droit d’auteur de l’architecte.

Liberté de panorama

Au Luxembourg, la transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur a été «plus restrictive» qu’ailleurs, confirme Jean-Luc Putz, juge au tribunal d’arrondissement de Luxembourg et spécialiste du droit d’auteur. Autrement dit, en disposant qu’un auteur ne peut interdire une reproduction ou une communication de son œuvre si l’œuvre en question ne constitue pas «le sujet principal de la reproduction ou de la communication», la loi luxembourgeoise ne contribue pas précisément à limiter le «besoin de se faire valoir de certains vigiles», ironise le magistrat. D’autant plus que la loi concerne en premier lieu les photographes professionnels et représentants des médias, donc la reproduction à des fins commerciales.

En 2013, l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI) avait d’ailleurs organisé une rencontre spécialement dédiée au sujet, dans le but de promouvoir «une meilleure communication entre la presse et les médias et le monde de l’architecture et de l’ingénierie». Dans un dossier de presse de 2009, l’OAI énumérait trois exceptions au droit d’auteur : le cas, déjà mentionné, où l’œuvre n’est pas le sujet principal. Celui où la photographie est destinée à un usage privé et enfin le cas où le nom de l’architecte est clairement indiqué sur la photo.

Paulo Lobo serait plutôt favorable à l’introduction de la «liberté de panorama» (de l’allemand Panoramafreiheit), une exception au droit d’auteur qui «n’existe pas encore au Luxembourg», comme nous l’a précisé le photographe (*). Que désigne le concept de liberté de panorama? Simplement qu’il est permis de reproduire une œuvre protégée si celle-ci se trouve dans l’espace public. «Les Allemands se sont donné la peine de réglementer cela», constate Paulo Lobo, qui n’oublie pas les critères retenus, dont celui de ne pas se situer sur un terrain privé : «Idem si tu te sers d’un outil comme d’une échelle pour faire une photo par-dessus une haie, un obstacle.» Là non plus, la liberté de panorama ne peut pas être invoquée.

Et les architectes, qu’en pensent-ils de tout cela? «C’est avant tout une question de théorie culturelle», nous confie l’un deux, membre d’un grand cabinet de la capitale. «Ou vous vous prenez pour un génie, ou vous acceptez qu’une œuvre ne provient pas de nulle part et qu’elle est toujours d’une certaine manière le résultat d’une copie», ajoute-t-il.

Frédéric Braun

(*) Dans une version précédente de cet article, nous écrivions que le cadre des exceptions au droit d’auteur défini par l‘OAI n’était «pas suffisant aux yeux de Paulo Lobo», laissant penser que le photographe critiquerait l’OAI sur ce point, quand en réalité et face au Quotidien Paulo Lobo n’a jamais évoqué l’OAI, mais seulement le concept de  liberté de panorama. Le lien avec l’OAI a été établi par l’auteur de cet article.

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