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Procès LuxLeaks : seuls les messagers sont coupables


Le journaliste Édouard Perrin (à g.), acquitté, est venu soutenir les deux prévenus jeudi. (photos Hervé Montaigu)

Les lanceurs d’alerte de LuxLeaks entamaient jeudi matin, devant la Cour de cassation, la troisième étape de leur périple judiciaire. À ce jour, ils sont les seuls à être poursuivis dans le scandale qu’ils ont dénoncé.

Le 5 novembre 2014, sous l’égide de du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) des médias de toute la planète révèlent au grand jour 548 rescrits fiscaux (tax rulings) accordés par les impôts luxembourgeois à 343 multinationales, ainsi que 16 déclarations fiscales montrant comment de riches groupes comme Amazon échappent presque totalement à l’impôt.

À l’origine de ces fuites, deux anciens employés de PWC Luxembourg, le cabinet de services financiers faisant office d’intermédiaire entre les multinationales et le fisc. En octobre 2010, à la veille de son départ de PWC, Antoine Deltour, alors auditeur, tombe par hasard sur ces accords fiscaux. C’est une faille informatique du cabinet qui lui permet d’accéder à ces documents secrets composés de quelque 28 000 pages, qu’il télécharge sur son ordinateur. Le second lanceur d’alerte, Raphaël Halet, travaille au service Tax, le cœur du système, d’où il fait fuiter les déclarations fiscales.

L’enquête déclenchée à la suite d’une plainte de PWC amène les deux lanceurs d’alerte français devant le tribunal correctionnel de Luxembourg en avril 2016. Sur le banc des accusés figure également Édouard Perrin, un journaliste qui fut le premier à révéler le scandale en 2012 à la télé française.

Tandis que Deltour et Halet sont condamnés en première instance et font appel, Perrin est relaxé. Mais tous les trois sont à nouveau face au tribunal pour le procès en appel qui s’ouvre en décembre suivant. La relaxe d’Édouard Perrin est confirmée. Tout en étant condamné, Antoine Deltour se voit accorder le statut de lanceur d’alerte, ce qui n’est pas le cas pour Raphaël Halet, dont la peine est ramenée à une simple amende. Tous deux se pourvoient en cassation, dont l’audience était fixée ce jeudi.

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Le cas Marius Kohl

Les procès de première instance et en appel sont médiatisés, riches en nouvelles révélations et soulignent l’absence de base légale des tax rulings. Ce que confirment une étude de l’université de Californie ou encore la Commission européenne qui, dans les cas de Fiat et Amazon, qualifie ces accords d’ «illégaux».

Au cours des audiences, il est beaucoup question de Marius Kohl, préposé au bureau d’imposition 6 de l’administration des Contributions directes (ACD). Des années durant, il fut le signataire presque exclusif des accords que lui présentait le Big Four, les cabinets de services financiers comme PWC, mandatés par des multinationales. Marius Kohl signait et tamponnait sans vraiment y regarder.

Mais personne n’entendra le témoin clé que la défense convoque pourtant par deux fois. Il esquive et produit des certificats médicaux établis par un médecin avec qui il partage des relations d’affaires. Car parallèlement à son métier d’agent du fisc, Marius Kohl est très entreprenant. Son nom apparaît comme intervenant ou administrateur d’une dizaine de sociétés, notamment de stations-services, business florissant au Grand-Duché. Il dispense aussi des conseils fiscaux à un agent d’assurances de Luxembourg.

Ces pratiques sont interdites aux agents des impôts, mais contrairement à certains de ses collègues de l’ACD qui ont chèrement payé ces «ménages», lui n’a pas été poursuivi.

Et il n’est toujours pas inquiété quand Raphaël Halet raconte à la barre comment il permettait à PWC d’utiliser directement du papier à en-tête du fisc pour préparer les tax rulings tout en confiant au cabinet une partie des travaux d’archivage qui lui revenaient. Marius Kohl, en pension depuis 2012, dispose alors de deux avocats de choix pour défendre ce mélange des genres : les ministres des Finances Pierre Gramegna et de la Justice Félix Braz, interrogés sur le sujet, affirment que ces pratiques n’ont jamais existé, qu’elles ne sont pas illégales et qu’il y a été mis fin quand le nouveau gouvernement est entré en fonction. Comprenne qui pourra!

Au fil des procès, il devient évident que Marius Kohl bénéficie d’une indéfectible protection lui assurant l’impunité.

Les ministres étaient Juncker et Frieden

Il serait cependant erroné de lui faire porter la responsabilité entière du scandale. Il y a sa hiérarchie administrative qui, à aucun moment, ne s’est inquiétée des milliers d’accords qu’il concluait pour le fisc. En montant davantage dans la pyramide, la responsabilité devient politique et désigne les ministres des Finances qui pour la période couvrant le scandale LuxLeaks étaient successivement Jean-Claude Juncker et Luc Frieden.

Juncker s’était personnellement impliqué dans le dossier Amazon en rencontrant le directeur de la fiscalité du groupe. Il avait également été averti dès 1996 de l’illégalité des tax rulings dans un rapport qu’il avait commandé. Mais comme à son habitude, il avance qu’il n’était pas informé de ce qui se faisait dans son ministère et ses administrations.

À ce jour, seuls les messagers, c’est-à-dire les lanceurs d’alerte et un journaliste, ont été poursuivis. Les multinationales, grandes bénéficiaires de la fraude, les intermédiaires comme PWC, les agents du fisc et leur tutelle politique n’ont jamais eu à répondre du système illégal qu’ils ont mis en place. Il n’est pour autant pas exclu que certains aient à répondre de leurs agissements devant la justice d’autres pays.

Fabien Grasser

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