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[Théâtre/Cinéma] Le camp Ashcan sorti des oubliettes


Quinze comédiens vont se partager la scène du TNL pour la pièce Codename Ashcan. La plupart étaient présents jeudi, pour la présentation du projet, à l'emplacement où s'est déroulée, en 1945, cette histoire. (Photo : Isabella Finzi)

Les anciens se souviennent du camp Ashcan à Mondorf, où ont été gardés prisonniers de grands dignitaires nazis en 1945. Mais les autres? Codename Ashcan rappelle ce pan de l’histoire nationale.

Organiser une conférence de presse en plein air avec la météo des derniers jours ne semblait, à première vue, pas une excellente idée. Les responsables du projet Codename Ashcan y tenaient pourtant. Car c’est à cet emplacement même, dans le parc du Domaine thermal de Mondorf, juste devant le Parc Hôtel, que se tenait l’ancien Palace Hôtel, où ont été emprisonnés secrètement, en 1945, la plupart des plus célèbres dirigeants nazis. Une histoire oubliée à la base de ce projet artistique hors du commun, proposant une pièce de théâtre, présentée au TNL en mai, et un film documentaire, produit par Nowhere Land Productions, prévu en salle pour 2018.

C’est rare, au Luxembourg, d’organiser une conférence de presse pour présenter une pièce de théâtre. Surprenant aussi d’y voir de nombreux officiels tels que le secrétaire d’État à la Culture, un député-maire, des officiels de l’ambassade américaine ou encore des directeurs et présidents de grandes entreprises. Preuve s’il en fallait que Codename Ashcan n’est pas un projet artistique comme les autres.

Non seulement parce qu’il marie théâtre et cinéma, mais surtout parce qu’il remet sous les projecteurs le «douteux privilège» qu’eut la commune de Mondorf-les-Bains en 1945 d’héberger 59 survivants de l’élite du Troisième Reich. Parmi eux : Göring, von Ribbentrop, Keitel, Jodl, Dönitz, Funk, Frick, von Krosigk, von Rundstedt, Kesselring.

C’est donc dans la petite localité thermale, à l’ancien Palace Hôtel, renommé pour l’occasion camp Ashcan (mot-valise regroupant les termes anglais pour cendrier et poubelle), que ces dignitaires seront regroupés, emprisonnés et interrogés par les forces américaines. Il fallait en savoir plus sur le régime nazi, sur son fonctionnement, sur le rôle de chacun dans les atrocités découvertes depuis peu. Un travail qui mènera ensuite au célèbre procès de Nuremberg.

Le Palace Hôtel n’existe plus. «À tort ou à raison, note le secrétaire d’État à la Culture, Guy Arendt, il aurait pu devenir un lieu de pèlerinage.» Rien d’ailleurs ne rappelle cet événement à l’emplacement de cet ancien camp. Mais certains anciens se souviennent encore de cette histoire hors du commun. Mais qu’en est-il des plus jeunes? Ce pan de l’histoire nationale semble totalement oublié, jusqu’à ce qu’une historienne de Mondorf, Sally Kremer, écrive un mémoire sur cet épisode. Le sujet se retrouve rapidement entre les mains du Centre national de l’audiovisuel, et de là entre celles du producteur et réalisateur Willy Perelsztejn qui, avec sa boîte de production Nowhere Land, avait précédemment produit les documentaires Heim ins Reich ou encore Luxemburg, USA.

Des liens entre 1945 et aujourd’hui

«On a tout d’abord fait une interview avec John Dolibois (NDLR : ancien ambassadeur des États-Unis au Luxembourg et dernier des cinq interrogateurs américains d’Ashcan) parce qu’il fallait sauver toutes ces informations. De là, on a trouvé des rapports aux États-Unis, mais aussi remarqué qu’il n’y avait pas d’archives filmées de tout ça. Ni de photos, sauf celle de tout le groupe (voir ci-dessous), donc on s’est demandé comment faire», explique Willy Perelsztejn. «Il y a mille façons de créer de l’image, mais dans le cas présent, pour faire mon film, j’ai eu l’idée de créer une pièce de théâtre à ce sujet.» Il commande alors une pièce sur le sujet à l’écrivain et journaliste belge Ouri Wesoly.

