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Edouard Perrin : « Je suis journaliste, pas un commanditaire »


Le journaliste Edoaurd Perrin, au premier jour du procès LuxLeaks, le 26 avril à Luxembourg. (photo LQ)

C’était ce mardi la Journée mondiale de la liberté de la presse. Accusé d’être complice de la violation de secret professionnel reprochée à Raphaël Halet, le journaliste français Edouard Perrin s’est défendu d’avoir manipulé le lanceur d’alerte pour obtenir seize déclarations fiscales d’entreprises clientes de PwC. Selon lui, « on essaie de faire peur aux lanceurs d’alerte et aux entreprises de presse ».

« Je suis journaliste, je ne suis commanditaire de rien du tout. Je récuse fermement ce terme que le parquet avait utilisé dans un communiqué pour me qualifier. » Pendant que le Premier ministre Xavier Bettel osait un communiqué s’indignant de voir les journalistes « gênés dans leur travail au sein même de l’Union européenne », à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Edouard Perrin s’est défendu sans ciller, ce mardi matin, à la barre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. C’est lui qui a révélé le premier, dans l’émission « Cash investigation » en mai 2012, la pratique d’accords fiscaux secrets et très avantageux pour les multinationales au Grand-Duché.

Ses sources ont été les deux lanceurs d’alerte, ex-employés de PwC Luxembourg, inculpés dans ce procès : les 45 000 pages de tax rulings fournies par Antoine Deltour à l’été 2011, et les seize déclarations fiscales données par Raphaël Halet. Des documents qui seront publiés fin 2014 par l’ICIJ (Consortium international de journalistes d’investigation), donnant naissance à l’affaire LuxLeaks.

Procès LuxLeaks (5e jour) – Antoine Deltour : « C’était un mal nécessaire »

 

Journaliste pour l’agence Premières lignes, Edouard Perrin est poursuivi uniquement pour ses liens avec Raphaël Halet, pas ceux avec Deltour. Le parquet lui reproche d’avoir « orchestré » la remise des documents par Halet. Or, vendredi, le lanceur d’alerte est revenu sur ses déclarations faites au juge d’instruction il y a un an et demi. Motivé par un « devoir citoyen », il assume désormais avoir lui-même contacté le journaliste pour lui proposer les documents.

Edouard Perrin n’a donc eu qu’à dérouler la lecture des mails échangés avec l’ex-employé de PwC en 2012. « Je souhaite dénoncer ce scandale fiscal, mais je veux la protection de mon anonymat », lui écrit Halet en mai 2012, dix jours après la diffusion de l’émission « Cash investigation » réalisée par Perrin.

Le journaliste l’assure aussi, mails à l’appui : c’est bien Halet qui lui a proposé les documents de sociétés précises telles qu’ArcelorMittal, Ikea ou Amazon. Le président du tribunal puis le procureur adjoint citent tour à tour un mail dans lequel Perrin évoque les deux dernières entreprises. « C’était une relance à une proposition d’information de sa part. C’était uniquement suite à ses propositions (ndlr : de Halet) », rétorque le journaliste.

Vaines tentatives du procureur adjoint

Le procureur d’État adjoint, David Lentz, ne s’avoue pas vaincu : « Quand M.Halet vous a contacté, vous deviez être comme un enfant devant un magasin de jouets ! » Le journaliste : « Non, j’étais extrêmement méfiant. » Le procureur : « En tant que journaliste d’investigation, n’allez-vous pas l’aiguiller, sachant que vous savez ce dont vous avez besoin et que M.Halet n’y connaît rien ? Vous le laissez se débrouiller ? » Perrin écarte une nouvelle fois les accusations.

Lire aussi : Procès LuxLeaks : quand le juge défend la réputation du Luxembourg

 

Le journaliste aurait lui-même décidé du « mode opératoire » de la transmission, à savoir un échange de brouillons de mails sur une boîte électronique commune ? « Ce système de la boîte morte n’a pour unique but que de protéger l’anonymat de la source et sécuriser les échanges », répond Edouard Perrin.

Privé de preuves, le procureur va jusqu’à insinuer un nouveau chef d’accusation, la subornation de témoin, en demandant au journaliste s’il est intervenu auprès de Raphaël Halet pour qu’il revienne sur ses déclarations. Le prévenu n’en revient pas : « Le seul fait que vous posiez cette question dans cette enceinte est une information en soi. » Le président : « La réponse est non. »

Sylvain Amiotte

Édouard Perrin : « On essaie de faire peur »

Quel est votre sentiment après cette audience ?

Edouard Perrin : Je crois avoir été assez clair. J’insiste sur le fait que le procureur a jugé bon de me demander si j’avais fait pression sur Raphaël Halet pour qu’il change son témoignage. Ce qui est proprement ahurissant, quand on sait que Raphaël Halet était soumis à un accord de confidentialité qui pesait 10 millions d’euros. Je vous laisse juge de ce que ça peut refléter comme fébrilité dans la procédure.

Vous n’acceptez pas qu’on dise de vous que vous êtes un commanditaire ?

Je ne suis pas un commanditaire, ça fait un an que je suis qualifié comme tel (ndlr : par le parquet). On a bénéficié d’un non lieu et encore aujourd’hui les question sont orientées comme si rien ne s’était passé depuis un an.

Vous estimez que vous n’avez rien à vous reprocher ?

Non, clairement non. S’il y a un sujet plus d’intérêt général que celui des finances publiques, les impôts, ceux qui en paient et ceux qui n’en paient pas, je ne sais pas lequel c’est.

Est-ce qu’on fait ici le procès des journalistes d’investigation ?

Je ne sais pas, je pense qu’on essaie de faire peur, clairement. Peur aux lanceurs d’alerte, c’est évident, aux journalistes je ne sais pas, mais peur aux entreprises de presse, oui c’est sûr. Vous connaissez la santé vaillante des entreprises de presse et leur état financier. Ce genre de procédures peut éventuellement conduire à réfléchir à deux fois avant de s’embringuer dans une affaire de ce type.

Si vous deviez être condamné, ce serait une atteinte au travail des journalistes et cela pourrait faire jurisprudence contre leur liberté d’enquêter ?

Que ce soit avec ce procès ou dans les prochains mois, toute une jurisprudence va se créer sur les thèmes des lanceurs d’alerte et du secret des affaires. La directive qui vient d’être approuvée à Bruxelles sur le secret des affaires demande aux journalistes d’apporter la preuve de l’intérêt général pour lequel ils ont choisi d’enfreindre ce secret. Cette directive a été majoritairement approuvée par les députés. Il est clair que les journalistes qui vont oser aller sur ce terrain-là vont se retrouver devant des juridictions. Donc il y aura une jurisprudence. Qu’elle commence ici ou pas, ce n’est pas à moi de le dire.

Un commentaire

  1. Des dizaines de milliards soustraits au bien commun, le sage montre la lune et sotte justice entend faire le procès du doigt.

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