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Diekirch : le procureur se confie avant sa retraite


Aloyse Weirich raccroche la robe après huit ans passés à Diekirch. Il raconte son expérience (Photo : Anne Lommel).

Après avoir passé plus de huit ans à la tête du parquet de Diekirch, le magistrat de 61 ans s’apprête à partir à la retraite le 1er octobre. Il raconte son métier et se confie sur sa vision de la justice au Luxembourg.

«Le juge arrive le matin dans son bureau, il connaît les dossiers qui l’attendent pour l’audience. Le procureur qui est de permanence, pour sa part, ne sait pas ce qui l’attend en répondant à un coup de fil. Et des fois, il est obligé de prendre de lourdes décisions dans l’urgence…» Aloyse Weirich ne le cache pas. Lorsqu’il a pris la tête du parquet à Diekirch en 2011, après avoir siégé près de 25 ans comme juge, c’est un sacré changement qui l’attendait. Il quittait à l’époque la composition de la Cour d’appel qui a le dernier mot. Mais cela ne lui a pas fait peur. Au contraire : «C’était un défi passionnant. Je pensais apporter l’expérience que j’avais récoltée en tant que juge au moment de l’enquête de sorte que le tribunal dispose d’un dossier complet. J’ai bien vu en tant que juge ce qui pouvait manquer parfois…» À deux semaines de son départ à la retraite, le procureur d’État est loin d’avoir rangé ses affaires. Entre les dossiers empilés sur son bureau, le code pénal et le code de procédure pénale ne font pas défaut. «Le parquet ne s’arrête jamais. C’est avant tout un travail d’équipe, avec des permanences à assurer 365 jours sur 365», souligne-t-il. La semaine dernière, il était encore de permanence jour et nuit. Jusqu’au dernier jour, il ne compte rien lâcher. «Je ne sais pas ce qui arrivera les deux dernières semaines, mais si quelque chose de gros arrive, il faudra que je m’en charge.»

Du haut de ses 61 ans, Aloyse Weirich ne regrette aucunement son parcours. «La magistrature, c’était définitivement la bonne décision», affirme-t-il sans hésitation. «La raison est simple : j’ai eu la chance d’occuper des fonctions différentes.» C’est alors qu’il faisait ses études à Strasbourg que le projet de se lancer dans cette voie est né : «Alors j’ai toujours pensé devenir juge.» Même s’il affirme que le métier d’avocat lui a beaucoup plu, il ne le restera que trois ans. Son choix, c’était la magistrature.

Première chambre criminelle en 1987

«J’ai bien aimé chaque étape. Je n’aurais pas pu m’en passer», lâche Aloyse Weirich. Après ses débuts en tant que jeune magistrat au parquet de Luxembourg, il a été l’un des trois juges à siéger dans la première chambre criminelle créée en 1987 à la suite la dissolution de la cour d’assises. Il deviendra ensuite successivement juge de paix, vice-président au tribunal d’arrondissement de Luxembourg et président de la Chambre du conseil avant de passer conseiller à la Cour d’appel… La dernière étape, on la connaît. Il termine à la tête du parquet de Diekirch. Pour quitter la capitale afin de rejoindre l’arrondissement judiciaire dans le Nord alors qu’il est originaire de la Minett et habite Bettembourg, il n’a pas longuement hésité. «Je n’étais pas complètement déraciné. Je connaissais quelques personnes.» Et en même temps, il renouait avec ses débuts dans la magistrature debout. «Je ne me suis jamais senti aussi proche des gens et des affaires. La spécificité du procureur est qu’il accompagne une affaire du début à la fin : du crime jusqu’au procès en passant par l’enquête et l’inculpation. Et puis, il y a l’exécution du jugement. C’est une expérience qui m’a apporté beaucoup de satisfaction.»

«Triste» que les conflits augmentent

Au fil de sa carrière, Aloyse Weirich en a vu défiler des prévenus. Il a pu se faire une image de l’évolution de la société. «Avec le recul, ce qui me chagrine un peu c’est que le nombre de procès augmente sans cesse», nous confie-t-il. «Tant au civil, qu’au commerce et au pénal.» «C’est un peu triste que de moins en moins de gens réussissent à s’asseoir autour d’une table pour s’entendre. De plus en plus de gens sont par ailleurs poussés en marge de la société.» Il poursuit : «Les moyens de la justice ont certes augmenté, mais difficile de trouver une solution à certains destins humains.» Il cite l’exemple des réseaux sociaux où les gens s’affrontent régulièrement. «Face aux cas de harcèlements de plus en plus agressifs, la médiation n’a qu’un succès restreint. Les personnes se sont tellement querellées…»
Au cours des 30 dernières années, les droits du prévenu et de la victime ont évolué. Ils sont désormais «formellement ancrés». Une évolution qui fait que les procès ont tendance à durer plus longtemps qu’autrefois. Aloyse Weirich reprend : «Je serais content si on pouvait résoudre plus de conflits par le biais de la médiation. En France, il y a la possibilité du stage de citoyenneté où on réapprend notamment les bases du respect.»

