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Nicolas Henckes : au Luxembourg, «les petites entreprises sont fragilisées»


Le directeur de la confédération des commerçants pose un regard critique sur le climat pour les petites entreprises au Luxembourg (Photo : Alain Rischard).

Il n’a pas souvenir que le patronat ait eu un jour un allié politique. Nicolas Henckes, directeur de la confédération luxembourgeoise du commerce (clc), analyse les causes de l’augmentation des faillites dans pays. Il aborde également avec nous d’autres sujets : la légalisation du cannabis ou encore le sens de l’entreprise.

L’année dernière, le nombre des faillites a encore augmenté pour toucher 1 263 entreprises. Le secteur des services est le plus touché avec celui du commerce. Quelle est votre analyse ?
Nicolas Henckes : Ce n’est pas une surprise, on pressentait ce chiffre qui n’était déjà pas bon l’année dernière. Nos membres nous disent que c’est très difficile à tous les niveaux. Les augmentations de salaires, de jours fériés et les congés parentaux sont autant d’éléments qui ont renchéri le coût de fonctionnement de nombreuses PME et surtout de TPE. Pour peu qu’on soit encore un commerce situé en centre-ville avec les travaux du tram et du Hamilius, on affronte des difficultés supplémentaires.

Avez-vous mené des études d’impact du congé parental sur les petites entreprises ?
Non, mais il faudrait faire une étude sur le terrain pour savoir dans combien de cas le congé parental n’a pas été remplacé. Disons que ce sont des choses qui se rajoutent. Certaines entreprises n’étaient déjà pas dans une situation financière florissante. Une étude du Statec a montré que les sociétés non financières avaient en moyenne un excédent brut d’exploitation égal à zéro. S’il est négatif cela signifie que l’entreprise perd chaque jour de l’argent. Un EBE de zéro ce n’est vraiment pas un bon signe. Alors quand on ajoute un jour férié, c’est un jour de fermeture de plus pour l’entreprise. Et les congés parentaux sont difficiles à remplacer, donc on réduit l’activité. S’ajoute la concurrence d’internet, celle de la Grande Région, l’arrivée de nouvelles grandes surfaces… C’est tout cet ensemble d’éléments qui fragilise les TPE. Quant à l’impact réel du congé parental, on pourrait faire une analyse des coûts d’opportunité puisque la personne qui part ne coûte rien à l’entreprise qui ne finance pas le congé parental, c’est seulement un coût d’opportunité. Si j’arrive à remplacer cette personne ça va, mais dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée, soit je réduis l’activité, soit je contrains les équipiers à compenser le départ et je paie alors des heures supplémentaires qui entraînent un surcoût de production.

Une réelle possibilité de seconde chance

Le projet de loi de modernisation du droit de la faillite est dans les tuyaux depuis 2013. Apportera-t-elle la réponse que vous attendez ?
On attend une réponse qui n’est pas forcément celle que certaines parties prenantes peuvent vouloir. On souhaite une réelle possibilité de seconde chance pour celui qui a connu une faillite non frauduleuse. Pour l’instant, après une faillite, c’est très compliqué d’obtenir une nouvelle autorisation d’exploitation. On aimerait que soit faite une distinction très claire entre les fraudeurs qui doivent être punis très sévèrement et les autres, ceux qui se sont montrés très innovants, qui étaient peut-être en avance sur leur temps, qui n’ont pas trouvé tout de suite leur clientèle. Ou ceux encore qui ont fait faillite parce qu’ils ont perdu deux de leurs plus gros clients en proie eux-mêmes à des difficultés. Ce sont des causes de mort naturelle, si on peut dire, et cela ne doit absolument pas se terminer par la sanction de l’entrepreneur. Sinon on se demande bien pourquoi créer une entreprise, parce que si ça ne marche pas, c’est la mort sociale.

Le projet fait cette distinction…
Oui et c’est une bonne chose, mais il y a d’autres points dans ce projet de loi qui sont complètement déconnectés des réalités. Il y a un comité de fonctionnaires (NDLR : le secrétariat du comité de conjoncture) qui doit analyser sur base d’indicateurs si une entreprise entre dans des difficultés et proposer alors des solutions pour y remédier. Je ne suis pas sûr que des fonctionnaires soient compétents pour aider une entreprise à se sortir d’un pas difficile. On comprend les mécanismes d’alerte mis en place, mais cela pourrait déboucher sur certaines absurdités par la suite, comme avoir un chef d’entreprise qui devrait être sur le terrain à essayer de sauver les meubles plutôt que de devoir se justifier administrativement par rapport à ses difficultés.

Que proposez-vous alors ?
En France, il y a les tribunaux de commerce et ce sont des chefs d’entreprise qui y siègent. C’est dans cette direction qu’il faut chercher, avoir l’aide de pairs qui savent comment fonctionne une entreprise, qui peuvent comprendre les cycles opérationnels. Il y aurait plus de potentiel de prévention des faillites.

Les politiques s’entêtent à ne pas entendre nos signaux

Avez-vous encore un allié politique ?
Je ne crois pas que nous ayons eu un jour un allié politique pour être très clair. C’est même tout le contraire selon mon expérience dans le patronat depuis 2013. Nous avons vraiment du mal à nous faire entendre, à faire comprendre les enjeux des entreprises et on voit le résultat avec le nombre des faillites qui est assez nettement à la hausse parce que les politiques s’entêtent à ne pas entendre nos signaux d’alerte.

(Photo : Alain Rischard).

(Photo : Alain Rischard).

