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[Bande dessinée] Course contre la mort au Mexique


Pierre Place vient de publier Muertos. Un one shot en niveau de gris de 150 pages sur un groupe de riches propriétaires terriens dans le Mexique du début du XXe siècle qui se retrouve soudainement à lutter pour sa survie face à une horde d’individus aux visages et aux corps dans un état de décomposition avancée.

À quoi ressemblerait un récit de George A. Romero dans le Mexique profond du début du XXe siècle ? Peut-être bien à Muertos, le nouvel album signé du Français Pierre Place. Auteur solo, Place, passé par l’école Baru avec qui il a publié Le Silence de Lounès, replonge dans l’univers mexicain qu’il avait déjà fait sien en 2015 pour Zapatistas. Il délaisse par contre la couleur pour proposer un noir et blanc strict, comme il l’avait déjà fait lors de son premier album, Au rallye.
Si ce nouveau récit se déroule, à peu près, à la même période que Zapatistas – le début du XXe siècle –, ici, nulle trace de révolution, de Francisco Madero ou d’Emiliano Zapata. Car si les décors sont vraisemblables, tout comme les vêtements des personnages ou les quelques voitures présentes, l’auteur propose là une pure fiction. Et c’est tant mieux, vu ce qui attend ses personnages !
Tout commence dans une hacienda isolée, dans la sierra. Un bel endroit, de style colonial, où les maîtres des lieux, leurs familles et leurs invités vivent en grands seigneurs. Si le lieu est aride, leur table est richement fournie aussi bien en vin qu’en viandes, légumes et fruits variés. Seul problème, outre la chaleur : des groupes de résistance indigène. Mais pas de quoi inquiéter outre mesure ces bourgeois. «Il se pourrait qu’il arrive malheur à un ou deux des chefs les plus récalcitrants…», rigolent-ils même pendant un repas mondain.

Les hommes contre les «Calaveras»

Un moment de calme, avant l’énorme tempête qui ne va pas tarder à leur tomber dessus. Une tempête nullement portée par les nuages, mais qui, bien plus que quelques rafales de vent va bouleverser la vie de tout ce beau monde. Une tempête matérialisée par une horde d’individus étranges, aux visages et aux corps écorchés, en décomposition, ressemblant en partie du moins à des cadavres. Des agresseurs, que les autres ne tarderont pas à surnommer les «Calaveras», du nom de ces crânes décorés emblématiques du «Jour des morts» au Mexique et, par extension, de la culture mexicaine dans son ensemble.

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Sont-ils morts ? Sont-ils porteurs d’une nouvelle et mystérieuse épidémie ? Sont-ils simplement défigurés et abimés par la dure vie sur place ? Difficile à dire. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’ils en ont après les riches, mais aussi leurs serviteurs, leurs bonnes. Et qu’ils ne comptent pas faire dans la dentelle. Pour eux, les choses sont claires : un bon blanc, est un blanc mort ! Et tous les moyens sont bons pour les faire passer de vie à trépas : arme blanche, arme à feu, attaques solitaires, sièges en bande, la ruse comme l’affrontement frontal ! Et il est aussi clair, qu’ils n’ont pas prévu de faire de prisonniers.

Aucun pourparler n’est possible avec ces étranges assaillants, de toute façon muets ! Ne reste donc que la fuite pour les survivants de l’hacienda. Après tout une telle plaie ne peut-être que circonscrite, locale se disent-ils. Direction la petite ville voisine, Cintalapa, pour aller demander du renfort. Mais les «Calaveras» sont déjà sur place. Le début d’une longue course contre la mort !

150 pages au rythme effréné

D’un côté, un groupe d’humains désormais sans domicile fixe et aux castes de plus en plus floues, avec des gens d’armes, aux ordres de Pancho, qui finissent par prendre le dessus sur les décisions du «Padre» ou du «Patron»; et des femmes qui finissent par porter le pantalon et monter à cheval. De l’autre, des «Calaveras» de plus en plus nombreux et visiblement dirigés par une femme, Dolores, jeune Indienne qui a un vieux compte à régler avec les riches, les Blancs et surtout Pancho.

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Road movie à la fois initiatique et de survie ayant fait la synthèse entre Viva Zapata! d’Elia Kazan et Night of the Living Dead de Romero, Muertos (qui se traduit par «Morts» en espagnol), parvient à maintenir le lecteur en haleine tout au long du récit sans jamais faire tomber la tension. C’est rythmé mais sans jamais brûler les étapes, hyper-violent, mais sans jamais tomber dans le gore, centré sur la culture mexicaine, mais en même temps universel. L’album livre une critique claire du capitalisme, du colonialisme, mais sans jamais s’appesantir dessus.

Le tout à travers un dessin, au noir et blanc à la fois contrasté et blafard, hyper-expressif, avec ses moments expressionnistes et ses penchants réalistes.

L’ensemble donne un album sombre mais plaisant, aux nombreux rebondissements et personnages complexes, qui malgré son épaisseur se lit d’un trait, de la même manière que se regarde un bon film.

Pablo Chimienti

Muertos, de Pierre Place. Glénat.

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