Accueil | Dossiers | Schizophrénie : « Au début, on pensait à une déprime »

Schizophrénie : « Au début, on pensait à une déprime »


Le fils de Mady souffre depuis cinq ans de schizophrénie. Une maladie insuffisamment prise en charge au Luxembourg, dénonce-t-elle. (illustrartion Editpress/Didier Sylvestre)

À 20 ans, Max est tombé malade. Une maladie méconnue, voire taboue au Luxembourg : la schizophrénie. Cinq ans après, ses proches se battent contre la fatalité et l’ignorance.

Dossier réalisé par Romain Van Dyck

Vacances de Pâques, en 2011. Max (prénom modifié), 20 ans, devient triste, rentre tard, fuit ses proches, s’enferme dans le noir. «Au début, on pensait à une déprime, car il avait raté ses examens d’université. Ou à une déception amoureuse. Impossible de discuter avec lui pour savoir ce qui le torturait», raconte sa mère.

Aujourd’hui, Mady sait : Max est schizophrène. Une maladie sournoise. Elle est souvent confondue avec un vague à l’âme, une dépression ou une double personnalité. Tout ceci n’a pourtant rien à voir avec cette maladie qui entraîne des troubles du comportement et des hallucinations.

Selon une étude publiée en 2015 par le Luxembourg Institut of Health, les troubles mentaux et du comportement ont représenté en 2009 la première cause d’hospitalisation (en nombre de journées) avec 23,5% du total des journées. Avec 479 lits hospitaliers, 17% des lits des hôpitaux du pays sont consacrés à la psychiatrie. Le Luxembourg compte 15,5 psychiatres pour 100 000 habitants. 12,7% des jeunes ont pensé au suicide dans les douze derniers mois, 6,4% des jeunes ont fait une tentative de suicide. Un cinquième de la population a reçu au moins un remboursement de psychotropes en 2010 comprenant les antidépresseurs, les tranquillisants, les somnifères, les neuroleptiques et les psychostimulants, soit 24,9% des femmes et 15,1% des hommes.

Une maladie complexe, aussi. Car le chemin jusqu’au diagnostic n’a pas été facile. «Son comportement envers nous a changé au point que je ne reconnais plus mon enfant.» En témoigne cette crise survenue en septembre. «Il était enfermé dans la salle de bains, par moments, je l’entendais gémir, sans obtenir une réponse. J’ai essayé d’enfoncer la porte, sans succès, et j’ai dû appeler le 112. Les pompiers et la police sont venus. Il est resté sous observation pendant 48 heures à l’hôpital, puis on l’a relâché. Parce qu’il était soi-disant normal.»

« Un cercle vicieux »

Un mois après, son comportement empire. Sa chambre devient un dépotoir… Retour forcé à la case hôpital. «Ce qui est triste et frustrant, c’est de voir son enfant, qui jusque-là n’a jamais été malade si ce n’est un rhume par an, qui n’arrive pas à exprimer ce qu’il ressent. Impossible de le convaincre d’aller voir un médecin. On est forcé de réagir pour lui et d’appeler l’ambulance pour l’aider.»

Finalement, le diagnostic tombe. Mady peut enfin mettre un nom sur les tourments qui assaillent Max. Mais ce dernier ne comprend pas et réagit mal. «Max ne se sent pas malade, il ne comprend pas ce qui lui arrive, pourquoi on le force à prendre un neuroleptique, avec beaucoup d’effets secondaires qui transforment son corps, le font grossir…»

Eric Krebs, le compagnon de Mady, ajoute : «Comme les schizophrènes ne se sentent pas malades, ils arrêtent souvent leur traitement, alors qu’il est nécessaire pour ajuster le dérèglement hormonal de la dopamine dans leur cerveau. Ce qui fait qu’ils rechutent. 60% des malades sont dans le déni ! C’est un cercle vicieux.»

Profamille vise à apporter les informations et le soutien que ne peuvent pas toujours fournir les services psychiatriques. (Photo LLHM)

Profamille vise à apporter les informations et le soutien que ne peuvent pas toujours fournir les services psychiatriques. (Photo LLHM)

Michelle Steichen, de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale, peut en attester. Cette infirmière psychiatrique coordonne le nouveau programme «Profamille» visant à aider les malades et leurs familles. «La schizophrénie est une maladie très complexe. Le psychiatre qui va poser le diagnostic va regarder si le patient présente une liste précise de symptômes sur une certaine durée. Ça peut prendre des années ! Avec le risque de confusion avec d’autres maladies psychiques…», dit-elle.

