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Becca : « Je veux sauver l’honneur du football luxembourgeois »


Flavio Becca, le financier du F91 de Dudelange, se confie au Quotidien dans un interview fleuve. Ça déménage ! (Photo : Jean-Claude Ernst / 2017)

À 48 heures du match le plus attendu de l’année, Dudelange-Milan AC, Flavio Becca nous a reçu pendant près de deux heures dans ses bureaux de Howald. Pour parler de tout et jamais de rien.

Vous vivez comment, ces derniers jours?
Flavio Becca, financier du F91 : Bien. Aujourd’hui et les jours d’avant étaient des journées comme toutes les autres. Sauf que les gens n’arrêtent pas de m’appeler parce qu’ils veulent des tickets. Mais je ne suis pas imprimeur, moi! Des tickets, je n’en ai pas.
Au F91, les dirigeants et les bénévoles courent dans tous les sens. Et vous?
Moi, je n’interviens que s’il y a un vrai problème. Et je me suis aussi occupé du « catering », pour le standing de l’évènement.
Si on vous avait dit ça, il y a 20 ans, quand vous êtes arrivé comme sponsor du F91…
C’est effectivement en 1998 que Damon Damiani était venu me chercher pour donner un coup de main. J’étais venu à une condition : je ne voulais rien savoir de la gestion. Et lui, après quelques mois, vient me voir parce qu’il veut « monter une bonne équipe » et « comme tu avais dit : gagner le championnat ». Bon, j’ai commencé à voir Paul Koch, Nico Funck, Marc Thomé… Je les ai convaincus les uns après les autres. Et en 1999, on était lancés. Bon, c’est juste dommage que je sois resté fâché sept ans avec Damon parce qu’il m’avait dit que ce serait fini entre nous deux si je prenais Carlo Weis comme entraîneur…
Donc le F91, c’est juste parce qu’on vous a gentiment demandé?
C’est vrai qu’on ne m’a jamais posé la question, tiens! Mais vous vouliez que j’aille où, de toute façon? Mes parents étaient de Dudelange et puis la Jeunesse avait déjà gagné tous les titres.

Quand tu commences un projet comme ça, tu te mets des objectifs. Sinon ça sert à quoi?

Et? Ce n’était pas assez marrant?
Disons que c’était plus excitant. Moi j’aime les défis et aussi quand c’est serré. C’est pour ça que je suis entré en Moto3, parce que c’est un championnat très serré. C’est pour ça aussi que je me suis lancé en cyclisme, pour montrer aux gens comment ça se passe. Quand tu commences un projet comme ça, tu te mets des objectifs. Sinon, ça sert à quoi? Il faut avoir une vision, s’impliquer dedans. C’est comme ça que je vois les choses et grâce à ça que je sors de tous mes projets sportifs la tête haute.
La question, derrière tout ça, c’était : pensiez-vous, il y a 20 ans, qu’un club luxembourgeois, le vôtre en l’occurrence, parviendrait en phase de poules de l’Europa League?
Mais toutes les années on n’était pas loin. Mais en tant que club luxembourgeois, l’arbitrage nous a rarement été favorable. Pourquoi tu ferais une petite équipe comme ça, avec un stade qui fait que tu dois commencer tes matches à 17 h 30 parce que si jamais tu dois jouer des prolongations, il faut les jouer le lendemain. Tout ça parce que le câblage électrique est trop faible pour bien éclairer.
Cette phase de groupes au stade Josy-Barthel, comment l’abordez-vous?
Ce n’est pas pour me vanter mais avec les 20-25 joueurs qu’on a, il suffirait d’avoir un championnat national avec beaucoup plus de qualité pour être compétitif à un tel niveau international.
Le Milan AC, ça ne vous fait pas peur?
Moi? Je n’ai peur de rien, même pas de la mort! Même pas du diable! Alors le Milan AC! Moi, je veux sauver l’honneur du football luxembourgeois et ramener quelques points mais si je décidais tout seul des joueurs qui nous rejoignent, ce serait plus facile (il rit). On aurait ce qu’il faut pour faire face.

