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Procès LuxLeaks (4e jour) : Raphaël Halet assume et disculpe le journaliste


Raphaël Halet au tribunal d'arrondissement de Luxembourg, en 2016. (photo Hervé Montaigu)

Interrogé ce vendredi devant le tribunal correctionnel de Luxembourg, Raphaël Halet, l’un des trois accusés du procès LuxLeaks, a déclaré avoir agi de sa propre initiative lorsqu’il a transmis seize déclarations fiscales de clients de son ex-employeur PwC au journaliste Edouard Perrin.

Jusqu’ici dans l’ombre de la frénésie médiatique autour d’Antoine Deltour, le second lanceur d’alerte inculpé dans le procès LuxLeaks a livré sa vérité au tribunal, ce vendredi matin. Raphaël Halet, ancien responsable de la numérisation des documents pour le cabinet d’audit PwC Luxembourg, est poursuivi pour vol domestique, divulgation de secret d’affaire, violation de secret professionnel et blanchiment pour avoir transmis en 2012 seize déclarations fiscales au journaliste français Edouard Perrin, lui même accusé des mêmes chefs en tant que complice.

Sur son propre rôle, Raphaël Halet a pleinement assumé ses actes à la barre. C’est à la suite de la diffusion de l’émission « Cash Investigation », réalisée par Edouard Perrin en mai 2012, qu’il a « compris le contenu des documents qu’on voyait passer » chez PwC. Le reportage montrait en effet pour la première fois l’ampleur et la nocivité de l’industrie luxembourgeoise de l’optimisation fiscale, sur la base des données fournies par Antoine Deltour (que Raphaël Halet ne connaissait pas).

« J’assume mes actes »

« Il n’était pas possible que je participe moi-même à ces pratiques choquantes, je pensais à mon devoir d’alerte en tant que citoyen. Cela allait contre mes valeurs et je ne pouvais pas rester sans rien faire. Le seul canal possible était ce journaliste », déclare Raphaël Halet vendredi face aux juges. « Pourquoi n’avez-vous pas plutôt démissionné ? », questionne le président du tribunal. « J’ai cherché un autre emploi, mais ça ne s’est pas fait, et c’était une période difficile de ma vie sur le plan physique et psychologique », répond le lanceur d’alerte.

Dès lors, Halet prend contact par mail avec Perrin et propose lui-même de fournir les documents fiscaux au journaliste, « sans contrepartie », via la fameuse boîte mail « centmilledollarsausoleil@gmail.com » créée spécialement par Halet.

Perrin, au pire, aurait seulement suggéré dans un mail que les cas d’Amazon et d’Ikea pourraient l’intéresser particulièrement, confirme Halet ce vendredi. Une version qui contredit l’audition de l’ex-employé de PwC en 2014 devant le juge d’instruction, durant laquelle Halet avait raconté avoir été sollicité voire manipulé par Perrin, ce qui vaut au journaliste d’être inculpé aujourd’hui comme complice. « Il y a beaucoup de changement dans vos dépositions », s’agace le procureur d’État adjoint, David Lentz.

Pourquoi « un tel revirement » ? « Au bout d’un moment, j’assume mes actes », justifie désormais Raphaël Halet, qui dit avoir mal réagi à la pression des auditions devant le juge et chez PwC. Après de telles déclarations, et vraisemblablement sans autre preuve matérielle conséquente, le journaliste de « Cash Investigation » semble s’éloigner d’une condamnation.

Halet cite Juncker pour justifier ses actes

C’est fin 2014, à la suite de la publication des documents LuxLeaks (ceux de Deltour et ceux de Halet) par l’ICIJ (Consortium international de journalistes d’investigation) que PwC identifie rapidement Halet comme la deuxième « taupe ». Un accord est signé entre les deux parties, y compris la femme de Halet, en vue de son licenciement le 1er mai 2015. Depuis, le lanceur d’alerte a préféré faire « profil bas ». Il n’a pas retrouvé d’emploi et vit de ses allocations chômage.

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Ses avocats plaideront sa bonne foi au service de l’intérêt général. Me Bernard Colin n’en fait pas mystère : « Le but ultime de ce procès est de construire une jurisprudence pour les lanceurs d’alerte, plus que de dénoncer le système (NDLR : d’optimisation fiscale massive), ce dont les politiques sont en train de s’emparer. » Les deux lanceurs d’alerte ayant reconnu la matérialité des faits, une condamnation risque d’être inévitable à ce premier échelon judiciaire (reste à savoir l’ampleur de la peine), et l’affaire se terminera très certainement devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

En attendant, Raphaël Halet a montré un certain mordant vendredi. Avant de quitter la barre, face à l’avocat de PwC qui met en doute ses motivations citoyennes, il lui rétorque que l’évasion fiscale est « un coup de hache à l’intérêt général ». Puis cite une phrase de… Jean-Claude Juncker, reconnaissant que la faible taxation des entreprises ne «correspond pas au concept de justice fiscale et aux normes éthiques et morales généralement admises».  « Cette phrase résume parfaitement les raisons qui m’ont poussé à agir. »

Le procès se poursuivra mardi matin avec l’audition d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin.

Sylvain Amiotte

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Tamponnage des rulings à la chaîne : Halet déballe tout

Interrogé par son avocat Me Bernard Colin, l’ex-employé au « Tax process support team » chez PwC a déballé, vendredi, tout ce qu’il savait du fonctionnement de l’industrie luxembourgeoise des « tax rulings » tamponnés à la chaîne.

Des rescrits fiscaux très avantageux pour les multinationales qui, selon Halet, étaient préparés dans les locaux du cabinet d’audit directement avec du papier à en-tête de l’administration fiscale (!), pour lui « faciliter la tâche ». Des dossiers épais et très techniques qui partaient ensuite le mercredi à 13h30 dans le bureau des Sociétés 6 de Marius Kohl, pour revenir validés par le fisc « dès 17 heures » chez PwC, « parfois 30-40 en une seule journée », ce qui correspond à « 3 minutes par page ».

Des rulings qui, enfin, étaient numérisés par les bons soins de PwC Luxembourg, qui transmettait ensuite les clés USB au bureau de M.Kohl, « pour lui faire gagner du temps », détaille Raphaël Halet. Ce qui revient à dire, souligne Me Colin, que le secrétariat et l’archivage de l’Administration des contributions était sous-traité aux sociétés contribuables elles-mêmes, via PwC.

Quant à savoir si PwC Luxembourg avait subi un préjudice à la suite de l’affaire LuxLeaks, l’ex-employé est catégorique : non seulement le cabinet d’audit n’a pas perdu de clients, mais il en aurait gagné grâce à ce coup de « publicité », « certains sociétés appelaient car elles ne savaient pas que PwC proposait ce genre de prestations ».

Sy.A.

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