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Drague fiscale d’un diplomate luxembourgeois à Madère


Funchal, la capitale de l'île portugaise de Madère, dans l'Atlantique. (Photo : Archives Editpress)

En 2012, un diplomate luxembourgeois a fait de la retape auprès d’entreprises à Madère pour les convaincre de venir s’installer au Grand-Duché, a raconté un officiel portugais à des eurodéputés, le 9 mai.

Dans une question parlementaire adressée au ministre des Affaires étrangères, le député déi Lénk David Wagner cite l’étonnante audition du ministre régional des Finances de Madère devant la commission PANA du Parlement européen. Lorsque le 9 mai dernier, le ministre des Finances de la région autonome de Madère a pris la parole devant la commission PANA pour parler des relations entre son île et le Luxembourg, le ton était un brin moins affable que lors de la visite au Grand-Duché du président du Portugal, la semaine dernière.

Rui Gonçalves, en charge des finances de l’île portugaise de l’océan Atlantique, était invité à s’exprimer devant la commission PANA du Parlement européen qui enquête sur le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Tout comme le Luxembourg, Madère traîne une réputation de paradis fiscal. Dépendant en majeure partie du tourisme pour son économie, l’île de 270 000 habitants a développé à partir des années 80 des mesures incitatives pour attirer des entreprises vers ses rivages. Elle a ainsi créé une zone franche en 1987 et exempté d’impôt sur les bénéfices certaines sociétés. De quoi séduire des milliers d’entreprises du secteur des services qui ont mis le cap sur Madère.

Mais un vent nouveau s’est levé fin 2011 quand, sous pression de Bruxelles, Madère a introduit un impôt de 5 % sur les sociétés (contre 25 % en moyenne dans l’UE) et obligé les entreprises à employer un minimum de personnel, c’est-à-dire à exercer une activité réelle sur place. Cette mesure a mis fin au régime des sociétés «boîtes aux lettres», permettant parfois à une seule personne de gérer jusqu’à 300 entités.

Macao, Hong Kong et le Luxembourg

«Nous sommes passés de 6 000 entreprises en 2000, à environ 1 500 plus récemment, en lien direct avec cette modification du régime et l’exigence accrue au niveau de la création de postes de travail», a constaté le ministre régional des Finances devant les élus européens. Les entreprises et banques ayant quitté Funchal sont parties vers les Pays-Bas, l’Autriche, Hong Kong, Macao et le Luxembourg, selon Rui Gonçalves, qui a lourdement insisté sur le Grand-Duché au cours de son échange avec les députés.

Une partie de ses propos (intégralement consultables sur le site du Parlement européen) ont été cités lundi dernier dans une question parlementaire adressée par le député déi Lénk David Wagner au ministre des Affaires étrangères. Et pour cause. «En janvier 2012, l’ambassadeur du Luxembourg s’est déplacé à Madère pour obtenir de la part de la région la liste des entreprises qui voulaient sortir de Madère pour essayer de faire venir ces entreprises au Luxembourg», a raconté le ministre régional le 9 mai.

Quel rôle a joué Jean Asselborn?

David Wagner interroge dès lors le chef de la diplomatie luxembourgeoise sur la véracité des faits relatés par Rui Gonçalves mais aussi sur son éventuel rôle dans cette affaire. Jean Asselborn était-il à l’initiative de cette démarche ou l’ambassadeur en poste à Lisbonne, alors Paul Schmit, a-t-il agi de sa propre initiative?

«Cela contredirait les affirmations du gouvernement selon lesquelles il ne se mêle jamais de dossiers fiscaux précis, domaine qui serait laissé à la seule appréciation de l’administration», affirme David Wagner au Quotidien. L’élu de la Gauche veut également savoir quels arguments l’ambassadeur a déployés pour charmer les dirigeants de ces entreprises. S’agissait-il d’avantages fiscaux du type rulings, en avançant le fait qu’une entreprise peut installer son siège au Luxembourg sans y exercer d’activité réelle?

Enfin, l’élu de la Gauche interpelle le ministre sur un sujet qui lui est des plus chers : la solidarité européenne. «Est-ce qu’une telle démarche est conciliable avec le principe de solidarité entre pays membres de l’UE […], d’autant plus que le Portugal se trouvait à cette époque dans une grave crise économique et que l’île de Madère est particulièrement vulnérable en raison de sa situation géographique ultrapériphérique?», interroge le député.

Fabien Grasser

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