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Nathalie Thill, éleveuse de champions


"Ma grand-mère m'a toujours dit que j'avais un petit cul de poulet", confesse Nathalie Thill. (Photo : Julien Garroy)

Nathalie Thill, dit «Poulet», est la mère de Sébastien, buteur pour sa première sélection avec les Roud Léiwen, Olivier, n°10 en devenir du Progrès, Vincent, qui vient de signer son contrat avec le FC Metz et Marek, cinq ans, déjà sur les mêmes rails.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des mamans qui ne râlent pas quand leur mari et l’un de leur fils décident de planter au milieu du jardin un drapeau de deux mètres par deux mètres du HSV Hambourg? On vous pose la question, parce qu’on est sûr d’une chose : il n’en existe qu’une seule qui parviendrait à accepter que ses quatre fils installent une cage de football au milieu du salon. Et elle vit à Rodange.

On peut même dire que ça lui plaît, à Nathalie Thill, cette subtilité de décoration de la maison familiale de la rue du Lavoir, puisque sa progéniture a eu la gentillesse de tourner les filets du bon côté de la cuisine : en préparant à manger, elle aussi peut, de temps en temps, se laisser aller à frapper au but en rêvant que le coin de pelouse qu’elle aperçoit derrière la baie vitrée appartient au Volksparkstadion.

C’est comme ça qu’on élève des champions dans la famille Thill. Même dans l’intimité, dans le cocon, le culte du sport unique. Au fil des couloirs, dans le jardin, Nathalie croit savoir que ses hommes ont essaimé une trentaine de ballons et une quarantaine de paires de crampons. Elle n’a pas l’air d’hésiter beaucoup sur les chiffres, c’est donc qu’elle ne croit pas, mais qu’elle sait très exactement où en est le patrimoine familial en termes d’équipement de base, qui va croître de manière substancielle, puisque Vincent, le troisième de la fratrie, est désormais sponsorisé par Adidas. «Mais pour savoir quelles chaussures appartiennent à qui, je dois regarder les tailles.» En gestion du matériel, elle n’a de leçon à recevoir d’aucun intendant de club, puisque cela fait plus de quinze ans qu’elle lave les affaires de Sébastien, 21 ans, Olivier, 18 ans, et Vincent, 15 ans, tandis que le petit Marek, 5 ans et qui promet, vient de commencer à Rodange.

Son secret lessive avec l’arrivée de l’hiver ? «Il vaut mieux que vos enfants jouent dans des clubs qui évoluent en noir…» Une mère de famille qui semble prendre autant de plaisir à ne vivre que par le ballon rond, c’est suspect. Il fallait remonter à la source du problème…

La petite Nathalie est née en novembre 1972. Elle est la fille de Francine et Jean-Marie Feltgen, et ses parents, tous les deux, main dans la main, la conduisent très tôt… au football. Jean-Marie est coach à la RJ Arlonnaise (oui, au féminin) et maman… pilier de l’équipe. À l’époque, il est si difficile de bâtir une équipe dames que les âges sont allègrement mélangés et Nathalie joue sa première rencontre aux buts à l’âge de 10 ans avec Francine dans le champ. Bienvenue dans le monde impitoyable du football, bien plus supportable quand on l’affronte en famille. «J’ai essayé une fois les majorettes, admet-elle presque gênée. Mais ce genre de trucs, c’était plutôt pour ma sœur. Moi je n’étais pas très douée.

Je préfère les trucs de mecs.» D’où, peut-être, sa célèbre coupe à la garçonne. D’où, peut-être, son ravissement de n’avoir enfanté que des garçons («Ils sont si faciles à vivre»). D’où, peut-être, ce curieux surnom qui ne l’a jamais choquée : «Poulet». «C’est à cause de ma grand-mère. Elle m’a toujours dit que j’avais un petit cul de poulet.C’est resté. Tous mes amis m’appellent comme ça.»

C’est comme ça, d’ailleurs, que Romain Jean, premier coach de la sélection nationale dames, l’interpellait le 30 août 2003 pour les grands débuts des Luxembourgeoises contre Nancy, sur la pelouse de Remerschen. Il en avait fait sa toute première capitaine. «Elle était la plus âgée, la plus expérimentée. Elle avait une présence, tout le monde l’écoutait, et surtout, c’était une battante.» Une battante qui empile alors les titres avec la grande équipe de Niederkorn, malgré une longue coupure de sept années, entre 21 et 28 ans. Poulet s’arrête en effet pour «pondre» Sébastien, Olivier et Vincent.

