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Belgique : «Notre premier partenaire naturel est le Luxembourg»


«La Belgique est une structure compliquée parce qu'elle est très respectueuse des sensibilités des différentes composantes du pays.» (Photo : Julien Garroy).

L’ambassadeur de Belgique préface la visite d’État du couple royal belge au Grand-Duché. La venue du Roi Philippe permettra de souligner les liens très étroits entre les deux pays voisins.

Les visites de la famille royale belge au Grand-Duché sont fréquentes. Quelle est la différence entre ces visites bilatérales et la visite d’État de cette semaine ?

Jean-Louis Six : Une visite d’État n’arrive qu’une seule fois par règne. Les autres visites et contacts se font sous une autre qualification. La visite d’État précédente au Grand-Duché remonte à 25 ans, effectuée en 1994 par le Roi Albert II et la Reine Paola auprès du Grand-Duc Jean et la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte. Le Roi Philippe et la Reine Mathilde s’étaient déplacés en décembre 2013 au Luxembourg parce que la tradition veut que lorsqu’un Roi des Belges prend ses fonctions, sa première visite officielle à l’étranger se fasse toujours au Grand-Duché ou aux Pays-Bas. Tout cela traduit l’importance et la symbolique des trois jours de visite qui vont démarrer demain.

Quel est l’objectif de cette visite entre voisins et même cousins ?

La Reine et le Roi, avec l’ensemble du gouvernement, accordent une très grande importance à cette visite. Le couple royal sera accompagné par le vice-Premier ministre Didier Reynders et les cinq ministres-présidents de nos régions et communautés. S’y ajoutent plus de 60 chefs d’entreprise et 19 hauts dirigeants universitaires.
La Belgique et Luxembourg se considèrent mutuellement comme les premiers partenaires. Pour illustrer cette étroite relation, on a identifié quelques secteurs emblématiques qui sont – et c’est la spécificité belge – portés par nos Régions et Communautés. L’objectif est de montrer toute l’ampleur des valeurs qui sont partagées entre les deux pays.

Plus concrètement, quels seront les thèmes et sujets qui seront évoqués et traités ?

Nos deux pays sont résolument tournés vers l’avenir. Notre analyse et notre volonté de préparer les réponses aux défis futurs sont les mêmes. On partage la même approche par rapport à la digitalisation, la durabilité, la soutenabilité, les problèmes d’inclusion, d’égalité femmes-hommes, de non-discrimination. Sur ces questions, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre les positions belges et luxembourgeoises. Le programme de la visite est donc axé sur la recherche médicale, l’enseignement, le secteur spatial, l’audiovisuel, l’économie circulaire, les fintech et la mobilité. La coopération entre nos deux armées sera aussi mise en avant.

Les deux familles régnantes restent très proches. Est-ce aussi le cas pour les populations du Luxembourg et de la Belgique ?

Plus de 25 000 Belges résident au Luxembourg. S’y ajoutent les plus de 45 000 travailleurs frontaliers. Et puis, il y a un nombre important de personnes qui ont la double nationalité belgo-luxembourgeoise. Ils ont donc cette double allégeance et double appartenance qui est culturelle mais aussi affective. C’est très fort. Il y a beaucoup de personnes que je rencontre qui affirment fièrement être belges et luxembourgeoises. Et elles y tiennent énormément.

Le Benelux est un bel exemple d’intégration

Les étroites relations entre la Belgique et le Luxembourg s’expriment aussi dans le Benelux, format qui est complété par les Pays-Bas. Avec la période d’incertitude que traverse l’UE, une telle alliance entre « petits » pays garde-t-elle un caractère modèle ?

Le Benelux est un bel exemple d’intégration et aussi, en quelque sorte, une chambre d’expérimentation. C’est une forme de coopération intégrée et renforcée. Et en plus, il faut dire que le Benelux a un poids certain au sein de l’UE. C’est un acteur respecté tout comme le groupe de Visegrád (NDLR : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ou le groupe des pays nordiques. Le Benelux est un véhicule qui permet aux chefs d’État et de gouvernement des trois pays d’agréer leurs forces et d’être entendus au niveau européen.

