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A la rencontre des artistes de Schlaiffmillen


Schorsch Mayer, un des pionniers de Schlaiffmillen. Il est installé là depuis le premier jour. (Photos Alain Rischard)

Il y a 30 ans, les artistes ont investi une ancienne manufacture de tissus qui était à l’abandon depuis des décennies. Depuis, les pensionnaires changent, mais la belle histoire perdure. Ce week-end, à Schlaiffmillen, on fêtait le trentième anniversaire de l’arrivée des artistes à Pulvermühl.

Schlaiffmillen, c’est la formidable histoire d’une idée folle qui, un peu contre toute logique, a su s’inscrire dans le temps grâce à la force de persuasion de ceux qui l’ont portée. Au Grand-Duché, a fortiori dans la capitale, on connaît le coût de l’immobilier. Alors comment se fait-il qu’une ancienne usine située dans un cadre idyllique, entre les falaises de Pulvermühl et l’Alzette qui les a creusées, puisse être occupée gratuitement depuis 30 ans par des artistes ?

Si le scénario est tel qu’il est aujourd’hui, c’est grâce à la rencontre des bonnes personnes au bon moment. L’artiste Rafael Springer, installé dans son atelier au deuxième étage, donne le canevas originel : «Dans les années 80, Robert Mancini, Patricia Lippert et quelques autres artistes découvrent ce lieu. À l’époque, ce n’est qu’une ruine, mais ils ont l’idée de la transformer en résidence d’artistes indépendants. Ils sont allés rencontrer Lydie Polfer, qui était déjà bourgmestre, pour lui soumettre l’idée et elle l’a trouvée excellente.»

Les cheminées pour se chauffer

Le bâtiment – un patrimoine important du passé industriel de Luxembourg – a beau être classé monument historique, il ne ressemble alors plus à rien. Des années d’abandon l’ont laissé dans un triste état. «Il n’y avait plus de fenêtres, pas de chauffage et à peine l’électricité», soutient Rafael Springer. Sa voisine d’atelier Dani Neumann raconte qu’avant de s’installer, elle a dû refaire le toit qui laissait passer l’eau.

Lydie Polfer, emballée par le concept, se dit qu’il est préférable que le lieu soit habité et entretenu plutôt que rayé de la carte. «C’est le marché qui a été conclu, explique Rafael Springer. Nous pouvions rester à la condition que nous entretenions le bâtiment.» Les artistes ne demandaient pas mieux.

Au départ, ils retapent eux-mêmes la bâtisse. Ils refont des murs, bricolent… avant qu’un architecte de la Ville de Luxembourg ne vienne sur place et se rende compte du boulot pour assainir la vénérable usine. «Il s’appelait M. Origer, se remémore Denis Brassel. Il a dit aux artistes que ce n’était pas possible de faire comme ça, que les besoins étaient trop grands pour se satisfaire de petits aménagements. Il a fait réaliser de gros travaux. Petit à petit, l’eau et l’électricité sont arrivées. Puis des toilettes, des cheminées.» Voilà pourquoi des piles de bûches sont empilées à droite et à gauche dans tout le bâtiment !

«Moi, j’ai de la chance, lance Dani Neumann, mon atelier est orienté plein sud. Mais ceux qui sont au nord doivent alimenter les cheminées bien plus longtemps.» Faire brûler le bois est en effet la seule façon de faire monter la température. Rustique !

La Ville a donc concédé l’usine aux artistes en 1986 et aujourd’hui, ils sont seize à travailler à Schlaiffmillen. «Nous sommes regroupés à l’intérieur d’une ASBL, explique Rafael Springer. Cela implique que toute les décisions sont prises en commun.» Ce qui, soit dit en passant, n’est pas toujours une sinécure. «Nous sommes des artistes, donc nous avons de gros ego! sourit-il. Il n’est pas toujours facile de se mettre d’accord, parce que nous sommes tous entêtés…» «C’est sûr qu’il faut négocier et trouver des compromis et que c’est parfois difficile», souligne Dani Neumann au milieu de ses peintures à l’huile et de ses gravures sur bois grand format.

Les visiteurs ont pu découvrir les ateliers et rencontrer les artistes.

Les visiteurs ont pu découvrir les ateliers et rencontrer les artistes.

Pour autant, cette structure atypique a aussi ses avantages. «Ici, j’apprends à être un peu plus social, sourit Rafael Springer. Enfin j’essaye !» On le confirme, l’homme qui a accepté d’être celui par qui passe la communication de l’endroit est sur la bonne voie !

«Cette diversité est une richesse»

Denis Brassel se félicite, lui, d’avoir à sa disposition des confrères à même de lui fournir leur avis sur son travail. «On dit ce que l’on pense de notre travail. C’est important d’avoir des échos, des critiques. C’est ce qui permet d’avancer.»

Dany Neumann, elle, pointe une autre heureuse vertu de cette promiscuité. «Nous avons trois ateliers équipés de fours à céramique, un où l’on fait de la sérigraphie, un autre pour la gravure sur bois… cette diversité est une richesse. On se montre nos différentes techniques, ce qui permet d’apprendre gratuitement à utiliser de nouveaux outils. Ces contacts sont très enrichissants!»

Évidemment, les 16 artistes qui sont actuellement installés à Schlaiffmillen font des envieux. Les candidatures, au cas où un atelier se libèrerait, ne manquent pas. «À chaque fois qu’une place se crée, nous choisissons ensemble qui va la prendre, précise Rafael Springer. Nous visons en priorité de jeunes artistes qui ont déjà montré ce qu’ils savaient faire, mais qui n’ont pas les moyens de trouver un endroit où travailler. Ceux qui nous disent voilà ce que je ferai si je pouvais travailler ici sans rien nous montrer n’ont aucune chance.» On comprend qu’il ne faut pas concevoir la Schlaiffmillen comme un cadeau, mais comme un encouragement.

Mais ce lieu qui n’existe que pour la beauté de l’art – une vraie anomalie dans un monde où la recherche du profit est reine – pourra-t-il encore être longtemps un pied de nez à l’économie de marché ? «Lydie Polfer nous a promis que tant qu’elle serait là, nous n’aurions aucune crainte à avoir», affirme Dani Neumann.

Erwan Nonet

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