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Procès LuxLeaks : un acquittement « au goût amer » pour Edouard Perrin


"C'est une victoire au goût amer", réagit Edouard Perrin, ici lors du procès au tribunal de Luxembourg. Le journaliste a été acquitté mercredi. (photo archives LQ)

Certes acquitté dans le procès LuxLeaks, le journaliste français Edouard Perrin juge « scandaleuse » la condamnation des lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet.

« J’aimerais pouvoir me dire soulagé, mais ce n’est pas le cas. C’est pour moi une victoire au goût amer, tant les condamnations infligées à Antoine Deltour et Raphaël Halet sont scandaleuses. » Au lendemain du verdict, la pilule ne passe pas pour le journaliste de 45 ans, qui avait révélé les premiers éléments de l’affaire LuxLeaks dans l’émission « Cash Investigation » en 2012.

Poursuivi pour divulgation de secrets d’affaires, violation du secret professionnel et blanchiment-détention des seuls documents soustraits par Raphaël Halet, Edouard Perrin a été totalement acquitté, mercredi. « Nous avons toujours dit que mon inculpation était une erreur. Les juges le reconnaissent dans leur jugement. Lorsque j’ai été accusé d’être le commanditaire du vol (ndlr : une charge qui a finalement fait l’objet d’un non-lieu en 2015 devant la Chambre du conseil), j’ai bien fait de ne rien dire à la juge d’instruction, car il s’agissait d’un dossier entièrement à charge et troué juridiquement. »

« Nous ne sommes pas des pirates »

Actuellement aux Etats-Unis et absent à l’énoncé du verdict mercredi, Edouard Perrin se réjouit de cette relaxe : « Pour moi, il ne pouvait en être autrement. Cette décision rétablit mon intégrité journalistique et le bien-fondé de nos méthodes de travail (ndlr : à l’agence Premières lignes). Pour nous, c’est capital. Nous ne sommes pas des pirates, ni des voyous. Pour cela, c’est une bonne nouvelle. »

Mais le revers de la médaille est difficile à avaler pour le journaliste, qui voit ses deux sources dans le dossier LuxLeaks condamnées à 12 mois de prison avec sursis pour l’un, 9 mois avec sursis pour l’autre. « C’est déplorable. D’autant plus que dans leur jugement, les juges reconnaissent leur travail de lanceurs d’alerte ayant agi dans l’intérêt général et ayant fait avancer le débat sur la justice fiscale au niveau mondial. Mais selon les juges, ni le droit luxembourgeois, ni le droit européen ne les protègent. Ils sont donc condamnés comme des voleurs domestiques, c’est ce qu’il y a de pire. »

« Ils ne pouvaient pas s’y prendre autrement »

Edouard Perrin rappelle l’impact de l’affaire LuxLeaks : « Les juges s’arrêtent au milieu du chemin, alors que les documents que ces deux hommes m’ont confié ont révélé le caractère industriel de l’évasion fiscale et ainsi permis de faire bouger les choses. Leurs avocats avaient plaidé l’état de nécessité, qui autorise à commettre une action illégale pour empêcher un dommage plus grand : il n’y a pas plus urgent que l’enjeu d’une fiscalité équitable au sein de l’Union européenne, et c’est ce à quoi ont travaillé ces deux hommes, dans un geste totalement désintéressé. Ils ne pouvaient pas s’y prendre autrement. »

La loi luxembourgeoise ne protège les lanceurs d’alerte qu’en cas de dénonciation d’infractions comme le blanchiment. « En les prenant au cas par cas, certains rulings s’apparentent pourtant à des agréments fiscaux qui ne sont pas vraiment légaux », estime pourtant Edouard Perrin, comme avaient tenté de le démontrer les avocats des lanceurs d’alerte lors du procès. En vain visiblement.

« L’urgence de protéger les lanceurs d’alerte »

Concernant le droit européen, malgré une jurisprudence favorable invoquée par la défense, les magistrats luxembourgeois ont estimé dans leur jugement que les lanceurs d’alerte n’étaient « pas protégés par une quelconque norme juridique (…). Au contraire, la nouvelle proposition de directive sur le secret des affaires adoptée par le Parlement européen entend encore resserrer le cadre de cette protection du lanceur d’alerte et augmenter la protection du secret des affaires au niveau européen. »

Pour Edouard Perrin, qui s’est battu parmi d’autres journalistes contre cette directive sur le secret des affaires, »cela prouve que les juges locaux auront le dernier mot sur la façon dont on définit l’intérêt général ». Et d’ajouter : « Il serait heureux que les parlementaires européens ayant voté pour cette directive tout en prétendant défendre les lanceurs d’alerte prennent connaissance de ce jugement. Il n’est jamais trop tard pour s’instruire. »

Selon le journaliste, « ce jugement redonne clairement une urgence à créer une véritable protection des lanceurs d’alerte en Europe, selon une définition large qui ne se limite pas à la dénonciation d’infractions mais qui inclut de façon précise la défense de l’intérêt général. »

Une chose est sûre, conclut Edouard Perrin, « cette affaire ne va pas changer ma façon de travailler, au contraire ça la renforce ».

Sylvain Amiotte

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