Justement, le Premier ministre belge sortant est appelé à prendre la présidence du Conseil européen. Le bon travail effectué dans le format Benelux peut-il expliquer la présence accrue de hauts responsables européens issus de ces trois pays ?

Je citerais d’abord Jean-Claude Juncker, qui est déjà le troisième Luxembourgeois à présider la Commission européenne. Il est quand même remarquable pour un pays comme le Grand-Duché, qui en termes de population ne compte pas parmi les grands, parvienne à offrir à l’UE de tels grands serviteurs du projet européen. Il en va de même pour la Belgique. À la suite d’Herman Van Rompuy, Charles Michel deviendra, après un intervalle assez court, le deuxième Belge à présider le Conseil européen. Le fait qu’on soit disposé et capable d’assumer de hautes responsabilités au sein des institutions européennes nourrit notre complicité et notre intérêt à travailler ensemble sur le projet européen.

Toujours dans ce même contexte, la Belgique a intégré début 2019, en tant que membre non permanent, le Conseil de sécurité de l’ONU. Le Luxembourg a siégé dans ce même Conseil en 2013/2014. Vous vous appuyez sur l’expérience acquise par le Grand-Duché pour mener à bien ce mandat international ?

Notre présence au Conseil de sécurité est perçue comme un honneur, mais elle nécessite également un partage des responsabilités avec nos partenaires. Et comme indiqué plus tôt, notre premier partenaire naturel est le Grand-Duché. L’échange d’informations et des coordinations régulières font que nos deux pays forment un partenariat extrêmement soudé. Il n’y a qu’à voir la proximité affichée entre les Premiers ministres Xavier Bettel et Charles Michel lors de la récente Assemblée générale de l’ONU.

 Le sentiment que l’Europe est un peu en panne

Considérant que la Belgique est un pays fortement tourné vers l’Europe, comment peut-on expliquer la montée des nationalistes et extrémistes lors des élections fédérales du mois de mai dernier ?

Il y a un phénomène général qui n’est pas spécifique à la Belgique. Une frange importante de l’électorat a le sentiment que l’Europe est un peu en panne. Il y a aussi une certaine banalisation de l’apport de l’UE. On est dans une phase où il faut un peu réinventer l’Europe, lui redonner du souffle grâce à des projets porteurs pour enthousiasmer la jeune génération. Cela est nécessaire pour tourner la page d’une période que Jean-Claude Juncker a qualifié à juste titre de « polycrise ». Malheureusement, la conjonction de la crise financière, de la crise migratoire et puis de trois ans de Brexit a créé un climat qui a teinté les élections et qui a nourri des discours nationalistes. C’est malheureux que l’électeur moyen ait quelquefois le sentiment que beaucoup d’énergie est dépensée dans des dossiers qui ne lui apportent pas grand-chose à titre personnel. Il a donc parfois le sentiment que l’UE ne se consacre qu’à elle-même.

Mais le résultat des élections ne rend pas l’équation plus facile de la formation d’une coalition au fédéral. L’absence prolongée d’un gouvernement peut-elle affaiblir le statut de la Belgique et même menacer l’unité du Royaume ?

On serait bien évidemment heureux d’avoir un gouvernement. Mais en attendant, le pays continue à fonctionner. La Belgique est une structure compliquée parce qu’elle est très respectueuse des sensibilités des différentes composantes du pays. Si vous voulez écouter et traduire les sensibilités des uns et des autres, cela a un coût.