La clc consacre sa dernière une de son magazine Connect aux opportunités de la légalisation du cannabis. Quelles sont-elles ?
Nous attendons le projet de loi avec impatience pour voir comment nous positionner. On a vu que l’expérience canadienne, qui nous sert de modèle, n’est pas vraiment un succès, certains États américains arrivent à mieux faire. Il faut analyser ce qui fonctionne. Ce qui est certain, c’est qu’il faut se positionner sur du hautement qualitatif, sur des revendeurs formés et agréés. C’est primordial pour éviter des dérives et des accidents. C’est aussi une question d’éducation à la consommation de ce type de produit. Outre l’opportunité commerciale, nous avons conscience des risques, comme voir aussi les salariés qui en consomment. Il faut pouvoir détecter le cannabis qui peut troubler le discernement d’une personne, mais les tests ne sont pas fiables, car les traces de cannabis restent longtemps dans l’organisme. Il faudra voir comment gérer ça.

Des entreprises commerciales sont-elles déjà dans les starting-blocks pour vendre du cannabis ?
Oui, il y a clairement des entreprises qui se positionnent et la plupart veulent que cela soit bien fait. Il faut un cadre normé et contrairement aux idées mises sur la table par le ministère de la Santé, nous serions favorables à l’établissement de coffee-shops parce que c’est le seul moyen de contrôler la consommation qui se fait à l’intérieur et pas sur la voie publique. Pour l’instant, on commence tout juste à avoir des membres qui sont actifs dans le domaine, nous avons des contacts avec des entreprises étrangères qui veulent installer des filiales au Luxembourg dont certaines ont des sites de production en Europe et une certaine expérience. Elles demandent aussi que l’activité soit hautement réglementée parce qu’elles ont déjà la compétence. C’est important aussi de pouvoir contrôler l’âge du consommateur parce qu’il ne faut pas oublier qu’avant 25 ans, fumer des joints peut entraîner des psychoses. Nous craignons également le retour des contrôles aux frontières donc il faut maîtriser la distribution dans des endroits définis avec une consommation sur place. La production aussi devra être normée avec si possible une production locale et pourquoi pas bio. Mais il faudrait éviter de devoir importer parce qu’un camion plein de cannabis qui circule peut vite devenir une cible pour la criminalité.

Quel modèle de taxes défendez-vous pour la commercialisation du cannabis ?
Pas le modèle canadien en tout cas dont les taxes justement ont été une des sources de son échec. S’il y a surtaxe, le marché noir va continuer à fonctionner. Cette légalisation a pour objectif de tuer le marché noir précisément.

« La nouvelle génération nous oblige à repenser le sens de l’entreprise » a déclaré la philosophe Julia de Funès que la clc a interviewée. Êtes-vous d’accord avec elle ?
Oui, c’est une opportunité, mais encore faut-il accepter la remise en cause et être prêt à relever le défi. La jeunesse d’aujourd’hui, en ramenant cette question du sens dans les entreprises, permet le plus souvent de créer plus de valeur partagée de sorte que l’activité soit positive pour tout le monde à la fois pour les salariés, l’environnement économique, l’environnement au sens large… On le voit dans les statistiques, les entreprises dites vertueuses, qui ont de vraies politiques de responsabilité sociale sont plus performantes que celles qui n’en ont pas. On commence à avoir des chefs d’entreprise de cette nouvelle génération qui en sont absolument convaincus.

C’est le bonheur en entreprise ?
Non, cela n’a pas lieu d’être. Le bonheur c’est autre chose. Ici, on parle d’avoir un environnement qui ne soit pas toxique, d’avoir un travail dans lequel on peut se projeter et dont on comprend ce qu’il apporte. Les jeunes veulent savoir pourquoi ils sont là. J’ai déjà vu dans des procédures de recrutements des jeunes qui partent pour un autre projet moins bien payé, mais qui présente pour eux un plus grand intérêt. Ils vont mieux se former où le métier leur plaît plus et c’est assez déroutant pour certains chefs d’entreprise qui ne comprennent pas forcément ce choix, alors qu’ils payent plus. Les règles du jeu sont en train de changer et certains chefs d’entreprise, pas forcément de la nouvelle génération, l’ont bien compris. Si on veut recruter les meilleurs, il faut leur proposer ce qu’ils cherchent et l’entreprise a tout à y gagner.

Est-ce déjà une pratique au Luxembourg ?
On a un avantage au Luxembourg, c’est d’avoir des petites structures. On arrive facilement à mettre les jeunes recrues face à un client, à leur donner rapidement des responsabilités, une certaine autonomie quelque part un peu contrainte, même, faute de personnel. C’est plus facile pour une PME de créer ce sens parce que la proximité avec le client est donnée, alors que dans un grand groupe on peut se retrouver dans un département qui est la petite roue faisant fonctionner la grande machine, mais le client on ne le voit jamais. Voir le client et voir sa satisfaction, c’est souvent un bon encouragement.

Entretien avec Geneviève Montaigu

Un commentaire

  1. Bonjour,

    Une petite contribution sur le sujet de la « pénurie de main-d’œuvre généralisée ».

    Je suis arrivé au Grand Duché il y a quelques années tout simplement parce qu’un recruteur pouvait me faire travailler immédiatement. Parisien, j’ai accepté de sacrifier l’équivalent d’un jour de travail par semaine à faire le voyage pour retrouver ma famille le week-end et de supporter le coût des voyages et d’un logement en grande région: mieux vaut travailler à Luxembourg que chômer en France.

    En 2020 tout a changé avec la réforme fiscale, pénalisant les gens de mon profil (marié, père de famille, conjoint travaillant en France) et il redevient rationnel d’accepter un moindre revenu en France que de supporter une masse de frais et de contraintes, dès que le petit employeur luxembourgeois n’a pas les moyens de maintenir le pouvoir d’achat du salarié.

    En définitive l’équation se résume de nouveau à pénaliser les petites entreprises, seules les grosses ayant mantenant les moyens d’attirer et de retenir les gens qualifiés.

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