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Luxembourg : un couple poursuivi pour avoir exploité une Philippine


Avec la mission de s'occuper d'un enfant en bas âge, la quinquagénaire avait intégré le domicile familial dans un petit village du centre du pays. (Photo : Julien Garroy)

Depuis mardi, un couple comparaît devant le tribunal correctionnel pour avoir exploité à son domicile une quinquagénaire originaire des Philippines. Entre fin 2012 et 2017, elle aurait touché de 80 à 300 euros par mois.

«Acheminer une personne des Philippines par avion, lui donner un peu d’argent de poche et la faire travailler chez soi, cela ne fonctionne pas.» C’est la position du parquet dans cette affaire sur laquelle planche, depuis mardi matin, la 13e chambre correctionnelle.

Lena* avait la cinquantaine quand elle a débarqué pour la première fois au Grand-Duché fin 2012. Avec la promesse de s’occuper d’un enfant en bas âge, elle intègre le domicile familial dans un petit village du centre du pays. Dans un premier temps, c’est par périodes de trois mois – la durée de son visa touristique – qu’elle occupe cette mission.

Logée dans un petit studio dans la maison, elle a sa sphère privée. Et au départ, tout va plutôt bien. Du moins elle ne s’en est pas plainte à la police. C’est à partir de fin 2015, quand on lui aurait proposé de rester et promis de régulariser sa situation, que tout aurait basculé. En contrepartie des tâches ménagères, elle n’aurait alors plus touché 300 euros par mois, mais seulement 80 euros. Sans son passeport, qu’on lui avait confisqué, et avec sa situation irrégulière et ses bribes d’anglais, difficile de se sortir de là. D’autant plus que l’enquêteur décrit Lena comme plutôt «introvertie» et assez «intimidée». Ce n’est d’ailleurs pas elle qui avait fait le premier pas vers la police luxembourgeoise, mais une cousine éloignée vivant en Allemagne. Elle avait contacté le commissariat de Moutfort à la mi-juillet 2017.

Lors d’une première enquête de voisinage, les agents s’étaient vu confirmer qu’une femme originaire des Philippines faisait régulièrement du jardinage, passait le balai et allait promener les chiens. «Ils étaient d’accord sur le fait qu’elle ne passait pas des vacances, mais était là pour travailler.»

Un peu réticente au début, Lena avait fini par se confier à l’enquêteur. Entre 5 h du matin et 23 h du soir, elle devait être disponible, avait-elle raconté. À côté de la garde de l’enfant, elle devait jongler entre le ménage, la lessive, le repassage, les chiens… autant dire qu’il y avait du pain sur la planche. L’enquête avait par ailleurs mis au jour qu’elle vivait sous une certaine pression. Ainsi serait-il arrivé que la maîtresse de maison la force à se mettre à genoux pour qu’elle demande pardon. La police avait finalement pu mettre la main sur le passeport de Lena dans un secrétaire du salon.

«J’étais convaincue que c’était une cousine»

Les prévenus de 49 et 50 ans n’ont pas eu l’occasion mardi matin de s’expliquer en détail face aux juges. Mais leur position a d’ores et déjà filtré. À l’ouverture de leur procès, ils ont contesté en bloc avoir exploité Lena en lui donnant un salaire dérisoire et sans l’affilier à la sécurité sociale. Car, selon eux, elle n’aurait jamais travaillé pour eux. Elle serait venue pour donner de temps à autre un coup de main. Bref, elle aurait uniquement touché de «l’argent de poche». Autre preuve, selon eux, c’est qu’ils avaient une femme de ménage…

«J’étais convaincue que c’était une cousine», dira une amie de longue date du couple entendue hier comme témoin. Régulièrement, elle est partie en vacances avec la famille. Jamais, dit-elle, elle n’a constaté d’attitude dénigrante de la part du couple vis-à-vis de Lena qu’on lui avait présentée comme une «bonne amie». La durée du séjour de la Philippine – cinq ans – interroge cependant. «Ce n’est pas une simple visite. Et toute bonne chose a une fin», remarquera la présidente.

Un autre témoin indique avoir pris Lena pour une «amie de la famille». Lui non plus, cela ne semble pas l’avoir dérangé qu’elle accompagne la famille partout pendant des années. «Elle les aidait car Madame (NDLR : la mère de l’enfant) avait des problèmes de santé. C’est autre chose que de travailler.» Il constate que Lena ne s’est jamais plainte. «Elle avait son propre compte Netflix», précisera-t-il.

«Une nounou?»

Le parquetier tentera sa chance une dernière fois. «Depuis la naissance de la petite, le couple a toujours eu une « amie » philippine en visite. Vous ne leur avez jamais demandé si c’était peut-être leur nounou?» La réponse du prévenu : «Quelqu’un qui donne un coup de main n’est pas forcément une nounou…»

Après avoir été écartée de la famille, Lena vit aujourd’hui dans un foyer et est encadrée par un programme de protection des victimes. Suite des débats ce mercredi après-midi.

* Le prénom a été modifié

Fabienne Armborst

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