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Face au travailleurs détachés, « on a peur pour notre emploi »


Face à des travailleurs détachés payés 3-4 euros de l'heure, personne n'est gagnant, sauf les entreprises qui fraudent, plaident les syndicats qui militaient jeudi, place de l'Europe à Luxembourg. (Photo Fabrizio Pizzolante)

Venus principalement de pays de l’Est, des travailleurs détachés sont exploités à vil prix dans d’autres pays européens, notamment au Luxembourg. Un «dumping social» que l’Europe s’est engagée à combattre.

Cela fait 18 ans que Jacques (prénom modifié) travaille dans une «grosse boîte» du bâtiment au Luxembourg. Mais depuis 5-6 ans, «ça devient grave avec les travailleurs détachés», témoigne-t-il, anonymement. «Maintenant, on voit clairement leur concurrence. On voit par exemple des ferrailleurs portugais ou des plâtriers polonais, ils sont payés 3-4 euros de l’heure. J’ai même vu des travailleurs étrangers : à peine débarqués de l’aéroport, ils sont emmenés directement avec leurs valises sur un chantier, où il y a déjà des outils préparés pour eux… Et ils repartent quelques jours plus tard, ni vu ni connu.»

Pour les employés luxembourgeois, c’est la douche froide : «Ça casse le marché local. On a peur, peur pour notre secteur, peur de perdre notre emploi.»

«À travail égal, salaire égal»

Il n’était pas le seul à battre le pavé, jeudi, sur la place de l’Europe au Kirchberg. À l’appel de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB), plusieurs organisations syndicales sont venues manifester, malgré la pluie, pour clamer un message simple : «À travail égal, salaire égal», résume Hernani Gomes. Pour le secrétaire central du syndicat Bâtiment à l’OGBL, «quand un salarié étranger vient travailler au Luxembourg, il doit bénéficier des mêmes conditions de travail que les salariés locaux. Mais certaines entreprises violent allègrement les règlementations locales, les conventions collectives sectorielles.»

Actuellement, une révision de la directive européenne sur les travailleurs détachés vise justement à garantir des conditions de rémunération «équitables» aux travailleurs détachés. Mais certains pays s’y opposent, estimant que cette révision sera mauvaise pour leur croissance économique. «Ces pays sont contre la directive, car ils ne défendent pas l’intérêt des salariés, mais celui des entreprises qui profitent des marges plus grandes qu’elles peuvent faire dans nos pays en exploitant des travailleurs détachés.»

Une pratique qui a un nom, dénoncent les syndicats : du «dumping social», une concurrence entre salariés «dont personne ne profite, sinon les entreprises qui fraudent et les États qui ne jouent pas le jeu». Message entendu ? La Commission européenne devrait répondre d’ici fin juillet à ces pays qui refusent la révision de la directive. Avec l’espoir, avertissent les syndicats, que la Commission de Jean-Claude Juncker ne reniera pas sa promesse de «combattre le dumping social».

Romain Van Dyck

Le secteur de la construction en première ligne

Selon le journal Le Monde, en 2014, le Luxembourg restait «le premier pays pourvoyeur de travailleurs détachés, avec 16% de l’ensemble des déclarations». Un chiffre a priori étonnant, qui s’explique par ce paradoxe : «Nombre de salariés détachés depuis le Luxembourg sont en fait des Français travaillant pour des agences d’intérim locales».

Le secteur de la construction est en première ligne. Selon la Fédération des artisans, il emploie au total 57 000 travailleurs, dont 38 000 dans les secteurs du génie technique et du parachèvement. Cela représente 11% de l’emploi salarié au Luxembourg, avec une création d’emploi moyenne de 3,9% par an entre 2000 et 2010 et de 1,15% par an entre 2010 et 2014. Et selon le Réseau européen des services publics de l’emploi, la main-d’œuvre dans ce secteur comprend quelque 10% de résidents luxembourgeois, 40% de résidents étrangers et 50% de frontaliers.

La grogne venue de l’Est

La Commission européenne répondra «avant fin juillet» aux onze pays européens qui font front commun contre son projet de lutter contre le dumping social des travailleurs détachés, a-t-elle annoncé, jeudi, à Luxembourg. À l’exception du Danemark, ces pays se trouvent tous à l’est de l’Europe : Bulgarie, Hongrie, Croatie, République tchèque, Pologne, Estonie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, Slovaquie. Leur leitmotiv : préserver la libre circulation des personnes et la libre prestation de services au sein de l’UE… dont ils usent et parfois abusent. La Pologne, qui est de très loin le pays qui détache le plus de travailleurs au sein de l’UE (près de 430 000 en 2014, en augmentation de 61% par rapport à 2010) voit d’un mauvais œil cette révision.

A contrario, plusieurs pays, comme la France, la Belgique et le Luxembourg, veulent s’attaquer aux dérives des dernières années. Avec l’élargissement de l’Union européenne, les écarts salariaux se sont en effet creusés, passant de 1 à 3 il y a vingt ans à 1 à 10 aujourd’hui.

Pour y remédier, l’exécutif européen propose un principe simple, «à travail égal, salaire égal». Désormais, toutes les règles relatives à la rémunération qui sont d’application générale aux travailleurs locaux devront être également appliquées aux travailleurs détachés. La rémunération devra comprendre non seulement les taux de salaire minimal, mais aussi d’autres éléments, tels que les primes ou les indemnités le cas échéant, pour permettre aux travailleurs détachés de bénéficier des mêmes conditions de travail que leurs collègues.

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