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Procès LuxLeaks : Antoine Deltour jugé mi-voleur mi-lanceur d’alerte


Antoine Deltour devant la cour d'appel de Luxembourg, ce mercredi. (photo AFP)

Antoine Deltour a écopé ce mercredi en appel d’une peine de 6 mois avec sursis et 1 500 euros d’amende, pour avoir copié plus de 500 tax rulings sur le serveur de son ex-employeur, le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC). Deux fois moins élevée qu’en première instance, la peine de prison ne concerne que le vol des documents. Reconnu comme lanceur d’alerte au moment de la transmission des données au journaliste, l’ex-auditeur a en effet été acquitté de l’infraction de violation du secret professionnel. Une première européenne.

Antoine Deltour a été reconnu coupable du vol des documents à son ex-employeur PwC (des chefs d’inculpation associés de fraude informatique et blanchiment-détention). En revanche, il a été acquitté des préventions de la violation du secret des affaires et de la violation du secret professionnel (lorsqu’il a transmis les documents au journaliste Edouard Perrin). Sur ce dernier chef d’accusation, la cour d’appel de Luxembourg a reconnu l’application des critères du lanceur d’alerte tels que définis dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Cet acquittement partiel est une première européenne qui a été saluée comme « historique » par les avocats d’Antoine Deltour, même s’ils regrettent que les juges luxembourgeois « ne soient pas allés au bout de leur raisonnement ».

« Les juges ont estimé qu’Antoine Deltour n’avait pas l’intention de publier les documents au moment où il les a copiés chez PwC », résume Me William Bourdon. « D’après le juge, au moment où je remets les documents, je suis un lanceur d’alerte au sens de la Cour européenne des droits de l’Homme, mais au moment où je soustrais les documents je suis un voleur et je suis condamné à ce titre. Le seul jugement satisfaisant aurait été un acquittement », a réagi Antoine Deltour.

Raphaël Halet, poursuivi pour avoir copié 16 déclarations fiscales de multinationales chez PwC et les avoir transmis au même Edouard Perrin, écope cette fois d’une simple amende de 1 000 euros. En première instance, il avait été condamné à 9 mois de prison avec sursis, en plus de cette même amende. Comme Antoine Deltour, la cour d’appel l’a reconnu coupable de vol mais l’a acquitté sur le volet de la violation du secret des affaires. Concernant la violation du secret professionnel, les juges ne lui reconnaissent pas l’application pleine et entière de la jurisprudence de la CEDH sur les lanceurs d’alerte. Ils estiment qu’il remplit seulement certains critères, considérés comme des « circonstances atténuantes » justifiant un allègement de peine.

Edouard Perrin était poursuivi comme coauteur ou complice des infractions reprochées à Raphaël Halet. Le journaliste de l’agence Premières lignes a été acquitté, comme en première instance, la cour considérant qu’il avait agi en tant que « journaliste responsable » au sens de la jurisprudence de la CEDH.

Lire aussi : Procès LuxLeaks : peines réduites en appel pour Deltour et Halet, Perrin acquitté

Les réactions

Antoine Deltour : « Il faut s’intéresser au fond de l’affaire »

«D’après le juge, au moment où je remets les documents, je suis un lanceur d’alerte au sens de la Cour européenne des droits de l’Homme, mais au moment où je soustrais les documents je suis un voleur et je suis condamné à ce titre.

Le seul jugement satisfaisant aurait été un acquittement. Malheureusement la Cour s’est arrêtée à la moitié du chemin et cela contribue à attirer l’attention sur le messager, et non pas sur son message.

C’est important de s’intéresser au fond de l’affaire LuxLeaks. Peut-être que depuis cette affaire, la concurrence fiscale est un peu plus transparente en Europe, mais malheureusement elle est encore plus intense que jamais, avec une course vers le bas des taux d’imposition qui n’a jamais été aussi importante. Cela a des conséquences absolument catastrophiques sur les politiques publiques et leur financement.»

Me William Bourdon (avocat d’Antoine Deltour) : « Une première historique»

Me William Bourdon, avocat d'Antoine Deltour. (photo AFP)

Me William Bourdon, avocat d’Antoine Deltour. (photo AFP)

« Notre sentiment est mitigé. À la fois nous avons une vraie satisfaction car pour la première fois, un juge d’un pays de l’Union européenne accorde le fait justificatif du lanceur d’alerte pour acquitter Antoine s’agissant de l’infraction principale qui lui était reprochée, c’est-à-dire la violation du secret professionnel.

C’est une première historique et c’est très important pour Antoine et pour ceux qui l’ont soutenu depuis des années, car le combat qu’il a mené apporte aujourd’hui une pierre très importante dans cet édifice compliqué de la protection des lanceurs d’alerte à l’échelle européenne.

Antoine Deltour par son geste, non seulement a contribué à un débat d’intérêt général considérable, mais aussi, en contribuant à cette jurisprudence, a été un acteur de la protection des lanceurs d’alerte à l’échelon européen.

