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Differdange achète un terrain en France, stop aux « fake news » !


Differdange va acquérir 110 hectares de terrain situés dans la commune de Saulnes, avec la localité de Lasauvage (Luxembourg) en trait d'union. (photo Carlos Scacchi)

L’achat d’un terrain en France par la commune de Differdange anime les réseaux sociaux. Loin d’un Luxembourg hégémonique, un vrai projet transfrontalier se dessine en fait.

«Comment la France peut vendre son terrain à un autre pays !», s’exclame une femme sur un groupe Facebook lorrain. Depuis samedi, l’achat d’un terrain en France par la commune de Differdange est monté en épingle pour attiser la défiance à la frontière. En réalité, il s’agit d’abord d’une mesure de préservation de l’environnement, et potentiellement d’un authentique projet transfrontalier, pensé par «la base» associative plutôt que par les hautes sphères étatiques. On fait le point.

L’acquisition

Differdange va acquérir 110 hectares de terrain situés dans la commune de Saulnes, avec la localité de Lasauvage (Luxembourg) en trait d’union. Les terrains contournent le terrain de foot de Saulnes et s’étendent à tout le champ derrière les bois de la mine. «La commune ne vend pas les bijoux de famille !, s’agace le maire de Saulnes, Adrien Zolfo. Ces terrains appartiennent à un agriculteur depuis 40 ans, donc à un privé. Et jamais nous n’aurions eu l’argent pour les acquérir : notre budget d’investissement annuel tourne autour de 300 000 euros. Le terrain a été cédé à 2,5 millions d’euros. On peut regretter l’état des finances de notre commune frontalière, mais la réalité est là : une fois qu’on a payé les employés communaux et l’entretien des bâtiments, il nous reste de quoi faire une route ou rafraîchir une école… pas de quoi racheter l’équivalent d’un tiers du territoire communal !»

Les raisons d’un tel chèque

«Une réelle menace d’enfouissement de terre de chantier contaminée (« terres inertes ») s’est profilée en 2017, explique Carlo Scacchi, le chef du service écologie à la commune de Differdange. De fait, cela aurait renforcé l’effet frontière, avec une zone naturelle Natura 2000 au Luxembourg, et de l’autre une décharge.»

Depuis une dizaine d’années déjà, des «bruits» remontaient aux oreilles des élus sur un projet. «Mais en 2017, deux entreprises (une française et une luxembourgeoise) sont entrées dans le concret, en faisant des études d’enfouissement avec un système de tapis mécanique entre une zone d’entrepôt à Longlaville et Saulnes, avec un ballet de camions à la clef. Nous avons pris un avocat luxembourgeois, les communes françaises se sont mobilisées auprès du sous-préfet de Briey, et nous auprès de Camille Gira (NDLR : ex-ministre de l’Environnement malheureusement décédé depuis). On a réussi à faire capoter le projet en jouant sur les procédures !» Mais vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête n’était pas raisonnable. «Nous avons donc fait une proposition sur la zone précise de la décharge (15 hectares) et tous les terrains de l’agriculteur autour. On ne voulait pas être provoqués à chaque fois sur un nouveau terrain.»

Non, le Luxembourg n’achète pas un bout de France…

On connaissait Napoléon qui vend la Louisiane aux Américains pour une bouchée de pain en 1803. À en croire les réseaux sociaux, voilà Macron qui vend un bout de Grand Est au Luxembourg en 2019 ! Faux, évidemment. La France et le Luxembourg se sont déjà vraiment échangé des territoires dans leur histoire. Récemment, à Belval, pour la liaison vers Micheville. Mais ce n’est pas ce que traduit l’opération differdangeoise : la souveraineté française s’appliquera pleinement sur ces 110 hectares, comme le respect du droit français (interdiction de certaines pratiques agricoles par exemple). La commune de Differdange sera à ce titre considérée comme un propriétaire privé.

Côté luxembourgeois, on prévient : «Normalement, une commune ne doit pas réaliser des investissements en dehors de son périmètre, explique Carlo Scacchi. C’est pourquoi Differdange ne gèrera pas ce terrain comme sa ville et qu’une « forme » de délégation est prévue à une association citoyenne : le Territoire naturel transfrontalier (TNT).» C’est là que l’aventure devient chouette et, à notre connaissance, pionnière sur le versant franco-luxembourgeois.

Quels projets sur le terrain ?

Le TNT a un visage, souriant et sympathique : Anne-Bénédicte Culot. La chargée de mission explique : «L’association a pour but de favoriser la continuité écologique entre quatre villes partenaires : Differdange, Herserange, Saulnes et Hussigny-Godbrange.» – «Nous avons un retard en la matière, admet le maire de Saulnes. Du côté differdangeois, la zone est classée et balisée par de nombreux chemins. Le but, c’est de raccrocher le wagon.» Le TNT mène diverses actions depuis sa création en 2017 : échanges scolaires, dépollution d’un ancien bassin de refroidissement, etc. La nature regagne du terrain sur les anciennes mines transfrontalières, mais il faut l’aider !

«Cette acquisition de terrain va permettre de réaliser des projets d’une autre envergure, explique Anne-Bénédicte Culot. On pense notamment à de l’agriculture alternative type maraîchage et agroforesterie.»Cette dernière pratique consiste à planter des essences d’arbres variées, bien espacées, pour faire de l’agriculture en zone semi-ombragée et mieux humidifiée. Intéressant quand on sait que, frontière ou pas, le territoire pourrait affronter des étés à 50°C en 2050 ! «Au TNT, les décisions sont collégiales et chaque commune cotise à hauteur d’un euro par habitant», précise Anne-Bénédicte Culot. Et il n’est pas exclu, nous glisse-t-on, que des enveloppes plus grosses soient apportées par l’une ou l’autre des communes si un beau projet se dessine vraiment…

Hubert Gamelon

Lire aussi l’Edito : Terrain sans frontière

Terrains non constructibles

Les terrains acquis par la commune de Differdange sont définitivement classés «rouge» côté français, soit non constructibles. «C’est truffé de galerie de mines en dessous, prévient Adrien Zolfo. C’est pour ça d’ailleurs que le type (sic) voulait faire de l’enfouissement : pour combler les affaissements de façon bien rentable!» Les terrains auraient été vendus bien plus cher (encore) en cas de projet de décharge dessus. Et a fortiori en cas de zone constructible ! Mais rien de tout ça, on l’aura bien compris.

Saulnes pourra jouer la 2e mi-temps des deux côtés !

saulnes logoLa commune de Saulnes aussi a acquis un petit bout de terrain à l’agriculteur, à l’occasion des transactions. «En l’occurrence, une partie de notre terrain de foot, explique Adrien Zolfo. Le paysan nous menaçait de choses et d’autres (sic) par rapport au terrain de foot, les fois où l’on s’est fâchés. On a profité de la vente de tous ses terrains pour prendre l’hectare qui nous manquait !» On ironise avec le maire français, dont le rire chaleureux est légendaire : – «En somme, vous allez pouvoir jouer la mi-temps de l’autre côté ?» – «Et voilà, tout se termine bien !»

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cimeweb

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