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Deborah De Robertis : « Je n’aime pas la provocation »


Deborah De Robertis : «J'en garde un souvenir doux, comme si le temps s'était arrêté. Même si de l'extérieur, certains ont reçu ce geste comme quelque chose d'extrêmement violent.» (Photo Vivien Deleuze/Deborah De Robertis)

Il y a un an, jour pour jour, elle faisait le buzz en exposant son sexe sous L’Origine du monde, célèbre tableau de Gustave Courbet, au musée d’Orsay, à Paris. Aujourd’hui, l’artiste luxembourgeoise, qui est au programme du Casino en septembre prochain, revient pour Le Quotidien sur ce geste et sa démarche artistique. Témoignage à tête reposée.

Il est 14h30 ce 29 mai 2014, jour de l’Ascension, salle 20 du musée d’Orsay. Sur une vidéo, qui a circulé depuis encore et encore sur internet, on y voit une jeune femme. En fond sonore, l’Ave Maria de Schubert, puis sa voix enregistrée, comme dans une prière incantatoire : «Je suis l’origine/Je suis toutes les femmes/Tu ne m’as pas vue/Je veux que tu me reconnaisses/Vierge comme l’eau/Créatrice du sperme».

Et là, l’artiste, le visage maquillé de larmes dorées, vêtue d’une simple robe de la même couleur rappelant le cadre du tableau de Gustave Courbet, écarte les cuisses devant L’Origine du monde et confronte le public au «regard du modèle». Applaudissements d’une partie du public, affolement de la sécurité et, forcément, agitation sur le net, qui frétille dès qu’un sexe se dévoile. Après un long débat avec la police sur les frontières de l’art, elle défend ses positions et refuse littéralement qu’on utilise le terme «exhibitionnisme» dans sa déposition.

Elle s’en tire alors avec un simple rappel à la loi après quelques heures de garde à vue. Deborah De Robertis, 30 ans, vient, d’un geste, de passer de l’anonymat à la célébrité numérique. Elle qui dit «aborder la nudité du point de vue de celle qui est regardée», a rarement eu l’occasion de s’expliquer, surtout dans son pays d’origine. Elle rattrape le coup et se confie sans retenue, un an après donc.

Quel souvenir gardez-vous de votre intervention au musée d’Orsay, il y a un an, jour pour jour ?

Deborah De Robertis : J’avais assez peur, sachant que c’était la première fois que j’exécutais ce geste en public. Je m’étais préparée à cela, mais malgré tout, je tremblais beaucoup. Il y avait aussi cette gardienne, assise là, qui n’était pas à cette place durant mes repérages. Mais il faut faire avec les imprévus… Je me suis alors lancée : j’ai marché droit, ouvert mes cuisses, mon sexe, mes yeux. À partir de là, je ne me suis jamais sentie aussi calme de ma vie, comme dans un état second, et l’agitation s’est alors créée à l’extérieur. J’étais devenue spectatrice du geste que j’avais accompli.

Vous aviez déjà entamé depuis une année une série de photos du même acabit, intitulée « Mémoires de l’origine ». Là, devant le tableau de Courbet, c’est donc le graal que vous touchiez…

J’avais déjà réalisé une photographie dans la même posture deux mois auparavant. À ce moment, devant la caméra, la seule différence que j’ai ressentie, c’est un vertige. Avant, j’étais anonyme. Mais là, j’ai eu l’impression de m’exposer pour la toute première fois.

Justement, sachant que cela faisait dix ans que votre étude artistique était la même, aviez-vous été surprise de l’ampleur des réactions, notamment sur internet ?

Je suis toujours étonnée des réactions, malgré mon habitude. Étudiante, quand je faisais des films à l’école d’art de Bruxelles, c’était déjà le cas. Cette surprise, à grande ou petite échelle, finalement, reste la même. C’est juste le reflet d’une transgression qui n’existe pas pour moi.

Honnêtement, ce buzz, comme on dit, vous ne l’aviez pas un peu cherché ?

Je n’ai jamais cherché à choquer. Ça n’a jamais été un objectif chez moi, simplement parce que c’est tellement facile de faire dans le sensationnel. Je n’aime pas le buzz, j’aime l’impact ! Je n’aime pas la provocation, qui est vue par le public, mais ne fait pas partie de mon travail. Mon but, notamment dans le montage de mes films, est plutôt de générer une forme d’empathie chez le spectateur, mais pour le comprendre, il faut saisir – et prendre en compte – le contexte dans lequel s’inscrit l’ensemble de ma démarche qui questionne la place du modèle féminin.

Aujourd’hui, sur internet, beaucoup de personnes consomment du porno. Le sexe est surexposé, à portée de clic, mais quand il est déplacé dans l’art au travers d’une réflexion, on s’en insurge ! Ce qui choque, ce n’est pas le sexe en soi, c’est la prise de position, donc cette liberté qu’a un artiste de donner son point de vue.

Cette performance vous a-t-elle servie ou desservie ?

Disons que j’assume un geste. Je voulais que tout mon travail au préalable soit vu à travers le prisme de cette performance, et au final, de L’Origine du monde. J’ai réussi exactement à faire ce que je voulais. Dans ce sens, donc, c’est un succès ! Après, on ne maîtrise jamais un buzz, qui est souvent déplacé de son contexte originel. À moi de rétablir et affiner mon point de vue, dès que je le peux, notamment à travers les médias.

Avez-vous des regrets ? Aborderiez-vous, aujourd’hui, cette performance différemment ?

J’en garde un souvenir doux, comme si le temps s’était arrêté. Même si de l’extérieur, certains ont reçu ce geste comme quelque chose d’extrêmement violent. Mais non, je ne changerais rien et je recommencerais exactement de la même manière.

Entretien avec Grégory Cimatti

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce vendredi

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