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Un associé de Bolloré jugé en Belgique pour corruption


Le 31 mai 2017, des militants d'ONG manifestaient à l'occasion de la tenue de l'assemblée générale des actionnaires de Socfin à Luxembourg. La multinationale était alors accusée de s'accaparer des terres en Afrique. (Photo : Louise Donnet)

Hubert Fabri, un associé de Vincent Bolloré dans la multinationale luxembourgeoise Socfin, est accusé de corruption par la justice belge. Le procès qui s’ouvre mercredi porte sur le versement de 4,2 millions d’euros à la Guinéenne Mariama Camara, ancienne directrice d’une société publique et ministre de l’Agriculture depuis décembre.

Hasard du calendrier : le 27 avril, alors que Vincent Bolloré venait d’être mis en examen à Paris pour corruption d’agent public étranger dans l’attribution à son groupe des ports de Lomé et Conakry, un procès pour corruption devait s’ouvrir à Bruxelles visant Socfin, une filiale de l’empire africain du milliardaire français. Mais l’audience avait été reportée et le procès débute ce mercredi pour s’achever vendredi devant la 59e chambre du tribunal correctionnel francophone de Bruxelles.

Socfin, multinationale domiciliée au Luxembourg, est spécialisée dans l’huile de palme et le caoutchouc qu’elle extrait de ses plantations en Afrique et en Asie du Sud-Est. Vincent Bolloré contrôle directement ou indirectement 38,7 % des actions de Socfin dont il est également l’un des administrateurs.

Au cœur du scandale jugé à Bruxelles se trouve Hubert Fabri, un homme d’affaires belge de 66 ans, actionnaire principal de Socfin (50,2 %). Il est réputé proche de Vincent Bolloré dont il est parfois présenté comme un obligé. Mais le nom de l’industriel français n’apparaît pas dans ce dossier qui vise quatre sociétés et cinq personnes, dont l’actuelle ministre guinéenne de l’Agriculture, Mariama Camara.

Avant d’être nommée au gouvernement du pays ouest-africain, le 27 décembre dernier, cette dernière a dirigé pendant 30 ans la Société guinéenne du palmier à huile et hévéa (Soguipah), une entreprise publique. Le parquet de Bruxelles la soupçonne d’avoir perçu 4,2 millions de dollars de pots-de-vin des autres prévenus.

Comptes en Suisse et en France

L’affaire a débuté de façon fortuite en 2009 alors que la justice belge soupçonnait Socfin d’avoir élaboré un schéma d’évasion fiscale passant par le Liechtenstein pour rémunérer ses employés à l’étranger. Lors d’une perquisition menée dans des locaux de Socfin, les enquêteurs relèvent des versements destinés à West African Trading, entreprise de droit britannique intervenant comme intermédiaire commercial  entre Socfin et Soguipah, alors dirigée par Mariama Camara. Selon l’accusation, West African Trading a transféré 4,2 millions d’euros vers des comptes personnels détenus en France et en Suisse par l’actuelle ministre de l’Agriculture.

Pour sa défense, Mariama Camara, poursuivie pour corruption passive, affirme que le gouvernement guinéen était informé de ces opérations qui avaient, selon elle, pour but d’acheter des pièces et intrants pour le compte de Soguipah, car la société publique ne pouvait pas détenir de compte à l’étranger. Le gouvernement guinéen soutient la position de sa ministre.

Les autres prévenus, personnes et entreprises jugés cette semaine à Bruxelles, sont poursuivies pour abus de confiance, corruption active, faux et usage de faux et blanchiment.

Remous en Guinée

Ce procès survient alors que la mise en examen de Vincent Bolloré, fin avril, a entraîné de vives réactions en Guinée. L’homme d’affaires breton est soupçonné d’avoir favorisé l’élection du président Alpha Condé en contrepartie de la concession du terminal à conteneurs du port de Conakry à son groupe. Dans ce dossier, la neuvième fortune française est également mise en examen pour la concession du port de Lomé, au Togo.

Selon son rapport annuel 2017, Socfin emploie 31 000 personnes dans le monde (mais seulement une dizaine à son siège officiel à Luxembourg), exploite 192 000 hectares de plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans une dizaine de pays et a réalisé l’an dernier un bénéfice de 11,4 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 625 millions.

Des communautés villageoises, notamment au Cameroun, ont, ces dernières années, accusé Socfin de s’être rendue coupable d’accaparement de terres, une affaire dont a été saisie au Luxembourg le Point de contact national (PCN) de l’OCDE. Plusieurs médias français qui avaient rendu compte de l’affaire ont été poursuivis par Socfin et Vincent Bolloré qui, à ce jour, ont renoncé ou perdu l’ensemble de ces procès de presse.