Malheureusement, la Cour n’a pas osé aller jusqu’au bout de son raisonnement, quelque chose l’a freinée. La cohérence aurait voulu intellectuellement, juridiquement, qu’Antoine soit acquitté intégralement. Comment comprendre qu’il soit acquitté pour la violation du secret professionnel, en raison de la remise des documents au journaliste, et lui refuser cela au moment de l’appréhension des documents lorsqu’ils sont encore chez PwC ? C’est pour nous la signature d’une forme de timidité, de frilosité.

Si Antoine bénéficie des faits justificatifs au moment de la remise des documents, il doit en bénéficier aussi au moment où il les soustrait ! Car il ne les soustrait pas pour les mettre sur sa cheminée, mais parce qu’il a évidemment l’intention de lancer un débat d’intérêt général. Il ne peut pas y avoir d’autre raison à cela.  Il y a quelque chose de profondément contradictoire dans cette décision.

Pour la suite, on va réfléchir, aucune décision ne va être prise dans la précipitation. On a un mois pour décider (ndlr : de se pourvoir en cassation ou non). »

Raphaël Halet : « Une autre étape est franchie »

Raphaël Halet, ce mercredi à Luxembourg. (photo AFP)

Raphaël Halet, ce mercredi à Luxembourg. (photo AFP)

« Dans le jugement, il est encore indiqué noir sur blanc qu’Antoine Deltour et moi avons agi dans l’intérêt général, et qu’Edouard Perrin a fait tout simplement son boulot de journaliste d’investigation. Je sais bien qu’on est au Luxembourg et qu’il faut jouer avec des intérêts politiques et des pressions politiques des uns et des autres.

J’ai une condamnation qui reste très faible, il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années, PwC me réclamait 10 millions d’euros et la saisie de ma maison. On est passé à autre chose, on baisse, on baisse, on est maintenant à simplement 1000 euros d’amende. C’est une autre étape qui est franchie. On va analyser en détail si on fait appel ou pas.

En tout cas, des choses ont énormément avancé au Luxembourg et en Europe, notamment depuis les révélations. Le sujet des lanceurs d’alerte est une chose, le dossier avance dans plusieurs pays comme aux Pays-Bas et en France, mais il ne faut pas oublier le fond du sujet, le vrai procès qui n’a pas eu lieu, celui de l’évasion fiscale. En France, c’est 80 milliards d’euros de pertes chaque année, en Europe c’est 1000 milliards, ça me semble le problème le plus important. »

Édouard Perrin : « Ce jugement est décevant »

Le journaliste Edouard Perrin. (photo AFP)

Le journaliste Edouard Perrin. (photo AFP)

«Mon acquittement n’est pas une surprise, car le réquisitoire de l’avocat général allait dans ce sens. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris pourquoi le parquet avait fait appel. En tout cas, ce jugement est décevant et j’ai vraiment du mal à penser en terme personnel aujourd’hui. Je peux difficilement me dire satisfait quand j’entends qu’on condamne Antoine Deltour et Raphaël Halet. J’ai bien conscience qu’il y a du positif dans le jugement, que les choses ont été mieux entendues et mieux comprises.

Il reste qu’on a deux condamnations en fin de compte, avec une définition à géométrie très variable du lanceur d’alerte et de l’intérêt public, et du préjudice causé. Il y avait eu un débat de très haute tenue pendant le procès. On considère qu’Antoine Deltour est lanceur d’alerte à partir du moment il me fournit les documents, mais pas au moment où il les prend, alors qu’avait pourtant déjà fait état de son malaise général face aux pratiques découvertes chez Price (PwC).

Il y a des éléments tangibles, indubitables, qui ont été apportés en ce sens, je pensais qu’ils seraient entendus, mais ils n’ont pas suffi. S’ils n’ont pas suffi dans cette enceinte là, je ne sais pas ce qui est nécessaire pour que quelqu’un soit pleinement reconnu comme lanceur d’alerte. Le mot de «vol» est très difficile à entendre. On reconnaît l’intérêt public des documents dévoilés, mais on ne va pas au bout du raisonnement quant aux personnes qui ont permis cette révélation.»

Me Olivier Chappuis (avocat d’Edouard Perrin): « Une décision qui ne nous surprend pas »

« La cour a confirmé l’acquittement d’Edouard Perrin, mais pour des motifs différents de ceux qui avaient été retenus par le tribunal en première instance. Il avait été acquitté sur le fondement du droit luxembourgeois, c’est-à-dire que le tribunal avait estimé qu’il n’avait commis aucune des infractions qui lui étaient reprochées.

Cette fois, la cour d’appel a procédé différemment, elle n’a pas examiné du tout le fait de savoir si Edouard perrin avait commis des infractions luxembourgeoises, elle s’est uniquement attachée à regarder s’il avait agi en journaliste responsable au sens des critères de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle en a conclu que c’était le cas, et qu’il avait notamment obtenu les documents de Raphaël Halet de manière légale.

Ce n’est pas une décision qui nous surprend. On a toujours été convaincu qu’Edouard Perrin avait agi dans le plein respect de la déontologie de son métier. On n’arrive toujours pas à s’expliquer l’appel fait par le parquet. Le procureur général lui-même avait indiqué que l’appel n’avait pas été pertinent. »

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