Patrick Cutrone est l'un des attaquants en forme du Milan (Photo : AFP).

Patrick Cutrone est l’un des attaquants en forme du Milan (Photo : AFP).

Je n’ai peur de rien, même pas de la mort! Même pas du diable! Alors le Milan AC!

Au 3e tour, contre le Legia Varsovie, on vous a vu descendre furieux des gradins alors que votre équipe venait de s’imposer 1-2 chez le champion de Pologne, et vous engouffrer dans les vestiaires…
Mais c’était réfléchi! Pas impulsif! Même si j’ai attrapé par la cravate un émissaire de l’UEFA qui voulait m’empêcher d’entrer parce que je n’avais pas le bon pass. Les joueurs, je les ai secoués! Je leur ai dit : « C’est le moment! C’est là! Les gars en face, ils sont cuits! » Ce jour-là, les anciens de l’équipe ont expliqué aux nouveaux : « Ce gars-là, prenez-le au sérieux. »
Mais, vous n’avez pas eu, quand même un peu, envie de leur faire un compliment?
Un compliment? C’est quoi un compliment? Mon père ne m’en a jamais fait, à moi, des compliments. Si, dans mon dos, aux autres personnes. Je vais vous raconter un truc sur mon père, qui était entrepreneur. Quand j’ai eu fini mes études, je suis allé le voir pour lui annoncer que j’allais aller travailler dans une autre boîte. Il m’a dit « non, tu viens travailler chez moi ». Moi, je ne voulais pas et c’est ma mère qui a fini par me dire « arrête, il faut que tu bosses chez ton père ». Et un jour, je rentre à la maison et il y a le notaire, mes parents et on me fait asseoir à table. J’avais 22 ans. Mon père me dit « signe ce papier ». Je lui dis « non, pas sans savoir ce que c’est ». Il tape sur la table et me demande si je ne lui fais pas confiance. Je lui dis que si et je finis par signer. Il prend le papier et me dit « Voilà, tu n’es plus mon employé. Maintenant, toi et moi, on est associés à 50-50 ». Voilà, c’est comme ça qu’il m’a jeté dans le bain!

Les athlètes, il faut les brusquer

C’est de là que vous viens cette façon de traiter avec les gens et cet amour du coaching mental?
Ah oui, le coaching mental, j’aime énormément ça. Et les athlètes, il faut les brusquer. Mais je manque de temps pour le faire. Par contre, le sport, le business, le privé, il faut faire la part des choses. 99 % des gens ne sont pas capables de le faire. Les gens ont des a priori sur moi, mais je ne suis pas quelqu’un de rancunier.
Pas même avec tout ce qui vous tombe sur le coin du nez ces derniers temps? Entre la défiance du Progrès et du Fola qui s’inquiètent de l’éthique quand vous prêtez vos joueurs à des clubs triés sur le volet, ou quand les statuts de la FLF contrarient vos envies de transferts ou autres?
Non mais attendez, avec Paul Philipp, on regarde en arrière en direction de 1960, pas vers le futur et 2020!
Parce que ça n’arrange pas le F91. Mais concrètement, vous avez toujours eu une certaine défiance envers la presse et c’est en train de changer. Vous avez décidé de vous impliquer un peu plus à l’échelle nationale, d’exprimer plus haut vos opinions, ou on se trompe?
Je me suis rendu compte que j’étais beaucoup trop en retrait. Contrairement à un Gérard Lopes (NDLR : l’ancien président du Fola Esch) par exemple, qui dit beaucoup de contre-vérités selon moi. Et puis en 2011, on m’a piégé avec ces perquisitions (NDLR : relatives à des dossiers immobiliers touchant au Ban de Gasperich et Livange) visant à faire tomber Juncker. Maintenant, vis-à-vis des politiciens, de la FLF, je dis ce que je pense.

