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Esch : Le Monde au naturel sur un plateau


Ces moutardes sont autant de friandises dont il n'hésite pas à tartiner ses sandwichs. Pas question pour le commerçant eschois, de faire passer ses marges avant le goût ! (Photo : Romain Van Dyck).

De l’usine à l’épicerie fine… Le parcours de Victor Rodrigues Jorge, qui vient d’ouvrir le magasin Le Monde au naturel à Esch, est original. Comme ses produits!

Vous ne le savez peut-être pas, mais une tranche de jambon n’est pas naturellement rose. Elle est plutôt grise. Mais comme les clients n’apprécient guère cette couleur, les producteurs rajoutent un produit totalement superflu, du sel nitrité. Alors qu’on complimente Victor pour son jambon au naturel, il sourit : «Ce jambon est excellent, mais il a un défaut : je ne peux pas le couper en tranches très fines. Ce n’est pas parce que je fais mal mon boulot, mais parce que c’est un bon produit sans agents liants, du coup il ne se tient pas comme un jambon industriel.»
Et de vanter ses autres fuseaux lorrains, saucissons et rillettes : «Ça vient d’un producteur lorrain, ses produits sont exceptionnels.» Il nous parle aussi avec délectation d’un «jambon Grande Réserve, qui vient de la région d’Ombrie en Italie. Il est meilleur que le Parme ou le San Daniel.»

«Les produits du jardin au Portugal»

Si vous êtes «locavore» (adeptes en priorité de produits locaux), passez votre chemin. Car le magasin de Victor Rodrigues Jorge est plutôt un tour d’Europe des saveurs : dans son épicerie, les produits parlent tour à tour d’Italie, de France, d’Espagne, de Portugal, etc. Une exigence qui prend racine dans la cuisine familiale : «Je veux retrouver le plaisir de mon enfance, quand je mangeais les produits du jardin, au Portugal. Je veux me souvenir du goût des bonnes choses.» Il vend d’ailleurs quelques bouteilles d’huile d’olive toujours produites par ses parents.
Le naturel, pour lui, «ce n’est pas forcément du bio, c’est des produits artisanaux et de qualité. C’est l’élevage d’animaux qui vivent au grand air, à côté de la ferme, et qu’on abat à maturité… Ce n’est pas un morceau de viande venu de Pologne qu’on mélange avec un morceau d’un autre pays et qui fait trois pays avant d’arriver dans ton assiette.»

Moutarde à l’Orval et bière aux myrtilles

Victor a ouvert Le Monde au naturel il y a quatre mois, dans l’artère commerçante eschoise, au 113 rue de l’Alzette. Un virage à 180 degrés : «Avant, j’ai travaillé pendant 26 ans dans la métallurgie au Luxembourg. J’aimais bien au début, mais ça s’est dégradé, et ça allait contre mes convictions… J’avais un autre projet qui me tentait depuis des années.»
Pour remplir son épicerie, Victor a pris son bâton de disciple d’Épicure. Chaque producteur est trié sur le volet. Exemple avec ces pots de moutarde aux saveurs «morilles», «miel cognac», «ail des ours» : «C’est une Belge qui les fait artisanalement chez elle. Celle-là, par exemple, est à l’Orval. Je l’utilise dans mes sandwichs.» Pas très rentable, ça! «Je préfère faire moins de marge, mais mettre des bons produits dans mes sandwichs. Cette baguette, par exemple, est excellente. Trois jours après, elle n’est pas dure comme du béton, elle!» Il propose en effet des petits snacks : sandwichs, tartes sucrées et salées maisons réalisées par sa femme.
Ses fromages viennent d’Espagne, Italie, Portugal… et même de Corse. «Pas facile d’en obtenir, je vous l’assure!»
Mention spéciale pour une petite bière alsacienne non filtrée et aromatisée à la myrtille.

