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[Entretien] «Lux-Auction organise 6 à 7 ventes aux enchères par an»


Adrien Denoyelle est à la tête de Lux-Auction, une maison de vente installée à Stadtbredimus (photo : Didier Sylvestre).

Entretien avec l’un des deux seuls commissaires-priseurs officiant au Grand-Duché, Adrien Denoyelle, qui a ouvert sa propre maison de ventes, Lux-Auction, à Stadtbredimus en 2016. Il exerce au Luxembourg depuis une dizaine d’années et a organisé il y a quelques jours la vente aux enchères du mobilier de Nordea Bank.

Comment avez-vous commencé au Luxembourg?
Adrien Denoyelle : Je suis issu d’une famille d’antiquaires, mon père a plus de 45 ans de métier dans le monde de l’art. C’est un antiquaire expert en mobilier XVIIIe et un grand collectionneur. Tout petit, je jouais entouré de meubles de Boule, de commodes de Reiser ou encore de bronzes de Carpeaux. Mon engouement pour le mobilier et l’objet d’art s’est donc formé très jeune. J’accompagnais mon père dans les salons d’antiquaires et les salles de ventes et son expérience a été ma meilleure école. En 2010, mon père a ouvert sa propre salle de ventes en France, ce qui m’a donné l’envie à mon tour d’ouvrir la mienne, Lux-Auction, au Grand-Duché en 2016. Ma première vente a été organisée au Casino 2000, à Mondorf-les-Bains. Le succès était au rendez-vous, le bourgmestre de l’époque, Lex Delles, était venu pour l’inauguration. Nous travaillons en équipe avec mon épouse Charlotte, fille de peintre et grande férue d’art, dans un climat de confiance et de convivialité. Depuis, Lux-Auction est installé à Stadtbredimus et nous organisons de 6 à 7 ventes aux enchères par an.

Il y a quelques jours, vous avez organisé la vente aux enchères du mobilier de Nordea Bank dans le cadre de sa liquidation. Une vente aux enchères est-elle uniquement liée à une liquidation?
Non, toutes les ventes ne se font pas dans le cadre d’une liquidation. Il y a des collectionneurs privés qui nous confient des œuvres d’art en vente, après avoir préalablement réalisé une expertise approfondie par nos soins.

Comment ça se passe lorsque l’on vous confie des biens?
Il y a plusieurs cas de figure, mais pour chacun d’entre eux, une expertise détaillée de visu est préalablement effectuée. Le premier cas de figure, ce sont généralement des collectionneurs qui nous contactent pour mettre en vente un de leurs biens ou une de leurs œuvres afin de renouveler leur collection par exemple. Après l’expertise réalisée sur la base de plusieurs critères tels que la rareté du produit, son état, la réputation de l’artiste, les prix réalisés en galerie…, une estimation est donnée au déposant et nous fixons ensemble un prix de réserve. Un prix de réserve est un prix étudié en adéquation avec celui du marché en dessous duquel le déposant ne souhaite pas vendre. Dans un autre cas de figure, comme pour la banque Nordea où il s’agissait d’une liquidation, il n’y a pas de prix de réserve, puisque l’objectif du déposant est de tout vendre.
Enfin, il y a le cas d’une succession ou d’un décès. La plupart du temps, la famille n’est pas intéressée par les antiquités et elle désire vendre le bien immobilier au plus vite, ce qui se comprend au Luxembourg. Par exemple, en mars, j’organise une vente aux enchères avec 250 pièces d’un collectionneur qui vivait à Strassen. La famille n’est pas vraiment intéressée par le mobilier, les objets d’art et les tableaux et souhaite débarrasser l’appartement au plus vite pour sa vente. Il a été convenu avec les déposants qu’il n’y aurait pas de prix de réserve.

Y a-t-il des particuliers qui viennent vous voir avec des objets qu’ils ont trouvés dans leur grenier?
Oui, bien sûr. Nous sommes contactés tous les jours et nous nous déplaçons à domicile pour toute expertise. Nous expertisons le mobilier, les tableaux, les bronzes, les bijoux, l’or, le vin ou encore les voitures de collection.

Par rapport à la France, le marché luxembourgeois présente-t-il une particularité pour un commissaire-priseur?
En France, les gens ont l’habitude des ventes aux enchères, ce qui n’est pas le cas au Luxembourg. Ils sont novices et ont beaucoup de questions, ce qui est très intéressant. Dans le cadre de la vente aux enchères de Nordea, qui a fait salle comble, on a d’ailleurs eu beaucoup de demandes de personnes qui ne savaient pas trop comment cela se passe, comment ça fonctionne, s’il faut s’inscrire, etc. Nous sommes disponibles pour toute information.

