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Nicolas Schmit : « Quand va-t-on nous dire qu’il faut protéger les salariés ? »


"Le pilier des droits sociaux, c'est une grande nébuleuse. Comme j'ai une certaine expérience, je crains qu'à la fin on n'accouche même pas d'une souris." (Photo Hervé Montaigu)

Nicolas Schmit, le ministre socialiste du Travail et de l’Économie sociale et solidaire, nous dit son désespoir de voir naître l’Europe sociale qui pourrait sauver la construction de l’Union.

L’académie d’été du LSAP à laquelle vous avez participé a développé le thème de l’Europe sociale. Peut-on dire que c’est votre dada ?

Nicolas Schmit : Oui, mais aussi un peu mon désespoir. Je la vois peu se concrétiser. Il nous manque fondamentalement une vraie volonté politique partagée. Je pense à des dirigeants européens et paradoxalement à des institutions européennes qui tiennent un double langage. Le triple A social, c’est une formule bien trouvée, bravo, mais peu suivie d’effets. Il y a bien eu un débat sur la proposition de directive sur le détachement où on peut parler d’évolution positive, mais ça s’arrête à peu près là. Le pilier des droits sociaux, c’est une grande nébuleuse. Comme j’ai une certaine expérience, je crains qu’à la fin on n’accouche même pas d’une souris. On pourra toujours dire que la volonté de la Commission était là, mais que les États membres ne voulaient pas d’Europe sociale. Je me méfie des grandes déclarations et des grands processus dont on ne sait pas exactement ce qu’ils signifient.

Vous évoquez un double langage de la part des institutions européennes. Avez-vous un exemple précis en tête ?

Pas plus tard que cette semaine j’étais invité par le DGB, la Confédération allemande des syndicats, en présence de son président, Reiner Hoffmann, à un colloque organisé conjointement par la Chambre des salariés du Luxembourg. Il s’agissait de l’avenir du système de cogestion en Allemagne. Les syndicats allemands sont très inquiets parce qu’un tribunal de Berlin a posé une question préjudicielle auprès de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité de la législation en matière de cogestion allemande.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il ne faut pas que la cogestion reste une compétence nationale, même s’il y a des éléments de cogestion réglés par le droit européen. Personne ne parle de les renforcer, ce qui serait pourtant une bonne idée après l’affaire Caterpillar en Belgique. Mais dans le cadre de cette procédure, la Commission, comme c’est son droit, intervient auprès de la Cour de justice de l’Union européenne pour dire que le système de cogestion allemand est contraire au droit européen. Deux mois plus tôt, le président Jean-Claude Juncker avait félicité le DGB dans le cadre du 40e anniversaire de la loi sur la cogestion en Allemagne pour dire que c’était un exemple pour l’Europe. Je me pose des questions. C’est une bonne déclaration du président et la bureaucratie intervient dans un sens carrément opposé pour dire qu’il faut en finir avec ce système tel qu’il existe actuellement. Même le patronat allemand n’est pas enchanté. Alors je ne comprends plus cette Commission, quel discours a-t-elle ?

Le président Jean-Claude Juncker a pourtant dit que c’était une Commission politique…

Très bien ! Pourtant, il y a les politiques, d’un côté, et la pensée unique, de l’autre, qui continue à faire des dégâts comme si de rien n’était. Les progrès en matière sociale buttent là-dessus et je ne donne pas toute la responsabilité à la Commission, loin de là. Je dis que dans beaucoup d’États membres on ne veut pas d’Europe sociale, pas d’avancée dans ce domaine.

Sans les Britanniques, qui s’y sont toujours opposés, n’y a-t-il pas un maigre espoir ?

Aujourd’hui, ce pays est sur le départ et malheureusement pour certains, ils seront obligés de se découvrir et dire clairement leurs intentions. Je dirais que le social est considéré comme quelque chose de négligeable, et pourtant l’Europe va échouer à cause de ça. Reiner Hoffmann a dit quelque chose qui m’a fait réfléchir. Il a dit qu’en 1988, si quelqu’un avait prédit la chute du Mur de Berlin un an plus tard et la fin de l’Union soviétique trois ans après, on l’aurait pris pour un fou et pourtant cela s’est passé. Dire aujourd’hui à juste titre que l’Europe est en crise existentielle, c’est vrai, le sommet de Brastislava l’a encore montré. Et ce qui me fait peur, c’est que pour le moment on n’a pas le début d’une solution. D’où mon désespoir. Il y a ce sentiment partagé par des millions d’Européens que cette Union ne leur rapporte rien. C’est en partie faux, mais en politique ce sont les perceptions qui comptent. Ceux qui ont voté pour le Brexit, ce ne sont pas les banquiers de Londres mais les petites gens. Idem en Allemagne pour l’AfD, ce ne sont pas que les nantis qui ont voté pour ce parti, mais les petits employés, parfois même syndicalisés, qui en ont assez de ne pas être entendus et qui ont l’impression que les dirigeants se fichent complètement de leur opinion et de leur situation concrète. Ce sentiment représente le grand danger, plus encore que la crainte de l’immigration qui sert aussi les populismes.

D’autant que le cas de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs et celui de l’ex-commissaire Neelie Kroes en mode offshore au Bahamas pendant son mandat ne vont pas améliorer les choses…

C’est une catastrophe ! Ce n’est pas la faute de la Commission actuelle, mais cela reste une catastrophe pour une institution qui pendant toute la période Barroso a imposé à l’Union la pensée néolibérale, qui a imposé l’austérité jusqu’à étouffer les Grecs et dont l’ancien président va pantoufler chez Goldman Sachs.

Le libre-échange demeure cependant la règle, le TTIP et le CETA sont là pour nous le rappeler. L’Europe doit-elle verser dans plus de protectionnisme ?

Pour simplifier un peu, il y a une théorie qui dit que le libre-échange est toujours plus favorable que le protectionnisme pour le bien-être des populations. C’est assez juste. Mais la théorie ne dit pas que le libre-échange profite à tout le monde. Il y a des gagnants, la Chine par exemple, mais il y a aussi beaucoup de perdants. Il faut regarder le protectionnisme et le libre-échange avec un peu plus de nuance et sortir d’un discours un peu béat. Le libre-échange, oui, mais il faut des règles et des critères et moi, homme de gauche, je dis que la gauche a péché par manque de discernement. Arrêtons avec les slogans qui annoncent une augmentation de la croissance de peut-être 0,5%, ce que personne ne peut calculer en fait, pour vanter les mérites de ces accords internationaux : c’est de la foutaise ! L’ouverture des marchés ne peut se faire qu’avec des règles sociales, environnementales et des règles pour les investisseurs. On nous dit qu’il faut protéger les investisseurs, quand va-t-on nous dire qu’il faut protéger les salariés ?

Entretien avec Geneviève Montaigu

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce lundi 26 septembre

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