Épices du monde

Les épices, elles, nous parlent de Méditerranée, d’Orient, d’Afrique… il s’arrête sur son chouchou du moment : du curcuma. «Celui-là est exceptionnel. Il n’est pas issu de la racine, mais des fleurs. On a une plantation au Cambodge, et on a eu la première récolte cette année. J’ai d’ailleurs fait l’erreur de l’utiliser avec les mêmes proportions que le curcuma dans un plat, et c’était bien trop puissant!»
Bien sûr, tout cela a un prix. Plus élevé qu’en supermarché. «Je ne peux pas concurrencer Cactus, et je ne veux pas. Je veux vendre les choses à un juste prix, pour récompenser le producteur. Les bonnes choses ont un prix.»
Après quatre mois d’activité, une chose lui laisse un goût amer : les prix des loyers à Esch : «Bien sûr, à Luxembourg, j’aurais dû payer près de 15 000 euros par mois pour un local comme ça, et à Esch, c’est trois fois moins cher. Mais ça reste cher. Ce n’est pas pour rien que les commerçants s’en vont. Je vois beaucoup de magasins qui ferment, les loyers sont exagérés, les commerçants ne tiennent pas. Et en plus, quand comme moi on n’habite pas sur place, il faut ajouter le parking, je paie 1 200 euros par an.»
Une grogne partagée par la présidente de l’Association des commerçants, artisans et industriels d’Esch (lire ci-dessous), qui confirme que les commerçants mais aussi les propriétaires commencent à trouver le coût de la vie dans la Métropole du fer particulièrement indigeste.

Romain Van Dyck

Astrid Freis : « Les loyers sont chers à Esch ! »

La présidente de l'association des commerçants eschois va dans le même sens que Jorge sur le prix des loyers (Photo : Didier Sylvestre).

La présidente de l’association des commerçants eschois va dans le même sens que Victor sur le prix des loyers (Photo : Didier Sylvestre).

Les prix des loyers commerciaux sont-ils trop élevés à Esch?
Astrid Freis : Oui, la critique est légitime, les loyers sont chers à Esch. Surtout par rapport à une clientèle qui a changé. Les gens ont moins de pouvoir d’achat, donc le commerçant peut difficilement répercuter un loyer mensuel entre 5 000 et 6 000 euros. Esch reste une ville ouvrière. On a quelques commerçants haut de gamme, mais on n’a pas non plus des magasins de grand luxe, donc nos commerçants doivent vendre beaucoup de marchandises pour payer non seulement le loyer, mais aussi les charges, etc. C’est un problème aussi pour les propriétaires. Je connais des propriétaires qui, pour garder leurs locataires, ont revu leurs loyers à la baisse. Ils n’ont pas le choix! Si le propriétaire veut garder un locataire sérieux, mais que ce dernier n’a pas les moyens, il n’y a pas beaucoup de solutions, il doit revoir son loyer à la baisse. Il vaut mieux avoir 3 800 euros de loyer que zéro!
Du coup, note-t-on une tendance à la baisse des loyers?
La tendance n’est en tout cas pas à la hausse. Je dirais que ça stagne. La majorité des commerçants arrive encore à payer les loyers élevés, mais il y a quand même une partie qui doit négocier des loyers à la baisse pour survivre.
Est-ce que le turnover commercial est si inquiétant?
Il y a eu une phase entre 2017 et 2018, durant laquelle on a fait un état des lieux des commerces fermés, et on arrivait quand même entre 55 et 60 commerces vides. Ça veut dire ce que ça veut dire! Après, il y a une partie de ces commerces qui sont en chantier, et d’autres qui ont des repreneurs, donc il y a quand même un renouveau, mais ce n’est pas la majorité non plus. Il faut attaquer ce problème de front pour que le centre-ville retrouve un peu de sa vie. On a un beau centre, il faut que tout le monde mette la main à la pâte pour faire revenir les commerçants. Et qu’ils y restent!

Recueilli par R. V. D.

Un commentaire

  1. Madame Freis, pourquoi ne pas faire un effort au niveau des prix des parkings pendant l’heure de midi….c’est tellement absurde de demander de tels prix pour une ville qui n’a plus rien à offrir…

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