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« Panama Papers » au Luxembourg : circulez y a rien à voir ! Et pourtant…


L'affaire des Panama Papers a provoqué une secousse mondiale, citant le Luxembourg aux premiers rangs des montages offshore. Mais le gouvernement n'a pas encore voulu réagir (ici Pierre Gramegna, ministre des Finances). (photo F.Pizzolante)

Les banques luxembourgeoises apparaissent en première ligne dans une grande partie des montages offshore destinés à cacher l’argent de leurs clients. Les acteurs de la place financière invoquent la légalité de ces opérations. Le gouvernement reste silencieux.

Dans les Panama Papers, il y a d’un côté les évadés fiscaux eux-mêmes, et de l’autre les intermédiaires qui les ont aidés à dissimuler leur argent. Les premiers, s’ils n’ont pas déclaré tous leurs comptes, ont clairement enfreint la loi et risquent un lourd redressement fiscal, une fois leur maquillage révélé. Pour l’heure, aucun nom luxembourgeois n’a filtré, puisqu’aucun média du Grand-Duché n’a eu accès aux documents de l’ICIJ (ce que Le Quotidien déplore).

De leur côté, les seconds acteurs de cette affaire, banques, conseils juridiques et autres cabinets fiscalistes devenus des spécialistes de tels montages offshore, qui pullulent au Grand-Duché (lire ci-dessous), peuvent se retrancher derrière l’argument de la légalité : en gros, si leurs clients fraudent grâce à leurs prestations, ce n’est pas de leur responsabilité (sauf dans les cas de blanchiment d’argent sale, s’ils n’ont pas respecté certaines obligations légales de vérification). C’est cette légalité qu’a aussitôt brandie le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, d’où émanent les « Panama Papers ».

Le même refrain

« Ce que nous faisons est complètement légal. La question qui se pose, au final, c’est ce que font les entreprises avec de telles structures. Et cela n’est plus de notre ressort. Tout comme un fabriquant d’armes ou un constructeur automobile n’est pas responsable des infractions en lien avec une arme ou une voiture. Pour notre part, nous ne faisons que des services légaux », a ainsi déclaré au Quotidien Samuel Fernandez Cortez, responsable de Mossack Fonseca pour le Luxembourg.

Lire aussi : Panama Papers : « Mort à la place financière du Luxembourg ! » [tribune]

 

Les acteurs de la place financière luxembourgeoise ont tous repris le même refrain. Dès lundi, la BIL a ainsi fait savoir que sa filiale Experta, citée comme la banque la plus active au monde dans la création de sociétés offshore en partenariat avec Mossack Fonseca, a toujours respecté «les cadres légaux nationaux et internationaux». Mardi, c’était au tour du gendarme de la place financière luxembourgeoise, la CSSF (commission de surveillance du secteur financier), de publier un communiqué laconique : « La CSSF a pris note des Panama Papers (…). La CSSF continuera à demander aux banques luxembourgeoises et aux fonds d’investissement de respecter strictement leurs obligations professionnelles. »

Le Luxembourg peut-il continuer à fermer les yeux ?

Tout va bien dans le meilleur des mondes. Jeudi, l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL), qui regroupe la majorité des banques et des intermédiaires financiers de la place, s’est à son tour lavée les mains d’une telle fraude fiscale massive. L’ABBL a repris le même couplet, rappelant les « dispositions légales et réglementaires bien établies au Luxembourg, comme au sein de l’Union européenne, notamment en matière de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme ». Et, comme la CSSF, de souligner la levée du secret bancaire, effective au Luxembourg via l’échange automatique d’informations depuis le 1er janvier 2015.

Lorsqu’il finira par s’exprimer sur cette affaire (son silence en dit déjà long), le gouvernement reprendra les mêmes arguments, à la fois celui de la légalité des opérations et celui de son nouvel engagement vers un « level playing field » (adoption de normes respectées par tous les pays au niveau mondial) en matière de transparence via l’OCDE. La même défense que lors de l’affaire LuxLeaks.

Et reviendront les mêmes objections et accusations d’hypocrisie : peut-on, au nom de la légalité et de la défense du « modèle luxembourgeois », se contenter de fermer les yeux sur une place financière devenue spécialiste de l’évasion fiscale, à la fois pour les particuliers ou pour les multinationales ? Quand bien même un nouveau « level playing field » sera négocié et effectivement mis en place (ce qui n’est pas encore gagné), quid des pratiques d’aujourd’hui et d’hier, injustes et tellement dommageables pour le budget des États (excepté ceux du Luxembourg et de quelques autres) ? En politique, l’éthique ne devrait pas être un simple accessoire en option.

Sylvain Amiotte

Panama Papers : les banques et intermédiaires luxembourgeois en première ligne

Quatre banques installées au Luxembourg apparaissent parmi les dix établissements les plus actifs dans la création de sociétés offshore, selon l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ainsi, parmi les plus de 500 banques qui ont enregistré près de 15 600 sociétés-écrans avec Mossack Fonseca, figurent Experta Corporate & Trust Services, Banque J. Safra Sarasin Luxembourg S.A., Société Générale Bank & Trust Luxembourg, et Landsbanki Luxembourg SA.

Experta est une filiale à 100% de la BIL, banque dont l’État luxembourgeois est actionnaire à 10% et dont l’ex-président Luc Frieden vient d’être nommé président. À elle seule, Experta a créé 1659 sociétés offshore. Elle est ainsi le premier acteur du scandale « Panama Papers ». À elles quatre, ces banques ont créé 3491 sociétés-écrans. Il y a fort à parier que la plupart d’entre elles ont abrité, au minimum, des fonds non déclarés.

L’ICIJ révèle aussi que 15 479 créations de sociétés offshore ont impliqué des intermédiaires luxembourgeois (avocats, fiduciaires…), en lien avec le cabinet Mossack Fonseca. Ce qui place le pays au 4e rang mondial.

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