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LuxLeaks : quand PwC rendait service au fisc


Crystal Park, le bâtiment flambant neuf inauguré par PwC en 2014 à Gasperich : 2 600 personnes travaillent dans cette cathédrale des temps modernes. (Photo archives Alain Rischard)

Pendant au moins quatre ans, PwC Luxembourg a réalisé des tâches administratives et d’archivage pour les services fiscaux de l’État. Pour le cabinet d’audit, cette pratique était légale. L’administration et le gouvernement restent discrets sur le sujet, tandis que la justice n’y voit pas matière à ouvrir une enquête. Des juristes émettent des doutes.

Le cabinet PwC a utilisé pendant plusieurs années du papier à en-tête de l’administration des Contributions directes et effectué des travaux d’archivage pour elle, racontait Raphaël Halet le 29 avril dernier, devant le tribunal correctionnel de Luxembourg où il comparaissait aux côtés d’Antoine Deltour et d’Édouard Perrin dans le procès dit LuxLeaks, dont le verdict sera rendu mercredi.

Ancien employé de l’équipe de soutien administratif au département Fiscalité de PwC, Raphaël Halet avait expliqué qu’il s’agissait de faire «gagner du temps» à l’administration des Contributions directes. Plus précisément de faciliter le travail du bureau d’imposition Sociétés 6, le bureau des rulings, le bureau de Marius Kohl. Le préposé aujourd’hui à la retraite a signé des milliers de rulings au cours de sa carrière. Par ces accords fiscaux, les multinationales minimisaient leur imposition grâce à de savants montages fiscaux que leur offrait le Grand-Duché. Les règles internationales ont changé depuis, la manne des rulings se tarit et les multinationales emploient d’autres astuces pour «optimiser» leur fiscalité.

Un simple arrangement verbal

Marius Kohl a signé tant de rulings qu’à partir de 2010, son unique secrétaire s’est trouvée dans l’impossibilité d’assurer des travaux administratifs et d’archivage devenus gigantesques. Chaque ruling comprenait au moins 20 à 30 pages et Marius Kohl en signait par brassées entières chaque mois, plusieurs dizaines au moins. L’administration «n’avait pas le temps de les scanner», avait dit Raphaël Halet à la barre. «Chez nous à PwC, une personne dans l’équipe ne faisait que ça de la semaine», avait-il précisé. Les données étaient ensuite transmises à la secrétaire de Marius Kohl, le plus souvent sur des clés USB, permettant leur archivage numérique dans le système informatique de l’administration.

Le cabinet était devenu, en l’absence de tout contrat, un sous-traitant informel du fisc, avec lequel il négociait par ailleurs des rulings. PwC a commencé à rendre ces «services» à l’administration en 2010 et la pratique a perduré jusqu’en 2014, plusieurs mois après le départ en pension de Marius Kohl, à l’automne 2013. L’arrangement s’était fait verbalement entre le préposé et un cadre de PwC. Il était la conséquence de demandes de plus en plus pressantes et nombreuses de rulings par les cabinets d’audit, eux-mêmes sous pression des multinationales, à la recherche de taux d’imposition toujours plus bas.

PwC coupe le robinet à copies

Pour chaque ruling, il existe deux originaux, imprimés sur un papier crème, puis filigranés à partir de 2012. Un exemplaire partait chez PwC, l’autre rejoignait les rayonnages sécurisés de l’administration des Contributions directes. PwC fournissait des copies numérisées des rulings à ses clients disséminés aux quatre coins du monde. Mais en 2009, le cabinet s’aperçoit que des cadres de multinationales s’en servent pour négocier de meilleurs tarifs auprès de ses concurrents, essentiellement ceux du Big Four : E&Y, KPMG et Deloitte.

PwC coupe dès lors le robinet à copies et les clients doivent désormais se déplacer directement à Luxembourg pour consulter les documents en présence d’un cadre de PwC. Pour preuve que leur ruling avait bien été accepté, le cabinet envoyait à ses clients une «confirmation letter», un document officiel à en-tête de l’administration, signée et tamponnée par Marius Kohl.

Normalement il faut un contrat

C’est ce document que des employés du département fiscal du cabinet rédigeaient sur papier blanc à la place du bureau Sociétés 6. L’administration avait fourni à PwC l’en-tête officiel des Contributions directes sous forme d’un fichier électronique. Selon nos informations, 20 à 25 salariés de PwC auraient, au fil des ans, rempli ces documents à en-tête de l’administration.

Ce type d’arrangement est-il bien régulier, est-il légal ? Toutes les prestations effectuées par une société privée pour le compte d’un service de l’État sont en principe encadrées par un contrat, une convention, affirme un fonctionnaire au ministère de la Fonction publique.

Pas d’indice d’infraction selon le parquet

Wim Piot, Tax Leader de PwC Luxembourg, ne nie pas l’utilisation de ce papier à en-tête de l’administration fiscale, ni l’archivage des documents. «Il y avait beaucoup de photocopies à faire», a-t-il assuré le 3 juin dernier, au cours d’un long échange qu’il a accordé au Quotidien dans les locaux du cabinet d’audit, à Gasperich. «Ce n’est pas illégal», a insisté Wim Piot. Le Tax Leader nous a confirmé cet usage quelques jours plus tard par écrit, soulignant que chaque dossier de ruling soumis à l’administration «était accompagné d’un projet de lettre de transmission standard à en-tête de l’administration de 6 lignes qui comprenait les coordonnées de la société demanderesse. Ensuite, si l’administration, après examen du dossier, décidait d’accepter la demande de ruling, elle tamponnait et signait la lettre de transmission.»

En somme, rien de répréhensible, selon PwC. Ce qui est aussi l’opinion du parquet : «Il n’y a pas d’enquête en cours alors qu’il n’y a pas d’indices faisant apparaître l’existence d’une infraction», nous a-t-il communiqué.

Du côté de l’administration, la prudence est cependant palpable. Et nos questions sur la régularité ou non d’une telle procédure restent sans réponse depuis plus d’un mois.

Les juristes interrogés sur cette pratique sont dubitatifs, parlent d’un possible conflit d’intérêts, s’étonnant de la légèreté de l’administration.

Fabien Grasser

déi Lénk presse les ministres de questions

S’appuyant largement sur l’entretien de Raphaël Halet au Quotidien du 16 mai, ainsi que sur les prestations effectuées par PwC pour l’administration des Contributions (ACD) détaillées dans Le Quotidien papier de ce mardi 28 juin, les députés déi Lénk David Wagner et Marc Baum ont réagi ce même jour via une question parlementaire adressée aux ministres des Finances et de la Justice.

Neuf questions ont été posées, précisément. A Pierre Gramegna, les députés demandent notamment quel était son degré de connaissance du sujet et s’il est en mesure de confirmer que du papier à en-tête de l’ACD a bien été utilisé par PwC. « S’agit-il d’un fonctionnement normal d’une administration de l’État ou bien d’un dysfonctionnement », interroge déi Lénk. Et « une enquête interne a-t-elle été lancée afin de vérifier les propos de Monsieur Halet ? ».

Les députés veulent encore savoir, si de l’avis de Felix Braz, y a-t-il « suffisamment d’indices pour présumer une infraction pénale et notamment un délit de corruption active ? ».

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