Ou le risque de perdre espoir. «Beaucoup de schizophrènes se suicident, car personne ne les comprend et ils ne voient pas d’issue. Ils vivent dans leur monde, avec leur réalité, qui est différente de la nôtre», rappelle Mady. Ses amis ? «Au début, ils ne comprenaient pas non plus. Car Max réagissait parfois méchamment verbalement. Mais il n’a jamais été violent physiquement.»

«On les drogue durant l’hospitalisation»

Michelle explique : «Souvent, les schizophrènes ont beaucoup de peurs. C’est la peur de ne pas savoir s’exprimer, de se sentir persécuté. Et si ça s’aggrave, avec la décompensation psychotique, ils peuvent dans de rares cas devenir agressifs.»

Mady : «J’ai dû hospitaliser mon fils cinq fois contre son gré. Il y restait parfois trois ou six mois… Mais le manque de lits fait qu’on le libérait à chaque fois, sans qu’il soit à même de reprendre ses études ou d’aller travailler.»

Eric : «Je le dit crûment, on les drogue pendant le temps de l’hospitalisation, puis ils peuvent réintégrer leur famille sans plus de suivi, sans visite de contrôle périodique. C’est à la famille de voir après ce qu’il faut faire.» Pour éviter cette routine hospitalisation, camisole chimique, maison, hospitalisation, etc., «on a harcelé le personnel médical pour avoir des bribes d’informations, savoir ce qui se passe, où aller, comment faire. On a dû mener une véritable enquête.»

– La schizophrénie débute le plus souvent entre 15 et 25 ans chez les hommes et un peu plus tard chez les femmes.
– Le taux de suicide parmi les personnes atteintes est de 10%.
– L’espérance de vie des malades est réduite en moyenne de dix ans (mauvaise hygiène de vie, absence de soins…).
Mais le malade vit plus longtemps s’il prend régulièrement son traitement :
– la rémission symptomatique (disparition des symptômes psychotiques) est obtenue dans plus de 50% des cas avec les traitements
– la rémission des déficits fonctionnels (la personne malade retrouve un fonctionnement identique à une personne non malade) est estimée à 17%.

Ce n’est que début septembre que Max a finalement pu intégrer un atelier de travail thérapeutique et protégé (ATP) «et retrouver une structure journalière bénéfique pour lui, ceci après avoir dû attendre presque deux ans !» Cinq ans après, Max vit encore chez sa mère. «Sa vie sociale s’est considérablement effritée, dit Eric. Il a arrêté le basket, les cours de guitare, n’a gardé que quelques rares amis, qui sont au courant de sa maladie.»

Mais tout n’est pas si sombre. «On a les bonnes informations, enfin, notamment grâce à Profamille, soupire-t-il. Et on arrive à un stade où on pourrait rendre Max plus indépendant, qu’il puisse avoir une rémunération, qu’il soit fier de lui. Mais il faut que l’initiative vienne de lui.»

«Cinq ans, c’est une éternité, quand on voit que son enfant n’est toujours pas rétabli, qu’il n’évolue pas comme un malade normal, ajoute Mady. Mais nous continuons à garder espoir, à chercher des solutions qui permettront à Max d’accepter un jour sa maladie, de prendre régulièrement ses médicaments et de pouvoir ainsi gérer sa vie à nouveau, comme tous les jeunes de son âge, tout en étant atteint d’une psychose.»

La schizophrénie, c’est quoi ?

Définition
La schizophrénie est une maladie du cerveau. Ce n’est pas une maladie de l’âme, ni un manque de volonté, ni une double personnalité, mais bien un «défaut» de certains circuits neuronaux du cerveau. Ce trouble mental sévère se manifeste par une perte de contact avec la réalité et apparaît généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