Justement, comment ça se passe pour acheter? On peut venir sans être un collectionneur et sans l’intention d’acheter?
Une vente aux enchères est publique, tout le monde est libre de venir. J’invite même les personnes ayant des questions à venir, juste pour voir comme cela se passe. Pour participer à une vente, il y a quatre façons. La première est la plus simple, c’est de venir en salle. Vous vous inscrivez à l’entrée ou au préalable avec une pièce d’identité et une preuve de paiement comme une carte bancaire ou un RIB. La personne reçoit une plaquette, participe à la vente, puis règle ses achats à la fin de la vente. Dans le deuxième cas de figure, on peut prendre un numéro de téléphone pour des pièces particulières et bien précises et on vous appelle au cours de la vente. Troisième cas de figure, une personne peut laisser un ordre d’achat. C’est-à-dire qu’elle fait une offre sur un objet au préalable. Elle décide d’une offre maximum à ne pas dépasser : si quelqu’un fixe 3 000 euros comme limite pour un fauteuil et qu’au moment de la vente, plus personne n’enchérit à 2 200 euros, c’est donc celui qui a fixé la limite à 3 000 euros qui l’emporte. Mais il l’emporte à 2 200 euros, car il n’y a plus personne qui veut aller au-delà. Ce n’est pas parce que sa limite est plus haute qu’il a l’obligation de l’utiliser.

Et le quatrième cas?
Il est possible de suivre la vente aux enchères par internet via la plateforme Drouot Digital. Là encore en s’inscrivant en ligne avec une pièce d’identité et un RIB, il est possible d’enchérir en direct puisque les ventes sont filmées. En un clic, il est possible de faire une enchère. Le seul inconvénient, c’est qu’il y a parfois un décalage. Ce n’est pas toujours aussi rapide que d’être dans la salle.

Est-ce qu’au Luxembourg, la salle joue rapidement le jeu et se laisse emporter par les enchères?
Pour Nordea, les gens se sont très bien prêtés au jeu. C’était même incroyable : un ensemble de 5 lithographies estimé à quelques euros qui intéressait plusieurs clients en salle a été adjugé 800 euros après un combat acharné d’enchères. Après, Nordea c’était un peu particulier, car l’aspect affectif a sans doute joué avec la présence de plusieurs anciens employés dans la salle. Mais il arrive aussi d’avoir des coups de cœur, comme lorsqu’une personne a craqué sur une bague pour sa femme et n’a pas hésité à surenchérir jusqu’à trois fois l’estimation pour gagner la vente.

Est-ce qu’il est possible de se rétracter?
Une fois que le marteau est tombé, que c’est adjugé, l’acheteur ne peut pas se rétracter. Il y a un procès-verbal qui est tenu par un huissier de justice. On n’est pas dans un magasin où l’on peut dire « ah finalement je n’en veux plus ». Quand c’est adjugé, c’est définitif, la personne se doit de régler immédiatement ou le plus vite possible.

Dans le cas contraire, cela passe devant la justice?
Oui, exactement. C’est l’huissier de justice qui est en charge du recouvrement.

Cela est sans doute déjà arrivé?
Oui, mais pour un acheteur de Hong Kong qui a fait l’achat en ligne et qui n’a plus donné de nouvelles après la vente. Sinon, je dois dire qu’au Luxembourg nous n’avons jamais eu d’impayés.

La vente aux enchères est une activité « traditionnelle », pourtant il y a une part de digital. On peut la suivre en ligne et vous avez un site internet assez fourni. La digitalisation joue-t-elle un rôle important dans votre activité?
Oui, surtout dans notre société actuelle. Aujourd’hui, il est important d’avoir ces supports et c’est également ce qui a permis aux salles de ventes de devenir des références sur le marché de l’art mondial. Les salles de ventes sont celles qui représentent le mieux le marché de l’art et ses mouvances, ses tendances actuelles. En plus, avec internet et surtout les réseaux sociaux sur lesquels nous sommes très présents, nous touchons un public ciblé à l’international. On réalise aussi des vidéos et des visites de salles interactives. Effectivement, cela nous aide beaucoup pour vendre.

La télévision s’est emparée du concept de la vente aux enchères en créant des émissions. Quel est votre avis?
Je trouve cela plutôt pas mal dans la mesure où ça permet aux particuliers de s’intéresser aux ventes aux enchères, de montrer comment cela fonctionne. Car encore une fois, il y a beaucoup de personnes qui ont peur de se rendre dans une salle de ventes. On peut y aller juste pour voir comment cela se passe. Évidemment, dans la salle, il y a des habitués, mais c’est vrai que souvent je rencontre des personnes qui hésitent.

Pour parler de votre métier, comment le commissaire-priseur est-il rémunéré sur les ventes?
Chez Lux-Auction, nous prenons une commission sur les achats de 25 % TTC. Il y a aussi une commission au vendeur, mais ça reste confidentiel. Elle varie donc selon le travail d’expertise fait en amont de la vente afin de défendre au mieux chaque œuvre expertisée. Il faut comprendre que l’un de mes rôles majeurs est d’expertiser et d’estimer une œuvre d’art ou un bien à sa juste valeur. Évidemment, je ne peux pas être expert en tout. Je fais donc appel à des experts de renom chez Drouot et sur la scène internationale, qui sont évidemment rémunérés.
Mais il faut savoir que 60 % des commissions perçues sont reversées à notre communication. Nous élaborons des catalogues de vente papier de qualité pour chacune de nos ventes que nous distribuons à des clients ciblés, nous sommes présents sur des plateformes spécialisées à l’international telles que Barnebys, Drouot, Auction… et nous sommes très régulièrement représentés dans des médias spécialisés comme la Gazette Drouot qu’on pourrait appeler la bible des ventes aux enchères. C’est en communiquant et en étant autant visibles que nous arrivons à vendre à des clients dans le monde entier, bien au-delà des frontières du Luxembourg.