Le foot ne lui manque alors pas, jure-t-elle. Elle s’y recolle seulement parce que papa, qui a repris les dames du Progrès, cherche des renforts. Les fistons, en soirée, se farcissent les entraînements de maman. Pour une fois que c’est dans ce sens-là… Elle coupe à nouveau pour Marek, il y a cinq ans, et s’y remet encore avec le Fola, puis Rodange, qu’elle n’arrive toujours pas à quitter à 42 ans. C’est une maladie, mais une belle maladie qu’a diagnostiqué Thomas Gilgemann, directeur sportif de ses deux aînés au Progrès : «Un jour, sur un amical, je discutais avec Serge, son mari. Elle a fait un truc génial que ne font pas les mamans, elle a pris son petit et le mien et elle s’est mise dans les buts pendant une heure. Ils ont passé tout ce temps à shooter dans le ballon. Mon fils s’en rappelle encore. Il me dit : « Elle est super la maman de Marek. »» Elle peut. Une maman qui joue au foot et qui ne s’en lasse pas, c’est le rêve de tout homme. De tout fils aussi, sûrement.

Et ça fait des sujets de conversation pour les longues soirées d’hiver au coin du feu. C’est que la dame s’y connaît. Elle le revendique. Et ça fait rire un Thomas Gilgemann épaté : «Elle fait comme les hommes du milieu, elle parle fort pour se faire entendre.» Poulet hausse les épaules : «En tribunes, j’entends de ces choses. Il y a des gars qui ne connaissent même pas correctement la règle du hors jeu! Vous vous rendez compte?» Puisqu’elle n’a pas le traditionnel kit à l’attention des retardataires en matière de foot, celui que ces messieurs utilisent pour expliquer à leurs épouses larguées, c’est-à-dire la salière (le dernier défenseur), la poivrière (le passeur) et le pot à moutarde (l’attaquant), elle laisse filer. Non, vraiment, le foot, elle préfère en parler de manière sérieuse, c’est-à-dire en famille, à table, sur le canapé, ou lors des parties de belote du samedi après-midi chez ses parents.

Nathalie est mère au foyer. «C’est beaucoup de travail de supporter les garçons», rectifie-t-elle. C’est effectivement, pour elle, un boulot à part entière. Footings en famille en période de reprise. Gestion de carrières naissantes. Lobbying actif qui ne crée pas que des amis dans le milieu. Et même, croyez-le ou non, des vrais «trips» de maman, comme la surveillance active du compte Facebook de Vincent, premier fils que le foot ait réussi à lui arracher en le conduisant au FC Metz. Pas pour des raisons habituelles de môman, c’est-à-dire surveiller les fréquentations, filtrer les filles ou éviter les abus de fiestas. Non, plutôt «parce qu’il reçoit un message d’agent de joueurs par jour. Marre des managers!» Ce qui ne l’empêche pas de lui envoyer «dix SMS par jour» pour savoir «comment était l’entraînement» ou «s’il est bien passé chez le kiné»…

Il lui arrive aussi d’éplucher les journaux, de «checker» Twitter et pages web qui commencent à parler de ses fistons, pétris de talent, cela saute aux yeux. Et là, ce sont les entrailles qui parlent, surtout quand on s’attaque au mutisme de Sébastien. «Ce qu’on peut écrire sur lui… Il y a beaucoup de jalousie. Cela force à se renfermer encore plus.» On ne pénètre pas dans la famille Thill comme ça. Il faut montrer patte blanche. Nathalie veille, y compris avec mauvaise foi, à ce que l’intégrité footballistique de ses bébés soit préservée : «Je n’ai jamais vu mes fils faire un mauvais match.» Mouais… «Non, sérieusement, il y a toujours au moins un geste, un coup franc, une passe qui rattrape le reste.» Le genre d’impartialité qui l’a fait paraître, par exemple, plus préoccupée par le statut de remplaçant d’Olivier au Progrès que son fils lui-même.

Clairement, Nathalie ne se contentera pas d’avoir mis au monde ces quatre garçons pleins d’avenir. Les amener le plus haut possible fait aussi partie de ses projets, «du moment qu’ils sont heureux dans leurs clubs». Si les Roud Léiwen se retrouvent avec quatre Thill sur la pelouse en 2027, sera-t-elle la plus heureuse des femmes? «Je doute que cela arrive. Il faudrait que Séba tienne jusqu’à combien? 33 ans? Il n’aime pas beaucoup se faire mal, même si la sélection va lui faire du bien.» Si cela arrive, le FLF pourra toujours lui élever une statue pour services rendus à la nation. Elle ne voit pas pourquoi : «De toute façon, c’est ma vie…» Et il faudra bien un jour couper le cordon.

Julien Mollereau

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