Dino ferait mieux de rester encore avec nous une saison

(Photo: Jeff Lahr)

(Photo: Jeff Lahr)

Dites-nous voir un peu, pour revenir au sportif, ce que vous pensez de votre entraîneur. Vous faudra-t-il bientôt lui trouver un remplaçant vu la réussite qui est la sienne?
Il a la tête dure. Son père (NDLR : l’ancien entraîneur du Bayer Leverkusen finaliste de la Ligue des champions, Klaus Toppmöller) peut bien essayer de lui dire quelque chose, il ne bougera pas d’1 millimètre. C’est la première fois de ma vie que je protège un coach, avec lui. Et vous savez que je n’ai jamais eu peur de mettre un entraîneur dehors. Mais la saison passée, lors de la phase aller, alors qu’on jouait mal, je suis entré dans le vestiaire et j’ai dit aux joueurs « ça suffit! Cette fois, ce n’est pas le coach qui saute, ce sont les joueurs! ». On voyait qu’ils n’avaient pas l’envie. Or ces dernières années, à chaque fois que le F91 a perdu le titre, c’était par pure nonchalance. Mais attention, Toppmöller, il n’a pas très bien fait son travail non plus : ce n’est pas normal de gagner deux titres au goal-average. Et puis il lui arrive d’inventer des choses. Une fois, il m’a collé Mélisse côté droit. Je suis allé le voir en lui disant qu’il ne lui restait plus qu’à m’aligner dans les buts! Vous ne me connaissez peut-être pas totalement, mais je dis ce que je pense, toujours, même si ça déplaît. Mais pour répondre à votre question : Dino ferait mieux de rester encore avec nous au moins une saison. Même si son travail est très rigoureux, avec de grosses analyses.
Pourquoi certains de vos coaches ont-ils sauté malgré leurs bons résultats?
Parce que je voyais qu’il y avait des soucis. Un coach ne doit pas avoir de préférence parmi ces joueurs et certains ne devraient pas jouer juste parce qu’ils ont plus de rapports avec le coach. Je ne veux pas de préférence dans l’équipe. Tout le monde sur un pied d’égalité. Et puis je ne veux pas paraître arrogant mais pour gagner la DN, le F91 n’a pas forcément besoin d’un coach.
Là, vous exagérez un peu.
En tout cas, je vais au stade pour me faire plaisir. Pas pour m’embêter. Un coach que j’ai beaucoup aimé et qui m’a fait énormément plaisir, c’est Sébastien Grandjean avec la Jeunesse Esch. Là, ça jouait. Heureusement que je ne suis pas à l’Inter Milan par contre parce que Spalletti je l’aurais foutu dehors, je ne réfléchis même pas, même si ça coûte beaucoup d’argent.
Et Sinani, il pourrait vous quitter à quelle échéance si un club pro vient frapper à la porte?
Je tiens à une chose : bien conseiller le joueur. Vous avez vu sa première mi-temps à Cluj? Il s’effondrait comme un sanglier au moindre contact… Non, c’est encore trop tôt physiquement, même s’il a déjà fait des pas gigantesques. Et puis j’ai un grand respect pour lui : contrairement à beaucoup d’autres jeunes Luxembourgeois qui se sont assis à cette table et ont eu peur de ne pas jouer, lui a eu le courage. Et il a écouté ce qu’on lui a dit.

Le jour où j’arrête, le foot luxembourgeois va s’effondrer

Aujourd’hui, vous avez l’impression d’avoir enfin votre retour sur investissement avec le F91?
Cette année, oui. Aussi en termes de visibilité.
On voit d’ailleurs des maillots dudelangeois un peu partout en ce moment.
Et encore, chez Citabel, ils ont eu peur d’en commander plus! Mais bon sang, ils se sont déjà retrouvés deux fois en rupture de stock! Ils ont eu peur.
Comment faire pour faire mieux, désormais?
Vous savez ce que je devrais faire? Arrêter maintenant. Mais le jour où j’arrête, le football luxembourgeois va s’effondrer et je crois que ça va aller assez vite.

Entretien avec Julien Mollereau

Dudelange-Milan, jeudi, 21 heures, stade Josy-Barthel.

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