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La DN, une machine à broyer les coaches


"Coach, ça devrait être un loisir, mais en fait, c'est un deuxième métier", confie Christian Joachim. (archives Julien Garroy)

Staffs de plus en plus larges ou trop limités : les entraîneurs piochent dans les réserves pour faire tourner le bateau. Le point de rupture n’est souvent pas loin.

Ils ont été nombreux à lire l’interview de Manuel Correia, le coach de Strassen, parue dans nos colonnes. Et même, pour certains, à s’y reconnaître complètement. Le technicien s’y disait «honnêtement très très fatigué». Normal, vu son rythme de vie.

C’est malheureusement de plus en plus la norme. Dans une BGL Ligue plus compétitive, où certains clubs mettent désormais de gros moyens sur l’encadrement, un coach amateur embauché par un petit club doit «tout faire lui-même», admet Arno Bonvini. «Si vous voulez voir une équipe, soit vous allez vous asseoir vous-même en tribune, soit vous achetez la vidéo à RTL et vous vous mettez devant votre écran après l’entraînement. D’autres ont des scouts, des analystes vidéo… Moi, si je ne le faisais pas moi-même, je n’avais rien à montrer à mes joueurs.»

L’ancien coach de Mondorf et Differdange aurait alors sans doute rêvé de voir son staff s’étoffer. Le sien, au stade John-Grün, devait faire plus ou moins la même taille que celui mis progressivement à la disposition de Dan Santos à Hamm, ces dernières années. Pourtant, le technicien, qui se dirigera à la fin de l’été vers la structure FLF afin de devenir l’adjoint de Manou Cardoni chez les espoirs après quelques mois de repos, ne garde pas un souvenir mémorable de cette mise à disposition de moyens humains plus conséquents. Pour lui, cela s’était surtout traduit par… plus de travail : «Avoir plus de gens autour de moi ne m’a paradoxalement pas libéré. Parce qu’eux aussi étaient amateurs et que l’on n’avait pas les mêmes horaires. Au final, je passais beaucoup plus de temps à tout organiser qu’avant.»

« Un deuxième métier »

Il y en a un qui n’est jamais arrivé à ce stade auquel on se pose des questions, qui a arrêté avant. C’est Christian Joachim, qui a dit stop à l’US Rumelange à l’issue de la saison 2016/2017 et d’une énième relégation, après seulement une saison complète plus quelques mois de la précédente en remplacement de Marc Birsens. Au-delà des résultats –«C’est comme en politique, dit-il, on prend ses responsabilités»– il n’a pas souhaité dire oui à Gérard Jeitz, qui voulait le voir rester en Promotion. «Je peux bien vous le dire : j’avais un très gros coup de fatigue. Physiquement et nerveusement.» Et aujourd’hui, l’expérience de ce prof de sport qui va se repiquer au jeu à Junglinster, au mois d’août prochain, se rapproche tellement de celle exprimée par Manuel Correia que l’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle doit être partagée par beaucoup de techniciens au pays. Forcés à l’excellence avec des moyens parfois dérisoires.

«J’ai une anecdote, relance Joachim en riant. Un jour où l’on jouait contre le RFCU, je discutais avec leur entraîneur de l’époque, Sami Smaïli (NDLR : qui était, lui, «professionnel»). Il était très étonné d’apprendre que j’avais un métier à côté de mon job d’entraîneur. Et là, il me demande : -Mais tu es à mi-temps quand même ? -Non, à plein temps. Eh oui, c’est comme ça : coach, ça devrait être un loisir, mais en fait, c’est un deuxième métier.»

« Ma famille s’en est fait pour moi »

Et Jacques Muller, dernier coach «coupé» au RFCU, de raconter comment son successeur d’alors, Patrick Grettnich, qui dirige un bureau d’assurances, devait «s’arranger pour se libérer les matins pour faire un entraînement pour une partie du groupe avant de revenir le soir pour… tout le groupe. Pas évident.» Tellement pas évident qu’il a fini par dire stop l’hiver dernier par manque de temps. Il en a encore suffisamment pour être directeur sportif du club. Plus pour faire coach.

«Si on veut rester compétitif en DN, il faut actuellement s’investir humainement de plus en plus», poursuit Christian Joachim. «Mais il y a fatalement un moment où l’on se rend compte que les journées ne font que 24 heures et qu’à un moment il faut un petit peu de sommeil quand même. Oui, quand j’entraînais Rumelange, ma famille s’en est fait pour moi. Elle s’est posé des questions quand elle m’a vu vieillir de façon accélérée. Pour ma nouvelle expérience à Junglinster, je me suis promis de prendre plus soin de moi, surtout au niveau de la nutrition. À mon époque rumelangeoise, en venant de Mersch, je m’arrêtais dans une station-service pour manger des saloperies avant l’entraînement. Et après, je m’arrêtais au McDo. Ce sont des erreurs à ne pas commettre. Ça joue sur les performances physiques de l’entraîneur. Et sur l’aspect psychique. Cela m’étonne presque qu’au haut niveau il n’y ait pas plus de défections.»

Il va peut-être falloir commencer à faire passer des tests médicaux aux entraîneurs de DN, à ce rythme… Sauf à Arno Bonvini : «Je ne me suis jamais senti aussi bien que ces deux dernières semaines. Tu te rends compte du stress que tu subis quand tu mets un pied dehors…»

Julien Mollereau

Turn-over incessant

Depuis l’été 2013, 36 clubs ont changé d’entraîneur en cours de saison, que ce soit à la suite d’un limogeage ou d’un départ volontaire. Soit un total de 43% de turn-over sur l’ensemble des clubs.

C’est vertigineux : près d’un coach sur deux est aujourd’hui certain de ne pas finir la saison…

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