La balle passe ensuite au TNL et à Anne Simon. «La première chose qui m’a donné envie de faire partie de ce projet, c’est sa forme, avec cette collaboration entre le film et le théâtre, affirme la metteur en scène. L’idée n’est pas de recréer les scènes telles qu’elles étaient, mais de suivre cette matière artistique que sont les répétitions de théâtre. Pas pour en faire un making of, mais pour suivre le processus, que l’on fait de toute manière au théâtre, avec toutes ces réflexions sur les personnages.» Elle ajoute : «Après, il y a bien sûr l’histoire, une histoire méconnue ou plutôt oubliée par les jeunes générations, et aussi ces personnages. On les traite toujours de monstres, mais c’est trop simple.»

D’ailleurs, pour la metteur en scène, si cette histoire a beau être historique, elle n’a rien d’une histoire du passé. «Si ça avait été des monstres, toute cette horreur ne serait arrivée qu’une fois, alors que, depuis, il y a eu plein d’autres dictateurs, plein d’autres génocides, plein d’autres phobies exploitées par des dirigeants politiques. Le fait de les décortiquer permet de révéler, au contraire, certains principes plus généraux qui existent d’ailleurs encore aujourd’hui. Car la pièce crée aussi un lien avec ce qu’on connaît de nos jours. On a eu une situation, pendant une répétition, où le comédien qui joue Dönitz a essayé quelque chose de différent. Il m’a regardée avec un côté tellement hautain, suffisant que j’ai tout de suite eu l’impression de voir Bachar el-Assad. Ça fait peur de retrouver un dirigeant actuel là-dedans. Avec lui, ou encore avec ce qu’il s’est passé ces dernières semaines avec les homosexuels en Tchétchénie, on est dans le même genre d’absurdités monstrueuses que ce qu’on a pu entendre de la Seconde Guerre mondiale.»

Bref, Codename Ashcan replonge donc dans la véritable histoire de ces trois mois de l’année 1945, pour nous parler tout autant de ces personnages historiques que de notre monde d’aujourd’hui. Trois mois pour faire la lumière sur le nazisme

La pièce permet ainsi aux spectateurs d’observer de l’intérieur le comportement de ces prisonniers au cours de cette phase transitoire entre celle d’ennemis vaincus et celle de criminels de guerre. Au début de leur emprisonnement, le procès de Nuremberg n’est pas encore une possibilité. Ils s’ouvrent donc sans détour. D’autant plus que certains se connaissaient peu et que d’autres se haïssaient ouvertement. Ils fournissent donc des informations primordiales. Mais rapidement la possibilité d’une inculpation se fait sentir. Chacun essaye alors de minimiser sa propre responsabilité.

Si on peut regretter l’absence de révélations sur les camps de concentration et surtout d’extermination, ces trois mois ont permis de faire la lumière sur le nazisme. La pièce raconte donc ces «premiers pas d’une société démocratique qui doit faire la lumière sur les pires crimes contre l’humanité», soulignent les responsables. La pièce, présentée à partir du 18 mai au TNL, mettra en scène les principaux prisonniers nazis ainsi que leurs interrogateurs américains. Il y sera question d’interrogatoires, mais aussi d’interrogations. Sur la vie dans cette prison particulière, les objectifs des interrogatoires, les techniques utilisées.

Ce projet documentaire étant soucieux de véracité, la pièce sera bilingue allemand/anglais, chaque personnage s’exprimant dans sa langue d’origine. Mais pour que tout le monde puisse suivre, chaque propos sera en même temps surtitré dans l’autre langue. Le travail de préparation a duré près de quatre ans. Le film documentaire tiré de ce processus créatif se fera, lui, encore attendre une bonne année. En attendant, neuf représentations de la pièce sont prévues du 18 au 30 mai au TNL, deux d’entre elles étant des séances scolaires, deux autres étant réservées à Mondorf et ses résidents. Un juste retour des choses.

Pablo Chimienti

TNL – Luxembourg.

Première le 18 mai à 20 h.

www.tnl.lu

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