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Fiscalité du numérique: l’UE adopte la stratégie des petits pas


L'UE estime que les entreprises du numérique doivent être taxées dans les pays où elles génèrent leurs profits. (Photo : AFP)

La Commission européenne présentera, le 21 mars, des propositions sur la fiscalité du numérique qui privilégieraient une imposition sur l’activité plutôt que de cibler des entreprises spécifiques.

L’économie numérique bouleverse la donne fiscale car elle brouille les frontières, les profits engrangés dans un pays par une entreprise pouvant être taxée dans un autre où elle localise ses activités. Lundi 5 mars, les ministres des Finances des cinq pays de l’UE membres du G20 ont exhorté dans un courrier le G20 à avancer sur ce dossier.

Dans une lettre adressée au ministre des Finances argentin, dont le pays occupe la présidence tournante du G20, les cinq ministres de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni écrivent «avoir hâte de mener une discussion rigoureuse à ce sujet» lors de leur rencontre des 19 et 20 mars à Buenos Aires.

Le dossier est très politique en raison des stratagèmes d’évasion fiscale mis en place par les géants du numérique, privant de nombreux pays de considérables recettes fiscales tout en s’acquittant d’un impôt minimal dans les pays où ils localisent leurs activités. Les géants américains du numérique, communément appelés GAFA, ont été épinglés ces dernières années pour ces pratiques qui requièrent la complicité des pays où ils sont taxés, souvent a minima.

«Il n’y a pas deux économies séparées»

L’exemple d’Amazon est à ce titre emblématique, le champion du commerce en ligne ayant pendant de longues années bénéficié au Luxembourg d’une imposition réelle parfois inférieure à 1 % pour des bénéfices réalisés dans d’autres pays en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

«Les spécificités de l’économie numérique requièrent de nouvelles règles globales», écrivent les grands argentiers des cinq plus grandes économies européennes.

Le 21 mars, les services du commisaire européen en charge de l’Économie et des Affaires financières, Pierre Moscovici, mettront deux propositions sur la table des chefs d’État et de gouvernement de l’UE qui se réuniront le lendemain en sommet à Bruxelles. Les dirigeants européens semblent déterminés à avancer sur ce dossier en raison de la pression croissante de leurs opinions publiques soumises à des politiques de rigueur ou d’austérité budgétaire. L’UE court aussi le risque de voir des États membres agir isolément avec la tentation pour certains pays de renforcer le dumping fiscal.

Sur le plan technique, la résolution du problème n’est cependant pas de toute simplicité, raison pour laquelle l’UE privilégie une double stratégie, l’une à court terme, l’autre à long terme. L’économie numérique requiert peu d’employés, voire aucun, une société pouvant très bien travailler dans un pays sans présence physique réelle. Et cela concerne toutes les entreprises, car l’ensemble du champ économique se digitalise. «Il n’y a pas deux économies séparées, celle du numérique et celle traditionnelle», abonde une source européenne.

D’où l’idée de taxer toutes les activités numériques, qu’elles soient réalisées par des géants américains comme Google ou Facebook qui opèrent exclusivement sur le net ou par des producteurs de biens ou services traditionnels qui les commercialisent via des sites internet. Dans un premier temps, les Européens chercheront néanmoins à cibler les multinationales et les grandes entreprises à même de négocier des rabais fiscaux inaccessibles aux plus petites qui font ainsi face à une distorsion de concurrence.

«C’est l’utilisateur qui crée la valeur»

Il s’agit donc de trouver une base de taxation, même là où il n’y a pas d’activité réelle. «C’est l’utilisateur qui crée la valeur et il faut la taxer là où elle est générée», ajoute la même source bruxelloise. Concrètement, si vous utilisez au Luxembourg le site internet d’une société basée aux États-Unis, les profits qu’elle réalise en revendant par exemple vos données sur vos préférences de connexion à des annonceurs publicitaires, elle doit être imposée au Luxembourg et non outre-Atlantique.

Cela suppose que les mêmes règles soient appliquées partout dans le monde, selon le principe du level playing field. D’où l’insistance des Européens à parvenir à terme à une solution globale qui serait par exemple négociée sous l’égide de l’OCDE. Cette dernière devrait avancer ses propres propositions en avril à Washington à l’occasion d’une nouvelle réunion du G20 Finances.

En attendant, le 4 mars, la France a affirmé par la voix de son ministre des Finances, Bruno Lemaire, que la prochaine directive européenne projette de taxer les géants du numérique entre «2 et 6 % de leur chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays de l’Union». Cette approche ne sera cependant qu’un premier pas, faute de mieux, Paris estimant qu’une solution durable et globale nécessitera d’avancer par étapes progressives.

Mais le chemin pour parvenir à un accord risque d’être long et tortueux y compris au sein de l’UE car toute réforme sur la fiscalité exige l’unanimité des 28. La crainte est de voir des pays européens comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ou Malte, connus pour leur fiscalité avantageuse au profit des multinationales, résister à cette réforme.

Fabien Grasser

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