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Pollution : le danger vient de l’intérieur


Vertiges, allergies, troubles nerveux, mais aussi maladie chroniques, cancers… On pense fermer la porte à la pollution en s’enfermant chez soi ou au bureau : hélas c’est tout le contraire !

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Moquettes, garnitures de canapé, rideaux, parquet… Si l’air de nos villes n’est pas vraiment sain, on n’est pas forcément mieux loti chez soi. (Photo : Editpress)

Il est essentiel d’améliorer la qualité de notre air intérieur, plaide Ralph Baden, expert de la division Santé au travail au ministère de la Santé et vice-président de l’association AKUT. Car le « sick building syndrom » fait de plus en plus de ravages…

> Depuis quand s’intéresse-t-on à la pollution intérieure ?

Ralph Baden : Cela remonte au début des années 70, après la crise pétrolière, lorsque l’on a commencé à mieux isoler les maisons. Cela a permis de faire des économies d’énergie, mais aussi de diminuer l’échange entre airs intérieur et extérieur, donc favoriser l’humidité, le développement de moisissures… En 1983, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a ainsi évoqué le « sick building syndrom » (NDLR : syndrome des bâtiments malsains), suite à la hausse de plaintes liées aux nouveaux matériaux de construction, et à la prise de conscience que la pollution intérieure est souvent supérieure à la pollution extérieure…

> D’autant que l’on boude de plus en plus le grand air…

Oui, on passe près de 90 % de notre temps enfermé, soit chez nous, soit sur notre lieu de travail, de loisirs… Et les sources de pollution sont souvent les mêmes : les matériaux de construction, les meubles, les produits de nettoyage, les solvants…

> Le problème est-il si grave ?

Le problème est clairement sous-estimé. Et il est plus important que celui de la pollution extérieure, dont on parle énormément. Il provoque des maladies chroniques. Il y a les symptômes comme les irritations des yeux, du nez, les démangeaisons, allergies, vertiges, nausées, troubles du sommeil et de la concentration. Mais on note aussi la hausse des asthmes, maladies auto-immunes, fibromyalgies, tumeurs…

> Existe-il des études sur ce sujet au Luxembourg ?

Peu. J’ai notamment fait des statistiques sur le domaine résidentiel. Entre 2004 et 2007, on a analysé 2 178 bâtiments au Luxembourg. 42 % des immeubles contenaient en moyenne 4 polluants cancérigènes, que ce soient des substances chimiques ou bien des champs électromagnétiques. Mais dans mon service, on se focalise plutôt sur le lieu de travail, car il y a le facteur absentéisme. Je pense notamment à une grande étude qui a été faite à l’échelle européenne, et qui a montré que l’absentéisme augmentait sensiblement lorsqu’on utilise à proximité des travailleurs certaines imprimantes laser, à cause des métaux lourds et des particules fines.

> On incrimine souvent les moquettes…

Les moquettes ne sont pas pires que les parquets et les sols lisses. Il y a plus de poussières piégées dans les moquettes, mais si on a une vitrification en polyuréthane sur le parquet ou le lino, c’est tout aussi mauvais.

> Et qu’en est-il des peintures « écologiques » ?

Cela dépend lesquelles. Le problème, c’est que l’on confond souvent écologie et santé. Car des produits écologiques peuvent être pires que les produits qu’ils remplacent, en étant bons pour la nature mais nocifs pour l’homme, car plus persistants. Par exemple, avant, dans les peintures, il y avait des solvants classiques – toluène, xylène, … – qui donnent des maux de tête, mais qui sont très volatiles, donc disparaissent dans la nature au bout de quelques semaines.

Aujourd’hui, on les remplace par des peintures écologiques, souvent à base d’eau. Mais l’eau n’a pas les mêmes propriétés physiques, donc il faut rajouter des conservateurs, des éthers de glycols, plus toxiques que les solvants classiques pour l’occupant, mais moins volatiles, donc qui mettront des mois, voire des années, pour sortir.

> Pourquoi ne pas interdire les produits nocifs ?

C’est difficile de le faire, malheureusement, à l’échelle européenne. Par exemple, le PCP (le pentachlorophénol, un conservateur des bois, toxique), est banni depuis 89 en Allemagne, depuis 94 au Luxembourg, en partie en France, et pas du tout en Italie…. L’interdiction n’est pas généralisée en Europe, qui a préféré opter vers la législation la plus ouverte, pour des raisons de compétitivité. En fait, le problème pour la plupart des substances qui occasionnent cette pollution intérieure, c’est qu’il n’existe pas de seuil, de valeurs limites d’exposition. On travaille dans un no man’s land législatif !

> N’y a-t-il pas aussi un laxisme politique au niveau national ?

Le politique national n’a plus le pouvoir en la matière. C’est à Bruxelles que cela se décide. Le problème, ce n’est pas le laxisme politique, c’est le lobbying. Bruxelles est très proche de l’industrie, plus que du consommateur, ce qui est facile à expliquer, quand on sait que d’un côté il y a des fonctionnaires comme moi, et de l’autre, l’industrie, qui a les moyens de payer des personnes à faire du lobbying en permanence.

Je vous donne un exemple : je suis dans un groupe organisé par la direction générale de la santé et des consommateurs de Bruxelles. On est une quinzaine d’experts sur la qualité de l’air intérieur : il y a 5 lobbyistes, 9 fonctionnaires qui travaillent derrière leur écran, et moi, le seul à travailler sur le terrain, à parler en connaissance de cause. C’est là tout le problème. Si on attend Bruxelles pour changer les choses, c’est fini.

> Le public est-il suffisamment informé ?

Non. Mais c’est complexe. Nous par exemple, lors de nos analyses de la pollution intérieure, on va analyser 160 substances chimiques. Comment le vendeur de meuble ou de peinture, et les consommateurs peuvent-ils connaître toutes ces substances et leurs effets ? Impossible. D’où l’importance de créer des labels fiables, qui se basent sur la santé, plus que l’écologie. C’est pourquoi AKUT a notamment créé le site sami.lu.

> La pollution intérieure diminue-t-elle en hiver ?

Pas forcément… Si vous chauffez beaucoup, si vous n’aérez pas assez, cela va l’aggraver. Or, en hiver, on aère moins, et il y a plus de ponts thermiques qui favorisent le développement de moisissures. La pollution intérieure dépend moins des saisons que de votre environnement et de votre mode de vie.

Entretien avec notre journaliste Romain Van Dyck

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L’intégralité de notre dossier “Pollution intérieure″ est à lire dans l’édition papier du Quotidien des 21 et 22 février.

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