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MemoShoah : histoire d’un projet


De g. à d. : Henri Juda et Claude Marx, dans les locaux de la grande synagogue de Luxembourg. (Photo : Alain Rischard)

L’association s’est donné comme mission d’accompagner le travail sur la mémoire de la Shoah au Grand-Duché. Rencontre avec son fondateur et le président du Consistoire israélite de Luxembourg.

L’ASBL cherche principalement à créer un centre de rencontre et de mémoire de la Shoah à Cinqfontaines.

L’un a vécu la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, en tant qu’enfant caché dans un petit village près de Châteauroux (Indre, France), exposé au froid et aux bombardements, l’autre est né plus tard et a grandi dans le catholique Echternach, auprès d’une mère rescapée d’Auschwitz, dans une atmosphère à la fois sombre et oppressante.

Pour Claude Marx – président du Consistoire israélite de Luxembourg, membre de MemoShoah – et Henri Juda, fondateur et président de ladite association, les raisons derrière leur engagement actuel contre l’oubli remontent à chaque fois à l’enfance, même si cet engagement n’aura pris la forme d’une mission que plus tard dans leurs vies. Ce qui tient d’une part à la reconnaissance tardive, 70 ans après les faits, de la collaboration des autorités luxembourgeoises dans la persécution des juifs et à l’existence d’un discours officiel sur l’histoire du pays, mais également aux biographies respectives de Claude Marx et d’Henri Juda. Alors que le premier, sans oublier ce qu’il avait vécu, a été occupé, comme beaucoup, à se refaire une vie après la guerre – quitte à ne jamais arriver à se départir complètement de l’idée d’avoir été privé de quelque chose – le second a longtemps «fui» la mémoire de la Shoah et jusqu’à ses propres origines.

Claude Marx connaissait déjà le Luxembourg avant qu’il ne vienne s’y installer, pour y avoir fait les marchés avec son oncle en 1947/48. À Paris, où il vit alors, il assiste au retour des déportés et constate «l’ignorance dans laquelle ils reviennent et le souci de ne pas les voir». Des auberges de jeunesse où il loge avec d’autres enfants, orphelins ou attendant le retour de leurs parents, celui qui a été obligé de commencer à travailler à 15 ans, se souvient comme d’une «école extraordinaire». En effet : «C’étaient des groupes extrêmement soudés par cette expérience commune.»Puis il y a eu la «télévision» et la guerre d’Algérie (à laquelle il a participé) «qui éradiquaient un peu le souvenir et la mémoire», se souvient l’ancien commerçant, qui n’a jamais supporté Paris. Quand il arrive à Luxembourg en 1967, «ça a été la liberté». Claude Marx se souvient seulement du «dédain viscéral» des Luxembourgeois envers les immigrés italiens – dédain, qu’avec le recul il considère avec d’autant plus d’humour que les historiens, qui actuellement font des recherches sur le judaïsme, «c’est (Denis) Scuto, c’est (Vincent) Artuso, et combien d’autres».

Un «problème sociétal»

Or un peu auparavant, dans la ville d’Echternach, des enfants étaient encore battus à l’école par leurs camarades de classe, pour la seule raison qu’ils appartenaient «à ces gens qui ont tué le Christ», comme se souvient Henri Juda, qui dit ressentir encore aujourd’hui à Echternach «l’oppression de l’Église sur la ville et la population». Ses parents ne s’étaient connus, la guerre une fois terminée. Tandis que son père avait survécu en cachette chez un fermier à Beaufort, sa mère «extrêmement traumatisée» revenait des camps où elle avait perdu son premier mari, un Luxembourgeois d’origine polonaise.

Le peu qu’Henri Juda sait d’elle, il l’a appris après la mort de sa mère : «Elle n’a jamais pu en parler. Et quand elle voulait, nous [les enfants] avons pris la fuite», raconte le président de MemoShoah qui s’est longtemps reproché «de ne pas avoir voulu combattre directement, ouvertement» la réaction épidermique que lui causaient les rares confidences de sa mère. Elle, qui avait accepté de témoigner au second procès d’Auschwitz (1963-1965) à Francfort, puis refusera lorsqu’elle découvre que les victimes sont logées dans le même hôtel que les fonctionnaires nazis…

Henri Juda se souvient aussi de discussions entre amis, où chacun racontait un peu ce qui était arrivé à ses parents pendant la guerre. Quand il évoquait le nom d’Auschwitz, on lui répondait : «Mon père a été obligé de travailler à la poste d’Osnabrück.» Visiblement, les expériences n’avaient pas été les mêmes. «On comprend pourquoi, après la guerre, beaucoup de gens n’avaient pas envie de parler», donne à penser Claude Marx. Récemment Henri Juda a découvert qu’à Auschwitz, sa mère avait donné naissance à un enfant, qui n’a vécu que six jours. Un officier allemand l’a jeté au four devant les yeux de sa mère.

Au Luxembourg, pendant très longtemps, «tout cela n’a intéressé personne», se souvient-il, lui-même ayant longtemps évité le sujet, mais pour d’autres raisons : ancien soixante-huitard, l’actuel vice-président de Credit Suisse Luxembourg a épousé une catholique : «Je ne peux pas dire que j’ai voulu y échapper, mais j’ai tout fait pour que cela se produise.» Puis un soir, lors d’une soirée privée, une blague antisémite fuse – c’est le déclic : dans les jours suivants, il prend la décision de ne plus se soustraire à la mémoire et de mettre sur pied une association pour le souvenir de la Shoah. Contre le recouvrement, les malentendus. L’ASBL MemoShoah est créée en octobre 2013. Car c’est d’un «problème sociétal» qu’il s’agit, moins «lié à la religion», estime Henri Juda. Sur ce dernier point, les avis divergent.

En effet, pour Claude Marx «si ces gens avaient été déportés, c’est parce qu’ils étaient juifs». Henri Juda préfère retenir des excuses du gouvernement, le 9 juin 2015, «la reconnaissance de la communauté juive en tant que Luxembourgeois».

Frédéric Braun

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