Des affaires marquantes

Au fil de sa carrière, il y a certaines affaires qui ont marqué Aloyse Weirich. «Lorsque je siégeais à la chambre criminelle, il y a eu « l’affaire de Waldbillig », une bande qui a commis une série de violents braquages dans les années 80. Elle n’a pas hésité à exécuter de sang-froid les plus gênants de ses membres par peur d’être trahie. Tout s’est terminé par le braquage du siège de la Banque internationale de Luxembourg (BIL) sur le boulevard Royal en 1985, où un policier a été également tué.» C’est d’ailleurs l’une des premières affaires dont le procès s’est déroulé sur plusieurs journées, se souvient notre interlocuteur.

Une autre affaire qu’il n’est pas près d’oublier de sitôt est le drame de Lausdorn en avril 2018 : «En l’espace de quelques secondes, le destin de plusieurs personnes a basculé : un policier a perdu la vie, une policière a été grièvement blessée, sans oublier l’inculpé dont la vie a aussi été bousculée par la décision qu’il a prise à cet instant-là.» L’affaire n’est pas encore passée au tribunal. «Une question importante qui devra être clarifiée est de savoir comment un policier doit agir quand un conducteur ne s’arrête pas. Comment nos actuels textes de loi sont-ils à interpréter?», indique Aloyse Weirich.

En une bonne trentaine d’années, le magistrat a, par ailleurs, vécu un certain nombre de réformes. Après la création de la chambre criminelle en 1987 instaurant le double degré de juridiction, il y a aussi eu l’introduction de la procédure du jugement sur accord. L’outil qui consiste à négocier entre le parquet et l’auteur d’une infraction assisté de son avocat, un accord visant une position commune sur la peine à appliquer a vu le jour en 2015, mais est aujourd’hui bien moins appliqué qu’on ne s’y attendait. L’accord évite les procès à rallonge, mais la procédure n’est pas si simple que cela. «Le parquet est obligé de présenter un jugement entier au tribunal, ce ne sont pas les avocats qui se chargent de sa rédaction», récapitule Aloyse Weirich. S’il se réjouit que l’outil ne soit plus contesté comme à ses débuts, il estime qu’il faudrait néanmoins «évaluer ce qui fonctionne et voir s’il n’y a pas possibilité de simplifier certains points.»

«Au 1er janvier, je n’y pensais pas encore…»

À la tête du parquet de Diekirch, c’est avant tout de la restauration du plus ancien palais de justice du pays, érigé en 1850, dont Aloyse Weirich se souviendra. «On n’a pas toujours la chance d’accompagner un tel projet dans une telle fonction : la transformation d’un palais historique en un tribunal moderne et fonctionnel.» «Un an après son inauguration, cela fonctionne très bien», soulève le procureur. «Voilà pourquoi je n’ai aucun regret de partir. Tout roule!», ajoute-il en précisant qu’il se réjouit désormais du nouveau chapitre qui l’attend. À l’entendre, la décision de partir à la retraite, il l’a prise plus vite qu’il ne le pensait. «Au 1er janvier, je n’y pensais pas encore… Mais un jour, il faut bien définir le moment. J’ai toujours aimé mon travail. Peut-être le fait de voir que le palais de justice restauré fonctionnait m’a aidé pour dire que c’était le moment de partir…», ajoute le père de famille marié.

«Mon successeur connaît le droit pénal par cœur»

Aloyse Weirich se réjouit que les limites de l’arrondissement de Diekirch qui couvre plus de la moitié du pays et compte un cinquième de la population soient désormais bel et bien ancrées. «Les frontières de l’arrondissement judiciaire ont été confirmées par la réforme de la police. Aujourd’hui, la région nord de la police est la même que l’arrondissement judiciaire.»

Depuis le retour dans le bâtiment historique l’été dernier, le procureur d’État de Diekirch occupe un tout nouveau bureau lumineux avec une grande baie vitrée. «Le tableau qui devait venir orner le mur blanc manque toujours. Je laisse le choix à mon successeur», rigole Aloyse Weirich.
C’est avec pleine confiance qu’il cèdera, le 1er octobre, le flambeau à Ernest Nilles, jusqu’à présent juge d’instruction directeur à Luxembourg et connu dernièrement pour avoir été en charge du dossier Bommeleeër. «C’est une chance quand on a un successeur qui connaît le droit pénal par cœur.» Il ajoute : «Et il connaît aussi Diekirch. Car il y a fait ses débuts en tant que substitut.»

Jusqu’à son départ, Aloyse Weirich ne retournera plus en audience. Son dernier réquisitoire, il l’a tenu le 2 septembre dernier. «Le jugement tombera quand je serai déjà à la retraite», note-t-il. Sa robe noire qu’il aura portée jusqu’au bout de sa carrière, il compte bien l’emporter chez lui. «En souvenir», comme l’avait d’ailleurs également fait son prédécesseur. «Mon nom y est inscrit à l’intérieur», précise-t-il.

Fabienne Armborst

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