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Mobilité des frontaliers : « Nous sommes 45% des actifs du pays »


En tant que frontalier, son impôt "paye les décos de Noël à Diekirch ou Strassen", constate Henry Delescaut. Qui préférerait des trains à l'heure ! (Photo : François Aussems).

Des trains annulés, une vie bouffée par les retards, le sentiment de contribuer à la richesse du pays mais d’être pris pour l’éternelle variable d’ajustement… Le président de l’Association du train Metz-Luxembourg (AVTERML) raconte l’exaspération des frontaliers. Et à travers l’exemple de la mobilité, pointe une relation franco-luxembourgeoise à réinventer.

Vous étiez un simple usager du train Metz-Luxembourg, votre association compte 300 adhérents. Quel parcours !
Henry Delescaut : Et je ne compte que les cotisations à jour (il sourit). Je travaille au Luxembourg depuis 2013. Je subissais les retards et les annulations, souvent du fait de la SNCF à l’époque. J’envoyais des mails, j’interpellais les responsables via les réseaux sociaux et puis… très peu de réponses. On s’est retrouvés à un petit groupe d’usagers, en décembre 2015. On s’est dit qu’en posant les questions ensemble on aurait des réponses, et l’association est née.

Une meilleure communication, mais…

Et vous avez eu des réponses?
Oui, malgré tous ses défauts, la communication avec les CFL et la SNCF a changé. Nous avons d’ailleurs été reçus par le directeur des CFL le 6 novembre. Cet entretien a été encourageant : on a senti l’envie de construire ensemble, comme on le fait avec la SNCF. Des initiatives sont prises des deux côtés pour mieux communiquer : des fils Twitter, des écrans à jour en gare de Luxembourg, des réunions… il manque parfois un contact humain (NDLR : les tweets des CFL sont générés automatiquement) et surtout, il reste un effort conséquent à réaliser sur la transparence.
Vous parlez de la sécurité à bord par exemple ?
Par exemple. Mais je dissocierais la transparence purement technique et la transparence politique sur les enjeux de territoire, dont la mobilité fait partie, et que l’on ne nous explique que trop rarement.
Commençons par les craintes sur la sécurité alors.
Deux accidents majeurs et un incident grave en onze ans. Le tout, sur un tronçon entre Zoufftgen et Bettembourg de six kilomètres. Ce n’est pas de la paranoïa, mais beaucoup d’usagers ne veulent plus monter dans la première rame…

Parce qu’il n’y a pas assez d’éclairages sur les causes des accidents ?
Sur la collision du 14 février 2017 (NDLR : un nez-à-nez entre un train de voyageurs avec peu de passagers, dont le conducteur a été tué, et un train de marchandises dont le conducteur a été blessé), on nous a d’abord laissé entendre que c’était une erreur humaine, que le conducteur avait franchi un feu rouge. Puis la rumeur a couru que c’était un suicide. Une enquête a été ouverte, dont nous n’avons toujours pas les résultats. Des éléments ont filtré : il y aurait eu une « non-répétition d’un signal à bord »… ce qui pourrait signifier une défaillance soit à bord du train, soit sur les appareils de la voie, donc un problème technique.
Sur l’incident du 16 octobre 2018 (NDLR : une locomotive à l’arrêt contre deux wagons de fret), on n’aurait rien su si des syndicalistes n’avaient pas soulevé le problème. Après, un accident n’est jamais dû qu’à une seule cause, rien n’est simple… je le sais, j’ai bossé des années dans l’ingénierie aéronautique militaire. Mais une chose est certaine : le manque de transparence nourrit le doute.

«La mobilité, c’est une question d’investissement public. Je constate que nous, les frontaliers, représentons 45% des actifs.» (Photo : François Aussems)

«La mobilité, c’est une question d’investissement public. Je constate que nous, les frontaliers, représentons 45% des actifs.» (Photo : François Aussems)

Et sur le terrain politique? On a l’impression que le frontalier, dans un train comme dans une voiture, est plus que jamais une variable d’ajustement.
La mobilité, c’est une question d’investissement public. Je constate que nous, les frontaliers, représentons 45% des actifs au Luxembourg (Allemands et Belges inclus). Si le Luxembourg recrute autant, c’est parce que c’est fiscalement intéressant pour les entreprises de s’y installer. Mais l’impôt que le Grand-Duché ne prend pas aux entreprises, il le prélève ailleurs… notamment chez les frontaliers (NDLR : les frontaliers rapportent plus d’impôts que la taxe d’abonnement des fonds d’investissement!)
Le frontalier paye donc ses impôts sur le revenu au Luxembourg, mais reste à la charge d’un autre État ailleurs. Et les voisins devraient se débrouiller seuls pour les infrastructures?
Je voudrais revenir sur une phrase qui m’a profondément choqué. Xavier Bettel a déclaré en mars dernier qu’il ne voulait pas « payer les décorations de Noël d’un maire en Lorraine ». Dans cet esprit, pourquoi moi je voudrais continuer à payer les décorations de Noël à Diekirch ou Strassen ? Ce n’est pas une blague : en tant que « fronta », c’est un exemple de destination de mes impôts ! On ne peut pas considérer ainsi des personnes qui contribuent pour presque moitié au dynamisme du pays…
Pourtant François Bausch dit que l’État luxembourgeois investit suffisamment sur son territoire pour les frontaliers.

Un jour le ministre m’a dit : « La gare du Pfaffenthal, c’est pour les frontaliers qui vont au Kirchberg qu’on l’a faite. » J’ai répondu : « C’est aussi pour les gens du Nord qui travaillent au Kirchberg, c’est aussi pour les gens de la Ville… » Si le Luxembourg veut atteindre le million d’habitants, il aura besoin de toutes ces infrastructures. Je demande ce qu’on fait pour le frontalier qui part depuis Metz ou Thionville, et qui contribue autant qu’un actif résident à l’économie du pays et au prélèvement de l’impôt […]

Entretien avec Hubert Gamelon

Retrouvez l’interview du lundi dans son intégralité dans notre édition papier de ce 19 novembre.

Pour adhérer à l’AVTERML (8 euros l’année) le lien est ici.

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