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[Football] Michel Pautot : « Le Brexit ne chamboulera pas la Premier League »


Le Brexit, prévu en 2019, pourrait-il entraîner un départ de Pogba de l'Albion, et dans son sillage celui de nombreux joueurs étrangers ? (montage Le Quotidien et AFP)

« Le sport français doit-il craindre la mondialisation ? » C’est sous ce titre un brin provocateur que Michel Pautot, célèbre avocat marseillais, a intitulé la 15e édition de son étude Légisport « Sport et nationalités », qui a été présentée lundi à Paris.

À l’origine de l’arrêt Malaja (2002)*, prolongement de l’arrêt Bosman (1995) qui a bouleversé le sport professionnel européen, il s’est prêté pour Le Quotidien au jeu des questions-réponses.

La mondialisation du sport est-elle plutôt un frein ou un moteur à son développement ?

photo DR/Michel Pautot

photo DR/Michel Pautot

Michel Pautot : Je suis un Européen convaincu, donc j’aurais tendance à dire que c’est une chance pour les sportifs plutôt qu’un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Mais une chose est sûre : la mondialisation « impacte » tous les pays. L’internationalisation des effectifs est en marche. On peut le voir tous les week-ends sur les pelouses des championnats européens…

… de foot ?

Oui, le ballon rond, par exemple. De nos jours, toutes les équipes sont dans la recherche de l’excellence. Face à une concurrence accrue, elles se doivent de « performer ». Résultat, les équipes sont de plus en plus cosmopolites. Aujourd’hui, le talent n’a pas de frontière, pas de nationalité. Le 20 août dernier, l’Eintracht Francfort a aligné 11 étrangers au coup d’envoi. C’est loin d’être un cas isolé puisque dans un passé plus ou moins récent des clubs comme Chelsea, Grenade, l’OM ou encore le PSG l’ont aussi fait. En Italie, en avril 2016, Inter Milan – Udinese a même débuté sans joueur italien… Ce genre d’évènement était déjà arrivé en Angleterre en décembre 2009 lors d’un Portsmouth – Arsenal.

Et dans les autres sports ?

Si je me fie aux chiffres de mon étude, entre la saison 2003/2004 et la saison 2016/2017, la présence de joueurs étrangers dans trois des principaux championnats français (foot, rugby, handball) a pas mal augmenté. En Ligue 1, on passe de 37% à 46,21%, en Top 14 de 20% à 41,58% et en D1 masculine de handball de 20% à 38,72%. La Ligue A féminine de volley reste cette année encore le championnat le plus internationalisé avec 35 nationalités représentées. Et chez les hommes, Tourcoing a recruté Liu Libin, premier Chinois de l’histoire à évoluer en Ligue A… Sûrement pas le dernier !

La mondialisation du sport est-elle un phénomène inéluctable ?

Il faut bien comprendre que c’est une possibilité qui s’offre aux clubs, ce n’est en rien une obligation. Mais c’est de plus en plus perçu comme une nécessité. Après, comme me le répète assez souvent mon ami François Torres (NDLR : agent incontournable du basket français) : « À chaque club de définir sa stratégie. » Certes la formation doit être un objectif prioritaire pour la promotion des équipes nationales, mais l’apport de joueurs étrangers permet souvent d’opérer un bond qualitatif, de gagner en audience et en attractivité. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’arrivée de Neymar cet été au PSG…

Quinze ans plus tard, avec le recul, quel regard portez-vous sur l’arrêt Malaja (2002) dont vous êtes à l’origine ?

En toute modestie, je suis super fier de cette victoire. Fier car à l’époque, avec Lilia Malaja (NDLR : basketteuse polonaise qui était interdite de jouer à Strasbourg en 1998/1999 vu que la Fédération française de basket-ball refusait d’homologuer son contrat car son club comptait son quota de 2 joueuses extracommunautaires), on était les seuls à y croire. Dans le giron sportif, tout le monde pensait qu’au tribunal on allait perdre, se faire écrabouiller. Mais moi j’étais persuadé qu’on allait gagner. En préparant ma thèse de doctorat, j’avais découvert ces accords d’association qui étaient méconnus.

En gros, j’avais la « matière ». Je croyais dur comme fer, comme d’ailleurs votre compatriote Viviane Reding – qui fut commissaire européenne en charge des Sports (1999-2004) et du reste une « grande » vice-présidente de la Commission (2010-2014) – en la prévalence du droit communautaire. Bon, ça a pris du temps, la justice a quand même mis quatre ans à nous donner raison… Bref, l’arrêt Bosman a révolutionné le marché des transferts et libéralisé la circulation des joueurs en Europe. Il a montré la voie. Nous, avec Lilia Malaja, on s’est engouffré dans la brèche. On a fait valoir les engagements de l’Europe en matière de droits de l’homme et de non-discrimination.

À votre avis, quel impact le Brexit, prévu en mars 2019, peut-il avoir sur la Premier League anglaise ?

Je dirais un impact assez limité. La Premier League a misé en quelque sorte sur la mondialisation. Les clubs sont de plus en plus des marques globales, des entreprises de spectacle comme Disney où le business est florissant. D’accord, en Angleterre, près de 70% des joueurs sont étrangers. Mais aujourd’hui, c’est l’une des recettes du succès. Ce n’est pas pour rien que la Premier League est considérée comme le meilleur championnat du monde… Cette sortie de l’UE fera, c’est sûr, l’objet de négociations serrées, il faudra trouver un terrain d’entente sur les grandes lignes, mais je ne vois pas le Royaume-Uni tout chambouler à ce niveau-là, c’est-à-dire toucher aux règles de la libre circulation. »

Entretien avec Ismaël Bouchafra-Hennequin

* L’arrêt Malaja, rendu le 30 décembre 2002, a étendu sans aucune restriction les effets de l’arrêt Bosman aux ressortissants des 24 pays ayant signé des accords d’association et de coopération avec l’UE (Turquie, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Slovaquie, République tchèque, Roumanie, Lituanie, Estonie, Let tonie, Slovénie, Russie, Ukraine, Moldavie, Kazakhstan, Kirghizstan, Biélorussie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Ouzbékistan) et du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). L’arrêt Malaja a été confirmé ensuite par la Cour de justice des communautés européennes dans 3 arrêts successifs : Kolpak (2003), Simutenkov (2005) et Kahveci (2008).

Michel Pautot a publié un livre intitulé Sports et nationalités aux éditions L’Harmattan, en 2014.

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