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L’affaire Grégory, cet insoutenable mystère qui nous fascine tant


Lépanges-sur-Vologne, cette bourgade des Vosges tristement célèbre, à nouveau dans l'actualité. (photo AFP)

Trente-trois ans que la France vit au rythme de l’affaire Grégory et ses innombrables rebondissements. Depuis mercredi et l’interpellation de cinq personnes dans le cercle familial des Villemin, dont trois étaient toujours en garde à vue jeudi, les choses se sont accélérées. Ravivant l’espoir d’approcher enfin la vérité.

Le symbole de toute une génération

grégory-villeminCette affaire, c’est un prénom qui porte seul l’une des plus grandes énigmes criminelles françaises. C’est un visage sur une photo que tout le monde connaît. Cette bonne bouille angélique, un petit nez retroussé et des joues bien roses. Les oreilles décollées fendent des cheveux ébouriffés, les dents de lait ne sont pas encore tombées. La moue est joyeuse, espiègle. Sur ce portrait datant du 24 juin 1984, Grégory a 4 ans et toute la vie devant lui. Elle s’arrêtera brutalement quatre mois plus tard. Le début d’une fascination pour le symbole de toute une génération de Lorrains nés à l’aube des années 1980.

Certains d’entre nous avaient l’âge de Grégory au moment du drame. Nous ne comprenions évidemment pas ce qu’il se passait, mais le souvenir ne s’est jamais dissipé : les adultes ne parlaient que de cela durant des semaines, des mois. Grégory aurait pu être un camarade de classe, un voisin avec lequel on s’en irait faire les 400 coups après l’école. Nous nous sommes identifiés à lui, comme à Cyril Beining et Alexandre Beckrich, les victimes du double meurtre de Montigny-lès-Metz en 1986.

A l’époque, on ne connaît pas la géographie française mais on apprend très vite où se trouve la Vologne. On sait ses eaux froides et on devine le calvaire du garçonnet jeté dedans pieds et poings liés, ce sinistre 16 octobre 1984. On va grandir au rythme des rebondissements qui feront de cette affaire un fiasco judiciaire.

Une famille ordinaire avec ses travers

L’histoire de Grégory touche aussi plus largement parce sa famille ressemble à tant d’autres. Chez les Villemin-Laroche-Jacob, les clans nourrissent des jalousies et des rivalités qui font les rancœurs tenaces. Les repas dominicaux se terminent souvent sur une engueulade, des éclats de voix et des portes qui claquent. La réussite de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory -il est contremaître à 29 ans-, agace et peut-être est-il un peu trop ostensiblement heureux aux yeux de ceux pour qui la vie semble plus dure et moins juste.

Lui, ou elle, a ruminé jusqu’à envisager l’impensable. Le corbeau qui a revendiqué l’assassinat de Grégory par « vengeance », dans une lettre anonyme et manuscrite postée apparemment avant la découverte du corps et arrivée le lendemain au domicile du couple Villemin, pourrait appartenir à cette lignée divisée. Les parents de Grégory ont reçu des centaines de coups de fils anonymes de mise en garde et quelques lettres du même acabit avant le drame. Le ton y est à chaque fois très personnel.

Un déchaînement médiatique sans précédent

L’affaire Grégory est également hors norme de par son traitement médiatique. Lorsque la toute première dépêche parvient aux journaux et radios après la macabre découverte, certaines rédactions la mettent directement à la poubelle. Trop succincte et peu renseignée, trop rurale. Mais le fait-divers a toujours été une valeur sûre. La presse en fera donc ses gros titres, à défaut de « mieux ». S’ensuit un déchaînement sans précédent. Du jamais vu. Les grands reporters de tout le pays campent à Lépanges-sur-Vologne, lieu du crime, des saisons entières. S’incrustant dans les intimités familiales, déballant les linges sales, entachant des réputations.

En 1985, il n’y a bien sûr pas d’internet, pas de réseaux sociaux, pas de chaînes d’info en continu. C’est quand bien même déjà la course au buzz, quitte à raconter parfois n’importe quoi. On jettera des noms en pâture, ceux de Bernard Laroche, un cousin, puis de Christine Villemin, la mère. Avec les terribles conséquences que l’on connaît. La mort de Laroche, abattu par Jean-Marie Villemin persuadé de sa culpabilité. L’inculpation de son épouse, avant qu’elle ne soit totalement innocentée.

Aujourd’hui, la défiance est grande envers les médias dont le public critique -parfois à raison- les pratiques. Elles ne sont cependant pas plus malsaines que celles d’hier, quand par exemple les journalistes allaient jusqu’à sonner chez des familles pour leur annoncer la mort accidentelle d’un proche. Prenant bien soin de recueillir les larmes et la douleur, sans gêne et sans pudeur. Ce fait-divers devenu odyssée médiatique dit ainsi beaucoup de la profession qui traîne ses boulets depuis des lustres.

Un rebondissement pas comme les autres

Et puis, ce mystère Grégory fascine encore parce qu’il concentre trois décennies d’improbables rebondissements. D’espoirs et de déceptions. Le coup de théâtre de mercredi a ceci de différent que jusqu’à présent, on a tenté de faire parler la science. Des ADN sur un bout de timbre, les cordelettes qui ont servi à ligoter la victime… Rien n’a permis de trahir les secrets que d’aucuns ont bien protégés.

Désormais on tente de faire parler les gens, même si ceux-ci restent pour l’heure mutiques. Les trois suspects en garde à vue ont en effet invoqué leur droit au silence, a expliqué le procureur général de Dijon jeudi. Mais une révélation est d’ores et déjà apparue à propos de l’une des fameuses missives : Jacqueline Jacob, une grand-tante de Grégory actuellement parmi les gardés à vue, a été reconnue comme l’auteure de l’une des lettres envoyée au couple Villemin en 1983. Cela ne la relie toutefois pas directement au crime à ce stade.

L’affaire n’est pas résolue, a prévenu le procureur. Là où on a souvent perdu les pédales, il faut donc raison garder. Mais sans doute pour la première fois, la vérité semble attendre au bout de ce chemin tortueux jalonné d’errances. Cette vérité, si elle éclate enfin, sera cruelle et insoutenable. Au moins autant que trente-trois années de silence.

Alexandra Parachini

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