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LuxLeaks : l’heure du procès


Antoine Deltour arrivé mardi à 8h40 dans la salle d'audience, affirme avoir agi en son âme et conscience. (Photo Fabienne Armborst)

Ce mardi matin s’ouvre pour une semaine, devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de Luxembourg, le procès de l’affaire LuxLeaks. Sur le banc des accusés, deux lanceurs d’alerte et un journaliste français. Les anciens collaborateurs de PricewaterhouseCoopers Antoine Deltour et Raphaël Halet, ainsi que le journaliste Édouard Perrin, vont devoir répondre aux accusations portées par la société de consulting.

PricewaterhouseCoopers ne se doutait sans doute pas, lorsque la société a porté plainte le 5 juin 2012 pour vol domestique, violation du secret professionnel, violation de secrets d’affaires, blanchiment et accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, de ce qu’il se tramait.

Deux ans plus tard, le 5 novembre 2014, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) aidé notamment par l’émission Cash Investigation révélait les pratiques d’évasion fiscale de centaines de multinationales, à travers PwC Luxembourg et les 45 000 pages de documents transmises par le lanceur d’alerte Antoine Deltour au journaliste Édouard Perrin. L’affaire des Luxembourg Leaks, dite «LuxLeaks» était née. Un tremblement de terre qui allait ternir une nouvelle fois l’image du Grand-Duché. Et pas seulement.

Un an et demi après son déclenchement, LuxLeaks a poussé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à mettre en place l’échange automatique d’informations entre les États. Sans même parler de la commission spéciale TAXE du Parlement européen qui a tenté, parfois en vain, d’en savoir plus sur les pratiques de dumping fiscal de Pepsi, IKEA, la Deutsche Bank et plus de 300 multinationales.

Un scandale en grand, que PwC, avec ce procès, a décidé de remettre sur le devant de la scène. Des dizaines de journalistes venus du monde entier sont attendus, aujourd’hui, pour écouter les débats et les rapporter dans leurs pays. L’image du Luxembourg sera une nouvelle fois associée à celle de la finance sauvage.

La plainte de PwC ressemble à une volonté de faire un exemple de ses anciens collaborateurs, Antoine Deltour et Raphaël Halet, pour dissuader d’éventuelles nouvelles fuites. Sauf que ce procès pour l’exemple a depuis longtemps dépassé la simple affaire de vol domestique ou d’accès frauduleux à un système de traitement automatisé.

Une tribune médiatique

À Luxembourg se joue aujourd’hui un peu de la liberté d’informer, de celle des citoyens d’alerter sur les dysfonctionnements de la société. Lanceurs d’alerte et journalistes, les vigies de la démocratie, sont sur le banc des accusés. Un symbole fort, en plein cœur d’une autre affaire qui défraye la chronique, celle des Panama Papers.

Le vice-président du tribunal, Marc Thill, le premier juge, Gilles Mathay, et le juge Paul Lambert vont devoir statuer sur le fond d’une affaire qui dépasse le cadre des textes en vigueur. Au Luxembourg comme ailleurs, les lanceurs d’alerte ne sont que peu protégés, au jour d’aujourd’hui. Des textes sont en préparation, mais n’existent pas encore. D’où la certitude de PwC d’être dans son bon droit. La société n’est d’ailleurs représentée que par un seul avocat, maître Hervé Hansen, face aux six défenseurs.

Une défense qui devrait profiter du procès pour en faire une tribune médiatique, avec de nombreux témoins bien décidés à malmener ce «secret des affaires» bien utile aux multinationales. Même l’ancien Premier ministre et actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne devrait pas être épargné par les débats.

Et quel que soit l’issue de ceux-ci, il est déjà acquis que l’image de PwC et du Luxembourg va souffrir. La première n’en a cure et souhaite rassurer des clients échaudés par des fuites compromettantes. Le Luxembourg devra encore investir un peu plus dans le marketing d’image qu’il a baptisé «nation branding».

Quant aux deux citoyens et au journaliste qui ont pris le risque de se retrouver inculpés pour une cause qu’ils croyaient supérieure à leur personne, ils sont déjà, aux yeux du grand public, les icônes de la liberté d’informer. Reste que la justice ne tranche plus selon l’opinion populaire.

Christophe Chohin

Trois prévenus

Des trois prévenus, deux sont connus de longue date : Antoine Deltour et Édouard Perrin. Le premier est un ancien collaborateur de PwC au Luxembourg âgé de 30 ans. Diplômé d’une école de commerce de Bordeaux, il travaille aujourd’hui à Nancy.

L’autre ancien collaborateur de PwC, Raphaël Halet, était connu jusqu’à la semaine dernière comme Raphaël H. dans le milieu judiciaire. Contrairement à Antoine Deltour, il a choisi de ne pas se montrer dans les médias et, s’il est présent à la barre ce matin, fera sa première apparition publique dans cette affaire. Selon le Wort, il aurait négocié un accord avec PwC.

Le dernier prévenu, Édouard Perrin, est journaliste à l’agence de presse Premières Lignes, après avoir fait ses études au Centre de formation des journalistes à Paris. Il fait partie du Consortium international des journalistes d’investigation et s’est fait connaître pour son travail sur l’affaire LuxLeaks, mais aussi pour les révélations des Panama Papers. Contacté, il nous a confié qu’il ne ferait aucune déclaration avant le procès.

Édouard Perrin, le journaliste à l'origine de LuxLeaks.

Édouard Perrin, le journaliste à l’origine de LuxLeaks.

Cinq ans de prison

Parmi les chefs d’accusation, celui de blanchiment est le plus lourdement sanctionné. Selon l’article 506-1 du code pénal, les prévenus encourent un emprisonnement d’un à cinq ans et une amende de 1 250 euros à 1 250 000 euros, ou de l’une de ces peines seulement.

Une partie civile

PriceWaterhouseCoopers, qui a porté plainte contre Antoine Deltour, Raphaël Halet et Édouard Perrin, est la première société d’audit au monde. Elle est présente dans 157 pays, avec plus de 200 000 salariés. Au Luxembourg, elle a réalisé, en 2014, un chiffre d’affaires de 315 millions d’euros, soit une croissance de 10 %. Un chiffre d’affaires qui est dû à 47 % aux activités d’audit, à 27 % à l’expertise fiscale et à 24 % au conseil. Au 1er janvier 2015, elle employait 2 500 personnes originaires de 55 pays au Grand-Duché.

En septembre 2014, la société avait quitté le quartier de la Cloche d’or, à Luxembourg, pour rejoindre le Ban de Gasperich et son nouveau siège, le Crystal Park, un bâtiment de 30 000 m2. À la Cloche d’or, PwC travaillait en étroite collaboration avec la société Alter Domus, spécialisée dans la domiciliation, selon les documents de LuxLeaks.

Sept témoins

L’avocat d’Édouard Perrin, Me Michel Roland, aurait appelé à témoigner Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, Pascal Saint-Amans, «Monsieur Fiscalité» à l’Organisation de coopération et de développement économiques, ainsi que… Marius Kohl, l’ancien préposé au bureau Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes.

Sven Giegold, un eurodéputé allemand (verts), et John Christensen, directeur de Tax Justice Network, deux pourfendeurs de l’injustice fiscale, sont également invités à témoigner par la défense d’Antoine Deltour. Avec de tels «invités», la ligne de défense de l’ex-employé de PwC semble très claire : démontrer que le «vol» des documents fiscaux a servi l’intérêt général.

Côté accusation, seuls deux témoignages sont attendus : ceux de l’enquêteur Roger Hayard et de la responsable des audits internes de PwC, Anita Bouvy-Cloos.

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