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Derrière le pont, à Dudelange, passer la Porte d’Italie…


Le jour, c'est un dédale improbable. On dirait un immeuble à ciel ouvert, avec ses dizaines d'escaliers qui irriguent le quartier. Même Google Maps n'est pas passé ici ! (photos Isabella Finzi et Alain Rischard)

Le monument de la Porte d’Italie à Dudelange, ultime cadeau des immigrés offert à la commune en 2007, aura bientôt dix ans. L’occasion d’un focus sur un quartier, qui n’est plus italien… mais reste si particulier !

Le jour, c’est un dédale improbable. On dirait un immeuble à ciel ouvert, avec ses dizaines d’escaliers qui irriguent le quartier. Même Google Maps n’est pas passé ici. La nuit, c’est le quartier «derrière le pont», d’où l’on peut admirer Dudelange scintiller. On se prend à imaginer la vie d’antan. Une cité qui ne dort jamais, éclairée à la lueur des torches de la sidérurgie. Les hauts-fourneaux sont éteints depuis les années 80. On pourrait encore en pleurer… c’est mal connaître la fierté dudelangeoise, d’autant plus forte dans le quartier Italie. «Ailleurs les gens disent : je viens du Luxembourg, du Portugal, de France, sourit Anola. Ici c’est direct : Je suis de Dudelange.» Qu’est devenu le port d’attache des premiers immigrés aujourd’hui ?

«La première chose qui m’avait frappée…»

"Italie évolue tout en restant différent", dixit Anola.

« Italie évolue tout en restant différent », dixit Anola.

Anola Bracaj est notre guide. L’animatrice de chez Inter-Actions travaille à Italie depuis cinq ans. Elle rend son poste à la fin du mois, pour une promotion. «Un crève-cœur, dit-elle. Je suis arrivée par hasard et je suis tellement triste de partir.» Pourquoi ? «Je ne peux pas le définir… la première chose qui m’avait frappée, c’était de voir des enfants jouer dans la rue.»

Il n’y a quasiment plus d’Italiens à Italie. Mais les mœurs méditerranéennes ont traversé les générations, peu importe les origines. «C’est peut-être pour ça (NDLR : cette habitude de jouer dehors) que le quartier a obtenu un city stade il y a six mois», s’amuse Anola. Un terrain décoré par les locaux, comme de nombreux espaces publics. «Nous avons repeint des escaliers, certains murs, des bancs aussi.» Sans compter les façades, que les habitants mettent un point d’honneur à colorer sans modération! «Il y a une envie d’évolution tout en restant différent, vous comprenez ?», glisse Anola, face à nos questions un brin stéréotypées quant au risque de résidentialisation de la cité.

«Ne gagne pas le monde si c’est pour perdre ton âme», chantait Bob Marley. Les habitants d’Italie n’ont pas cherché à gagner le monde (ils emm… d’ailleurs le monde qui trouve que ce n’est pas bien ici) et ils ont conservé leur âme.

Charlotte, 50 ans à Italie : "Je n'en sortirai que les deux pieds devant !"

Charlotte, 50 ans à Italie : « Je n’en sortirai que les deux pieds devant ! »

Ainsi de Charlotte, «notre Grande-Duchesse à nous», qui vit à Italie depuis 50 ans. «J’ai déménagé trois fois, à chaque fois dans le quartier. Beaucoup de gens sont partis mais moi, jamais.»

Charlotte a élevé six enfants à Italie, dont les photos ornent le salon. Elle déplore le nombre de voitures aujourd’hui. «Le quartier n’est pas fait pour ça, même les bus, ça me secoue les carreaux… à l’époque, les ouvriers allaient à pied ou en vélo. On les voyait descendre de partout.»

Italie a accueilli jusqu’à 45 cafés, il n’en reste plus que trois. Pas de nostalgie inutile. D’abord, les zincs les plus sympas sont restés, «chez l’Espagnole et chez Inès», nous glisse-t-on comme si c’était une évidence.

Et puis, des pôles associatifs puissants ont pris le relais. Le foyer Diddelfamill, ouvert en 1999 dans une ancienne maison ouvrière. Le Centre de documentation sur les migrations humaines, en 1996, qui accueillent de nombreuses manifestations. Le travail d’Inter-Actions évidemment. Soirée lecture, ateliers jeunes, soirée poésie même, auxquelles Charlotte aime participer… Elle ne nous lira pas ses poèmes mais quel personnage, vraiment, un poème à elle toute seule.

Un quartier à part, «notre chez nous»

Rosa : "Impossible de critiquer mon quartier, ça non..."

Rosa : « Impossible de critiquer mon quartier, ça non… »

Rosa, installée depuis une quinzaine d’années, illustre une autre catégorie d’habitants. De quartier locatif de transition, Italie est devenu un quartier d’implantation au tournant des années 2000. «Nous avons été attirés par le prix de l’immobilier, explique la native du nord du Portugal. Aujourd’hui, c’est notre chez nous.»

Rosa aime que le quartier soit devenu propre (il y avait visiblement des problèmes de déchets). Elle aime aussi qu’il y ait une vie interne à Italie. «On a une épicerie, la salle de sport pour les jeunes en haut, les chemins de promenades aussi (ancienne mine classées)… Nous avons même des touristes qui visitent le quartier.» Rosa est consciente de la situation périphérique par rapport au centre, mais qui, grâce au dynamisme interne, n’est pas gênante.

«Un nouveau quartier va carrément émerger en face, précise Anola. C’est le Nei Schmelz, dans quelques années.» Une ancienne friche reconvertie derrière le pont. De quoi rendre jaloux les habitants d’Italie, un quartier qui part définition ne s’étendra plus jamais ? Pas vraiment. Chacun a vécu son histoire ici, Italie s’adopte et se vit. La Terre peut bien continuer de tourner autour, tant mieux si les gens sont heureux ailleurs. Car ici on l’est, à coup sûr.

Italie ne sera jamais un musée à ciel ouvert à côté d’une ville qui change. C’est un immeuble sans porte d’entrée, juste un pont à traverser, où chacun va et vient, se transforme et transforme le quartier.

Hubert Gamelon

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