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Écohabitat senior : chacun chez soi, mais tous ensemble


Douze appartements verront le jour dans cette villa d'ici 2022 pour accueillir de jeunes pensionnés. (photo Anne Lommel)

Un projet d’habitat participatif spécialement dédié aux seniors est en cours de développement à Lorentzweiler. Une première au Luxembourg.

Le concept ? Des personnes âgées décident d’habiter dans un même endroit, mais chacune dans son propre appartement, selon des règles édictées par l’ensemble de la communauté sur place. Une façon de garder son autonomie tout en évitant les saisons de solitude qui accompagnent souvent le passage à la pension et aux vieux jours.

L’histoire commence il y a deux ans, lorsque Emma Zimer, fondatrice de la société spécialisée dans l’habitat participatif Nouma, organise une réunion d’information au sein du RBS (le service gouvernemental dédié aux personnes âgées). Dans l’assemblée, Astrid Lauterbach, 65 ans, ancienne responsable services d’une société américaine basée au Luxembourg, se laisse séduire par cette idée d’un habitat partagé par des personnes de sa génération, désireuses de profiter encore de la vie et de conserver des contacts sociaux.

Pas une maison de retraite

«Les personnes intégrant ce type d’habitat sont le plus souvent des personnes seules, qui ont la soixantaine, très actives, qui ont dû s’occuper de leurs parents et se sont rendu compte que les choses peuvent changer, qu’on se retrouve plus seuls. Elles n’ont pas envie d’aller en maison de retraite», analyse Emma Zimer.

Un profil dans lequel se reconnaît Astrid Lauterbach, qui s’occupe encore de sa maman, âgée de 92 ans : «Je suis veuve, mes enfants sont partis de la maison – j’ai un fils en Angleterre, une fille qui vient de s’installer. Je ne veux ni rester seule ni être un poids pour mes enfants. Et puis, j’ai plein d’activités, plein d’amis, mais je sais que petit à petit, on en a moins, les gens meurent.»

Astrid Lauterbach met alors tout en œuvre pour concrétiser le projet d’écohabitat, accompagnée de Nouma. «Le but est de développer quelque chose qui leur ressemble», précise Emma Zimer.

Avec une dizaine d’autres personnes, Astrid Lauterbach monte l’ASBL Beienhaus, qu’elle préside, et multiplie les réunions – tout se décide ensemble –, notamment pour convenir du lieu où le projet prendra forme.

Ce sera finalement au sein d’une villa située route de Luxembourg, à Lorentzweiler, à une vingtaine de kilomètres au nord de la capitale. «Au début, je n’étais pas très attirée par l’endroit, car j’habite beaucoup plus près de la ville», reconnaît Astrid Lauterbach. «Mais quand j’ai vu les premières photos de la maison, recouverte de lierre, comme la mienne, ma curiosité a été attisée. Finalement, j’adore la villa et moi qui ai l’habitude de tout faire en voiture, j’ai pris le train pour me rendre au Kirchberg. C’était facile et rapide, ça m’a rassurée.»

« Les prix de la région »

Le projet de Lorentzweiler prévoit la construction de douze appartements de 59 à 94 m². Les travaux débuteront l’année prochaine et seront achevés en 2022. Disponibles à la location ou à l’achat, il en coûtera entre 7 000 et 8 000 euros le m². «Ce sont les prix de la région», note Emma Zimer. Pour l’heure, quatre personnes, dont Astrid Lauterbach, se sont engagées à acheter un logement.

La villa, qui comprend un rez-de-chaussée et un étage d’environ 75 m² chacun, accueillera les parties communes ainsi qu’un appartement. Les onze autres seront situés dans un bâtiment écologique accolé à la villa, «en bois, avec des panneaux photovoltaïques et des matériaux les plus naturels possibles, provenant de la région proche», fait savoir la directrice de Nouma.

Évidemment, tout sera aménagé pour permettre aux personnes à mobilité réduite de se déplacer au sein des bâtisses. Un ascenseur sera même construit dans l’actuelle cuisine de la villa pour desservir les différents étages.

Quant à la manière d’y vivre, tout reste à définir… ensemble. Au vu du côté novateur de l’initiative, la société Nouma s’est engagée à accompagner les futurs résidents six mois après leur emménagement. Mais fondamentalement, ce sera à eux de gérer les lieux et mettre en place ce qu’ils souhaitent faire.

Les projets fourmillent déjà. «On peut imaginer que les parties communes soient ouvertes à l’extérieur, pour accueillir un club, ou organiser des soirées lecture ou des discussions, par exemple», rêve déjà Astrid Lauterbach, qui cite d’autres exemples d’activités : «Tenir une réunion hebdomadaire pour faire le point sur ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait améliorer, organiser un brunch tous les samedis, etc. C’est le groupe qui décidera ensemble.»

Solution pragmatique

Le groupe pourra même décider par la suite de qui pourra intégrer la communauté ou non. «À force de faire des réunions et d’essayer de tomber d’accord, on finit par se connaître», sourit Astrid Lauterbach. «Mais pour les nouveaux venus, on peut s’inspirer de ce qui se fait déjà en Belgique par exemple, où dans l’une des maisons de ce type que nous avons visitées, les gens votent anonymement et le nouveau venu est accepté si tout le monde est unanimement d’accord. On peut aussi envisager de ‘vivre à l’essai’. Nous devrons en discuter.»

Des discussions qui devront se faire dans un cadre juridique, sur lequel travaille actuellement un avocat, notamment pour parer aux problèmes liés à la succession. «Nous souhaitons que les héritiers doivent d’abord vendre aux locataires de l’habitat intéressés, et bien sûr, que les logements restent destinés à des personnes âgées.»

Mais Astrid Lauterbach ne se fait pas trop de souci à ce sujet. «La population est vieillissante. En Belgique, il y a toujours de la demande.» L’ASBL Beienhaus pourrait d’ailleurs même servir de vivier pour de potentiels futurs locataires ou propriétaires.

Loin d’être une utopie pour les participants, l’écohabitat semble au contraire une solution très pragmatique. «C’est quelque chose auquel on doit réfléchir dès qu’on est pensionné. Après 70 ans, ce n’est plus la peine, il y a trop de réunions, cela demande beaucoup d’énergie», estime Astrid Lauterbach, qui précise qu’ «il ne s’agit pas non plus de s’occuper des autres quand ils deviennent malades. D’ailleurs, si ça va trop loin, comme avec Alzheimer, évidemment, il y a un moment où il faut partir.»

En attendant, Astrid Lauterbach se réjouit de pouvoir intégrer les lieux. «Bien sûr, ce ne sera pas facile de quitter la maison dans laquelle j’ai vécu 40 ans, et tout ce qui est nouveau, qui nous fait sortir de notre zone de confort, fait toujours un peu peur. Mais c’est ce qui rend votre vie intéressante, et je veux avoir une vie intéressante !»

Tatiana Salvan

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