Les causes
Elles peuvent être multiples. Environ 50% des cas de schizophrénie résultent d’une anomalie génétique, donc héréditaire, affectant le développement de l’hippocampe pendant la grossesse. Un problème survenu entre le troisième et le sixième mois de la grossesse (infection, abus de drogue ou d’alcool, malnutrition) ou à l’accouchement (naissance difficile, manque de tonus du bébé) risque de causer une lésion au cerveau (non détectable) et d’empêcher le développement normal de l’hippocampe. L’enfant né avec une lésion à l’hippocampe grandit sans problème jusqu’à l’adolescence. À cette période, une connexion, normale chez tous les humains, se fait entre l’hippocampe et les lobes frontaux. Ces derniers ont notamment pour fonction de donner la capacité de reconnaître les besoins d’autrui et de planifier à long terme. Comme l’hippocampe est «défectueux», la connexion se fait sur un mauvais circuit et «endommage» les lobes frontaux. C’est là qu’apparaissent les symptômes annonciateurs et persistants de la maladie. Une lésion à l’hippocampe ne dégénérera pas nécessairement en schizophrénie. L’environnement a une influence véritable, et certains éléments, chez un adolescent dont le cerveau est plus vulnérable à la psychose, provoquent l’apparition des symptômes de la maladie : prises de drogues, émotions trop intenses, accumulation de stress…

Les symptômes
Les premiers symptômes : troubles de l’attention, de la mémoire, problèmes de concentration, isolement, difficulté à converser, perte d’énergie… Les symptômes aigus : perturbation des perceptions ou hallucinations (le plus souvent auditive : entendre des voix. Mais parfois aussi visuelles ou tactiles). Délires ou erreurs de jugement logique (par exemple, s’imaginer que la personne qui me regarde dans l’autobus est là pour m’espionner). Langage incohérent (dire des phrases sans suite, inventer des mots). Dans presque 100% des cas, agissements aberrants (se promener nu dans la rue, garder toujours la maison dans la pénombre, par crainte d’être espionné, etc.).

Programme Profamille : « Ici, le sujet n’est pas tabou »

Un programme novateur, Profamille, est proposé pour aider les malades, à travers la prise en charge de ceux qui se sentent parfois oubliés : leurs proches.

La famille joue un rôle central dans l’accompagnement du malade. Déjà parce que souvent, tout commence par une hospitalisation, décidée par la famille. Et les équipes soignantes vont ensuite se retourner vers les proches pour avoir des informations sur le malade», explique Michelle Steichen. Pourtant, comme le montrent les témoignages d’Eric et Mady, les proches peuvent se sentir désemparés, voire abandonnés. «Beaucoup de familles se plaignaient de l’absence d’informations, de prise en charge et même d’intérêt pour cette maladie», rapporte l’infirmière psychiatrique.

Une situation que tente d’améliorer le programme Profamille, dont elle est coordinatrice. C’est le «premier effort organisé au Luxembourg de psychoéducation des familles au soutien thérapeutique de leur proche malade».

Développée au Québec dans les années 80, la méthode a été perfectionnée en France en 2003, avant d’arriver en 2015 chez nous grâce à une équipe multidisciplinaire de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale. Le programme vise à «amener progressivement le patient et sa famille d’un sentiment d’impuissance et d’une position de passivité ou de révolte face à la maladie, à une position de collaboration active à travers une vision réaliste de la schizophrénie.»

«C’est comme apprendre une nouvelle langue»

En clair, pendant trois ans, les familles ayant un proche schizophrène sont invitées à assister à des cours gratuits qui leur fournissent l’information la plus complète sur la maladie : comprendre la schizophrénie, le discours à adopter avec le malade, l’aider à prendre son traitement, trouver les réseaux d’assistance… «Le programme compte près de 2 000 pages qui compilent tout ce que l’on sait sur la maladie. La première année, les familles suivent 14 séances, soit 4 heures de cours tous les 15 jours.»

La première année a été un succès, constate Eric, qui y a participé : «C’était nouveau pour les professionnels et pour nous, mais ça s’est rapidement mis en place. Tous y ont immédiatement trouvé un intérêt. C’est comme apprendre une nouvelle langue : on nous donne des techniques afin de mieux communiquer avec le malade.»

Mady : «Pendant ce cours, nous sommes avec des professionnels qui prennent le temps de nous renseigner. Lorsque notre proche est hospitalisé en psychiatrie, il est très compliqué d’avoir des informations détaillées du personnel médical sur l’état et l’évolution de notre proche. À Profamille, nous avons toutes les informations nécessaires.»

Michelle : «J’ai été très touchée par les retours des participants (NDLR : onze familles), car c’est vraiment un endroit pour les familles de schizophrènes, qui n’existe nulle part ailleurs. Ici, le sujet n’est pas tabou, les proches peuvent partager leur expérience et s’épauler.»

Plus d’informations sur le site llhm.lu

 

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.