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Juifs : le Grand-Duché face à son passé


Vincent Artuso, auteur d'un rapport sur le rôle de l'État luxembourgeois dans les persécutions juives. (photo Isabella Finzi)

Le duo d’historiens composé de Denis Scuto et Vincent Artuso s’apprête à mettre la lumière sur l’attitude qui a prévalu à l’égard des juifs après 1945. Un nouveau projet de recherche étudie la politique de l’État luxembourgeois à l’égard des juifs des années 1930 aux années 1950.

En 2013, à la suite de la publication d’une liste d’élèves juifs, Denis Scuto découvre dans sa boîte mail le message d’un monsieur s’enquérant auprès de lui du destin de Dina Grossvogel, qui fut une amie de sa mère, laquelle «après la guerre n’a plus jamais trouvé trace» d’elle.

Au cours de ses recherches, l’assistant professeur en histoire contemporaine luxembourgeoise tombera tour à tour sur la «demande de carte d’identité pour étranger» de la disparue, alors âgée de 15 ans, puis sur son nom dans une liste de «juifs d’origine polonaise», établie en novembre 1940, soit six mois après l’occupation du Luxembourg par les troupes allemandes. Sur la fiche familiale des Grossvogel, établie par la Gestapo en vue de leur déportation à Litzmannstadt, les noms sont tous biffés  : la famille, grâce notamment à l’aide du professeur de piano de Dina, le compositeur Lucien Lambotte, directeur du conservatoire de musique, avait en effet réussi à quitter le pays à temps.

Au lendemain de la guerre, Dina, pianiste prometteuse qui avait donné des concerts au Casino dans sa jeunesse, est invitée à se produire sur les écrans de RTL. Pour autant, victime de la politique antinaturalisations des années 30, elle ne recevra ni le titre de séjour permanent ni la nationalité luxembourgeoise. Dina Grossvogel est morte en Israël, avant que Denis Scuto ne réussisse à retrouver la famille.

Le destin rompu de cette pianiste illustre parfaitement le genre de continuité au niveau administratif (dans l’attitude envers les juifs en général, et les rescapés en particulier) que les historiens Denis Scuto, directeur de recherche, et Vincent Artuso, collaborateur scientifique, ont pris sur eux d’analyser dans le cadre de leur dernier projet de recherche, qui s’étend des années 30 aux années 50. Il soulève en particulier la question de l’influence que l’occupation a eue sur les mentalités des fonctionnaires et agents de l’État, qui avaient travaillé côte à côte avec des Allemands.

L’antisémitisme dans l’après-guerre

Le rapport du brigadier de la Sûreté sur la demande d’autorisation de rentrer au Luxembourg de la famille Grossvogel fait valoir l’«absence de liens forts» avec le Luxembourg… Le brigadier en question a d’ailleurs toujours répondu par un avis négatif aux demandes formulées par des juifs. «Parmi les personnes condamnées après la guerre, la plupart avaient ou publiquement soutenu les nazis ou occupé un rôle de premier ordre dans la propagande», analyse Vincent Artuso.

À côté de la politique d’immigration antisémite pratiquée durant les années 30, qui pourrait avoir préparé le terrain pour la future collaboration avec les autorités nazies, le duo s’intéressera à l’épuration ainsi qu’aux efforts de la part des autorités luxembourgeoises pour réintégrer la population juive dans la société luxembourgeoise. Outre des ateliers et la publication d’une monographie, il est également prévu d’organiser un colloque international sur la question des réfugiés.

Frédéric Braun

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