L’expertise est donc cruciale pour votre activité…
Il s’agit de vendre les œuvres pour ce qu’elles sont. Si une œuvre date du XVIIIe, ce n’est pas XIXe. C’est justement ce qui est le plus important pour une maison des ventes, c’est de pouvoir estimer et vendre à la valeur la plus juste. Le plus important pour une maison de vente réside effectivement dans son expertise. Je suis agréé auprès de la Chambre des experts du Luxembourg et mon expertise et ma parole sont primordiales.

Comment acquiert-on l’expertise nécessaire pour pouvoir estimer des biens?
Il y a les études. Il faut faire deux ans de droit et un an d’histoire de l’art ou bien deux ans d’histoire de l’art et un an de droit. Mais l’expérience joue un grand rôle surtout pour former son œil d’expert. Pour cela, mon père m’a beaucoup aidé, puisqu’il est expert en mobilier et bronzes des XVIIIe et XIXe siècle. Ce sont donc des choses que je connais très bien. Le vin aussi, je maîtrise bien. Mais on ne peut pas être expert en tout, pour les bijoux, certains tableaux, certains styles, je passe par mon réseau d’experts. Pour ma part, je suis expert en mobilier 1950 de Le Corbusier et Pierre Jeanneret.

Il y a une raison à cela?
Il y a 12 ans, je suis parti en Inde à Chandigarh, une ville dessinée par Le Corbusier et dont le mobilier a été fait par Pierre Jeanneret, son cousin. En 2008/2009, j’ai acheté du mobilier de Pierre Jeanneret, j’en ai ramené en Europe et j’en mets régulièrement dans mes ventes. C’est du mobilier très prisé et très à la mode.

Au Luxembourg, y a-t-il une tendance sur le marché de la vente aux enchères?
Avec internet, la vente est mondiale. En ce moment, ce qui est très recherché, ce sont les tableaux modernes de Banksy, Basquiat ou ceux des années 50-60, les Dali et Picasso. Ce sont surtout des investissements, beaucoup de clients recherchent aujourd’hui à placer leur argent dans les œuvres d’art plutôt que dans les banques. Sinon, en salle ce qui se vend bien, ce sont les bijoux, l’or, le vin et les voitures de collection. Ces dernières se vendent d’ailleurs très bien au Luxembourg.

Que trouve-t-on au Luxembourg?
Beaucoup de tableaux d’artistes luxembourgeois, de mobilier XVIIIe et XIXe, des bijoux, des voitures et de belles caves à vin. Mais aussi du mobilier XXe de style XVIIIe et XIXe, ce qui n’a malheureusement pas beaucoup de valeur sur le marché de l’art. Je dois dire que les Luxembourgeois ont beaucoup de goût en termes de voiture et l’on trouve ici de très beaux modèles. Ma meilleure vente au Grand-Duché a été une Ferrari 458 à 155 000 euros.

C’est votre plus belle vente?
Oui, la Ferrari est la plus belle de mes ventes avec un autel votif en zitan, une œuvre chinoise réalisée en zitan, qui est le bois de l’empereur, extrêmement rare. Elle était estimée entre 10 000 et 15000 euros, mais la frénésie des enchères l’a amenée à une adjudication de 87 500 euros. En mai, j’aurai une pièce assez extraordinaire aux enchères : une Mercedes 300 SL. C’est une voiture exceptionnelle qui vient d’un particulier luxembourgeois. La voiture est de première main et date de 1955 avec 35 000 kilomètres au compteur. Elle va être estimée entre 1,5 et 2 millions d’euros. Donc j’espère que ce sera ma plus belle vente.

On fait de bonnes affaires dans une vente aux enchères?
C’est certain que l’on ne sera pas dans la même gamme de prix qu’un antiquaire qui, lui, sera souvent beaucoup plus cher. D’ailleurs, on vend souvent à des marchands et des antiquaires qui eux revendent dans leur galerie, ce qui est le cas de l’autel votif en zitan. On peut effectivement se dire qu’avec une vente aux enchères, on peut acquérir des œuvres à des prix raisonnables. Par exemple, une paire de sièges de Jeanneret dans ma salle de vente est à 18 000 euros. Un antiquaire à Maastricht va afficher la paire à 45 000 euros. Après, faire la bonne affaire, c’est aussi un peu notre raison d’être.

Entretien avec Jeremy Zabatta

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