La prochaine assemblée générale des actionnaires de Socfin aura lieu mercredi 30 mai à Luxembourg.

Fabien Grasser

 

Socfin écrit au Quotidien

À la suite de la publication, le 22 mai, d’un article sur un procès de corruption à Bruxelles, visant notamment Hubert Fabri, le principal actionnaire et président du conseil d’administration de Socfin, la multinationale luxembourgeoise a fait parvenir un «droit de réponse» au Quotidien par l’intermédiaire de son avocat. En voici la teneur :

«Dans un article paru sur le site internet du Quotidien sous le titre « Socfin jugée en Belgique pour corruption » en date du 22 mai 2018, SOCFIN a été mise en cause dans les termes suivants :

«La multinationale Socfin, filiale à 38,7 % du groupe Bolloré, est poursuivie à partir d’aujourd’hui devant la justice belge dans une affaire de corruption portant sur le versement de 4,2 millions d’euros à la Guinéenne Mariama Camara, ancienne directrice d’une société publique, devenue ministre de l’Agriculture en décembre.

[…]

Des communautés villageoises, notamment au Cameroun, ont, ces dernières années, accusé Socfin de s’être rendue coupable d’accaparement de terres, une affaire dont a été saisi au Luxembourg le Point de contact national (PCN) de l’OCDE. Plusieurs médias qui avaient rendu compte de l’affaire ont été poursuivis par Socfin et Vincent Bolloré qui, à ce jour, ont perdu l’ensemble de ces procès de presse.»

Contrairement à ce qui affirmé est au premier paragraphe précité, SOCFIN n’est pas poursuivie dans la procédure évoquée par l’auteur. À la connaissance de SOCFIN, les prévenus contestent les infractions qui leur sont reprochées. Pour le reste, SOCFIN n’entend pas commenter une procédure judiciaire en cours.

Quant au second paragraphe précité, SOCFIN, seule, a effectivement poursuivi devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, trois médias et deux ONG français, à la suite des accusations qui avaient été portées à son encontre, afférentes à de prétendus accaparements de terres notamment au Cameroun.

Le Tribunal a relaxé les auteurs desdites accusations en considération de leur bonne foi.

Il a été interjeté appel desdites décisions.

Toutefois, il est important de souligner que les cinq jugements en question ont expressément relevé que les accusations d’accaparements de terres n’avaient pas été établies et que les propos poursuivis de ce fait présentaient bien un caractère diffamatoire.

C’est donc contrairement à ce qui a été jugé, que l’article précité laisse entendre que lesdites accusations ont pu apparaître comme fondées aux yeux des juridictions françaises.

SOCFIN tenait à apporter aux lecteurs du Quotidien ces précisions indispensables.»

Dans son droit de réponse, Socfin affirme ne pas être «visée par la procédure» dont a rendu compte Le Quotidien. La multinationale apporte ainsi une précision que Le Quotidien n’avait pu obtenir jusqu’à présent. Selon nos informations, les quatre personnes morales poursuivies, c’est-à-dire des entreprises, sont des entités liées au groupe. Dont acte.

Sur le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 29 mars, Socfin affirme avoir été seule à poursuivre trois médias et deux ONG. Ce n’est pas exact, puisque sa filiale camerounaise Socapalm, mise en cause par des ONG et des médias, figurait également parmi les plaignants.

Enfin, Socfin nous reproche de ne pas avoir suffisamment explicité ce jugement dans lequel les prévenus avaient été relaxés sur la base de leur bonne foi. Le Quotidien n’avait effectivement pas détaillé dans cet article le jugement car il en avait déjà rendu compte dans deux précédents articles consacrés à ce procès (le 29 mars et le 9 avril). Sur le fond, il est exact que les magistrats n’ont pas relaxé les prévenus au titre de la diffamation (pour laquelle aucune condamnation n’a cependant été prononcée), car ils n’ont pas apporté sur les faits qu’ils relataient la preuve «parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur vérité et leur signification», ainsi que le prévoit la loi française de 1881 sur la liberté de la presse.

Dans leur jugement, les magistrats parisiens se montrent néanmoins nuancés. Concernant par exemple l’ONG française ReAct, qui figurait parmi les prévenus, les juges de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris écrivent : «S’agissant d’un sujet d’intérêt général, l’auteur des propos peut en outre se prévaloir d’une base factuelle suffisante, aux fins de justifier de sa bonne foi.»

S’appuyant sur six rapports, dont deux des Nations unies, le tribunal parisien poursuit : «Le communiqué de l’association ReAct n’était pas dépourvu de base factuelle, la question des compensations financières suite aux activités de la Socapalm s’étant régulièrement posée.»

 

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