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Violence conjugale : comment responsabiliser les auteurs


"La violence intervient dans un moment de désarroi, lorsque le conjoint se sent démuni et impuissant. Il a le sentiment d'avoir raison et n'a plus d'autre moyen d'expression." (illustration Isabella Finzi)

La violence conjugale touche toutes les couches sociales. Pour la combattre, les interdictions et punitions sont indispensables, mais il faut aussi changer en profondeur la vision stéréotypée de la société. Le service InfoMann de l’asbl ActTogether et le Riicht Eraus de la Croix-Rouge accompagnent des auteurs de violence domestique.

Ça commence généralement par des piques. S’en suivent des cris, des objets cassés. Puis viennent les coups dans les murs ou les portes… avant que ceux-ci ne s’abattent sur la compagne. Dans la quasi totalité des cas, la violence ne surgit pas soudainement au sein d’un couple.

«Des signes précurseurs peuvent indiquer que le partenaire pourra se montrer violent. Il y a tout un processus qui s’installe, la violence physique est précédée d’une violence psychologique et verbale. On peut véritablement parler d’escalade», note Laurence Bouquet, chargée de direction du service Riicht Eraus de la Croix-Rouge, service qui a pour but d’accompagner et de conseiller les auteurs de violence domestique (hommes ou femmes) potentiels, présumés ou condamnés.

Un constat partagé par le psychologue Francis Spautz, qui exerce au sein d’InfoMann, un service entièrement dédié aux hommes. «La violence est une manière archaïque et non réfléchie de communiquer. C’est toujours la dernière possibilité. Elle intervient dans un moment de désarroi, lorsque le conjoint se sent démuni et impuissant. Il a le sentiment d’avoir raison et n’a plus d’autre moyen d’expression. Très souvent aussi, les auteurs sont d’anciennes victimes.»

Loin d’être l’apanage des seuls milieux défavorisés, comme certains préfèrent se le figurer, la violence conjugale touche tous les milieux socio-économiques et culturels, et toutes les régions. «La densité de population et le fait de vivre dans des appartements à cloisons minces avec des voisins qui peuvent appeler la police font que statistiquement, les expulsions de domicile sont forcément plus nombreuses dans le Sud du pays que lorsque la violence intervient dans une ferme isolée au Nord», rappelle Laurence Bouquet.

Des hommes qui «ne sont pas fiers»

Si certains contactent Infomann ou Riicht Eraus en amont, parce qu’ils sentent la tension monter, pour d’autres, le mal est déjà fait lorsqu’ils franchissent le seuil de ces services. Depuis la loi de 2013, les auteurs de violences domestiques expulsés de leur domicile ont en effet l’obligation de contacter le service Riicht Eraus et de se rendre à un rendez-vous durant les 14 jours de l’expulsion. «On laisse sept jours à la personne, pour qu’elle puisse prendre ses responsabilités, avant de la contacter. La seule information que nous transmettons au parquet, c’est si elle s’est présentée ou non au rendez-vous. Tout le reste relève du secret professionnel», fait savoir la directrice.

Le but de ces consultations : que l’auteur prenne la responsabilité de ses actes, «qu’il ne cherche plus d’excuses en disant que c’est la faute de la victime. Et ce, peu importe ce que la victime a fait, ou ce que l’auteur croit qu’elle a fait. Pour certains, cette prise de conscience est immédiate, pour d’autres il faut plus de temps».

Lorsqu’ils entrent à Riicht Eraus suite à une expulsion, Laurence Bouquet l’assure, ces hommes «ne sont pas fiers». «Pendant ces 14 jours, ils sont dans une situation de crise. L’auteur de violence présumée doit se débrouiller pour se loger : il doit trouver de la famille ou des amis qui peuvent l’héberger, certains vont à l’hôtel, d’autres dorment dans la voiture. Ils sont démunis, tristes de ne pas voir leurs enfants. Ils ont peur aussi, d’autant que l’expulsion peut être prolongée de trois mois et que les conséquences de leur acte ne s’arrêtent pas au 14e jour : dans le cas d’une expulsion, le parquet porte plainte automatiquement.»

« Se permettre d’avoir des doutes »

Certains expriment des regrets, ce qui amène d’ailleurs souvent la compagne a accepter le retour de son conjoint. «Ces hommes y croient profondément», assure Francis Spautz. «Les vrais psychopathes sont extrêmement rares. Le problème c’est qu’ils ne sont pas conscients des facteurs sous-jacents de cette violence».

Seuls un travail thérapeutique et une volonté de s’en sortir peuvent permettre de cesser le cycle de violence et au couple de se reconstruire éventuellement. «Sans ce travail, la violence risque de se reproduire», affirment les deux professionnels.

Prévenir la violence reste évidemment la solution idéale. «De nombreuses interventions de police précèdent les expulsions», relève Laurence Bouquet. «On aimerait commencer le travail plus en amont, au moment des premiers cris. La police distribue donc désormais dès les premières interventions un document avec toutes les adresses utiles.»

Mais bien au-delà, c’est le mode d’éducation et la vision globale de la société qui doit changer. «On est encore loin d’une société égalitaire. Il faut sortir des images stéréotypées et des vieux modèles patriarcaux et aussi autoriser l’homme à se pencher sur lui, articuler ses besoins, il doit se permettre d’avoir des doutes», plaide Francis Spautz.

Tatiana Salvan

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