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Procès de la finance sauvage : un milliard d’euros à la barre


Le prononcé dans l'affaire Hellas-II sera, quoi qu'il arrive, retentissant. (illustration archives Isabella Finzi)

La société holding luxembourgoise Hellas Telecom II, qui contrôlait indirectement l’ancien opérateur grec de téléphonie Wind Hellas, avait versé, en 2006, 974 millions d’euros de dividendes. Pour certains indue, pour d’autres justifiée, cette somme était hier au cœur des débats au tribunal de commerce de Luxembourg.

Pas moins de treize avocats, presque autant de mémoires de défense, une salle surchauffée et des plaidoiries interminables : il était impossible, hier, de douter de l’importance du dossier qui était jugé devant le tribunal de commerce. Et pour cause : en jeu, près d’un milliard d’euros que se disputent le liquidateur de la société Hellas-II et les avocats des fonds de placement Apax et Texas Pacific Group (TPG).

Les Anglais d’Apax et les Américains de TPG avaient racheté le troisième opérateur de téléphonie mobile grec, Tim Hellas, en 2005, puis le quatrième, Q Telecom, quelques mois plus tard, pour 390 millions d’euros d’apport direct et 1,6 milliard d’émissions obligataires, de la dette. Cet achat avait donné naissance au groupe Wind Hellas.

Endetté à hauteur de 2 milliards d’euros mais extrêmement rentable selon la défense, le groupe avait reversé en décembre 2006, juste après sa fusion, 974 millions d’euros de dividendes à Apax et TPG. Deux mois plus tard, en février 2007, Wind Hellas était revendu au groupe égyptien Weather, du milliardaire Naguib Sawiris, pour 500 millions d’euros. Avec un investissement de 390 millions d’euros en 2006 et en moins d’un an, Apax et TPG réalisaient ainsi une très belle opération.

«Un cadeau fait à l’actionnaire»

Sauf que ces dividendes de 974 millions d’euros sont à l’origine de l’affaire qui secoue le microcosme économique luxembourgeois. Ils ont été versés grâce à l’utilisation d’instruments financiers hybrides, les CPEC (Convertible Preferred Equity Certificates), des certificats d’actions convertibles de droit luxembourgeois. Émis en 2006 par Hellas-II sur une durée de trente ans pour un montant de 27 millions d’euros, ils auraient vu leur valeur multipliée par 36 en quelques semaines.

Pour le liquidateur, représenté par Me Claude Geiben, Apax et TPG se seraient en fait servis dans des caisses déjà vides grâce à l’outil des CPEC. Selon l’avocat, «toute distribution de dividendes demandait du temps». Temps qui n’aurait pas été pris par Apax et TPG. D’autant que «l’intérêt social d’un tel versement n’aurait pas non plus été pris en compte». Autant d’argument qui violeraient les conditions et les termes d’utilisation des CPEC. «Les CPEC ne servent qu’à améliorer le point de vue fiscal en cas de bénéfices. À l’époque des faits, Apax et TPG, via leurs filiales, ont ajouté le montant emprunté pour en faire un montant distribuable, insiste l’avocat. C’est un cadeau fait à l’actionnaire.» Il n’existerait pas, selon le liquidateur, d’autre exemple d’une telle utilisation de CPEC.

Pour la défense, les choses ne seraient pas si simples. Apax et TPG auraient réussi la performance de faire progresser les résultats de Wind Hellas de 15% en quelques semaines. Ce qui aurait conduit les banques Morgan Stanley et Lehman Brothers à revoir la valeur de la société à la hausse, jusqu’à 4 milliards d’euros. Apax et TPG auraient ainsi anticipé cette valorisation future en liquidant les CPEC sous forme de dividendes.

Autre motif de discorde, la compétence du tribunal de commerce luxembourgeois. Pour la défense, le procès, si procès il doit y avoir, devrait avoir lieu à Londres, où se situait le centre de décision de la holding Hellas-II. Sauf que les CPEC sont un outil uniquement luxembourgeois.

Les quatre heures de plaidoiries auront en tout cas encore brouillé les pistes. Mais des observateurs attentifs, dans la salle, venus spécialement des États-Unis, n’en ont pas perdu une miette. L’affaire est déjà sur le bureau d’un juge à New York. Rendez-vous le 23 décembre pour le prononcé du volet luxembourgeois. En attendant ce Noël à un milliard d’euros, une seule certitude : depuis 2006, cette somme, qui serait notamment passée par les îles Cayman, a eu largement le temps de prospérer. Dans le monde merveilleux de la finance, rien ne se perd.

Christophe Chohin

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