Il y a cependant une hypothèque sur le plan budgétaire. Tant qu’on n’a pas de gouvernement de plein exercice, il y a toute une série d’ajustements budgétaires qui ne peuvent pas être effectués. À terme, ce n’est pas soutenable. Le déficit se creuse et on aura donc à un moment donné besoin d’un gouvernement qui puisse faire les corrections qui sont non seulement requises par la Belgique, mais qui sont aussi imposées par l’UE. Mais pour l’instant, tout cela relève encore du gérable.

Dans une récente interview, le président sortant de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a évoqué que personne ne sait vraiment comment fonctionne la Belgique mais qu’en fin de compte elle fonctionnait mieux que l’UE. Que vous inspire ce constat ?

Pour moi, le paradis européen en termes de qualité de vie c’est quand même le Luxembourg. Mais juste derrière arrive la Belgique, qui reste un pays extrêmement agréable où les gens se sentent bien. La qualité des soins médicaux est exceptionnelle, la qualité de l’enseignement est assurée, le coût des études supérieures est abordable. Le modèle belge est celui d’une économie de marché sociale et inclusive. Je ne sais pas si je peux dire que le Royaume fonctionne mieux que l’Europe. Mais la Belgique reste un pays très attractif.

Lors de la visite d’État, plusieurs conventions entre des universités belges et l’université du Luxembourg seront signées. Que peut apporter cette coopération à un pays qui possède une très longue tradition académique ?

Tout d’abord, la tradition d’accueil des étudiants luxembourgeois qui viennent étudier en Belgique reste de mise. Mais l’approche est double. Il y a en effet aussi une ouverture côté belge pour soutenir l’université du Luxembourg. Le déplacement de la Reine Mathilde à Belval aura pour objectif de souligner l’intérêt que la Belgique porte à accompagner le Luxembourg dans sa volonté de développer son université comme un pôle d’excellence reconnu dans le secteur académique.

Pas d’accord spécifique sur la mobilité transfrontalière

Un autre aspect majeur des relations transfrontalières est la mobilité. Est-il prévu de signer une convention spécifique à ce sujet ?

Le seul fait que le couple royal et la délégation officielle rejoignent Luxembourg en train démontre l’importance que la Belgique accorde au réseau de transport belgo-luxembourgeois. Il n’y aura cependant pas d’accord spécifique qui sera signé sur la mobilité transfrontalière. L’avenir de la mobilité en général est une préoccupation partagée par les deux pays. Une visite d’État peut aussi servir à donner des impulsions. Le déjeuner sur la mobilité qui aura lieu jeudi sur la Moselle à bord du Marie-Astrid témoigne de l’importance qui est accordée à la mobilité. Mais j’admets que cela reste un des défis les plus compliqués auxquels on doit faire face.

Le sort européen du Royaume-Uni doit être scellé cette semaine lors du sommet européen à Bruxelles. La Belgique, en tant que voisine directe, a-t-elle des craintes plus particulières par rapport à un Brexit dur ?

Les pays qui sont à proximité du Royaume-Uni sont bien évidemment les plus exposés aux conséquences d’un Brexit dur. Il existe aussi de gros enjeux pour la place financière du Luxembourg. Nos deux pays seront donc affectés par le Brexit, mais peut-être encore plus la Belgique que le Luxembourg. Le Grand-Duché a un profil d’activité économique, qui en dépit du Brexit, permettra de continuer à maintenir des liens avec la place de Londres. La Place luxembourgeoise pourra aussi être renforcée avec le transfert d’activités financières du Royaume-Uni vers le Grand-Duché. Par contre, ce qui va être très lourd à supporter pour la Belgique, ce sera le contrôle de tout ce flux de biens à l’arrivée et à la sortie de nos ports d’Anvers et de Zeebruges. On revient à une charge administrative dont on était tellement heureux de s’être débarrassés à travers l’union douanière et le marché intérieur. C’est un pas en arrière qui va créer des lourdeurs pour les pays qui sont les plus proches du Royaume-Uni. Le Brexit ne créera pas de valeur ajoutée. Il dégage une dynamique qui n’est pas positive.

Entretien avec David Marques

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