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Luxembourg : au chevet des toxicodépendants


Beaucoup de mesures de sécurité ont été prises depuis le début de l’épidémie à l’Abrigado. (Photo archives Editpress/Julien Garroy)

L’Abrigado n’a à aucun moment fermé ses portes depuis le début du confinement et son personnel continue de veiller au bien-être de ses «clients».

Population vulnérable par définition, les toxicodépendants qui fréquentent l’Abrigado, ses salles de shoot et d’inhalation de drogues dures restent plus que jamais encadrés par le personnel de la structure. En cette période grippée par le Covid-19, le directeur du Comité national de défense sociale (CNDS), Raoul Schaaf, et son personnel dévoué sont sur le front depuis le début du côté de la route de Thionville à Luxembourg-Bonnevoie.

«Dès le début de la crise, le ministère de l’Intérieur a rapidement défini, en fonction des services qu’elles proposent, trois types de catégories pour les entreprises (A, B et C) afin de décréter celles qui devaient rester ouvertes», souligne Raoul Schaaf. L’Abrigado, comme les hôpitaux, appartient à la catégorie A et, de ce fait, doit assurer le plus longtemps possible ses services.

Plusieurs services de la structure sont considérés comme prioritaires, comme l’échange de seringues, l’infirmerie et les salles de consommation de drogues. «Si l’on devait être amenés à fermer nos portes, la consommation se ferait dans la rue. Ces mesures sont donc aussi bénéfiques pour la sécurité et la santé publiques que pour nos clients. Et nous avons aussi pris des dispositions concernant la sécurité de nos collaborateurs.»

«L’offre doit continuer! Car si nous abandonnons nos clients, ils se retrouveront complètement démunis, dans la rue», s’exclame encore Raoul Schaaf, qui souligne que «tout ce qui est fait actuellement est possible grâce au très grand soutien du ministère de la Santé et de la Ville de Luxembourg».

Moins de monde dans la partie commune

«Dès le début, on a essayé de réduire le nombre de personnes pouvant être en même temps dans la structure, explique Raoul Schaaf. En temps normal, nous accueillons de 180 à 200 personnes chaque jour. Et une grande partie d’entre elles séjournent dans la partie commune. On l’appelle « contact café » : c’est là que les personnes prennent un ticket pour aller dans les salles de consommation ou bien une boisson. Mais il s’agit aussi de l’espace où les messages de sensibilisation au virus sont véhiculés aux clients. Or, depuis le confinement, cet espace de la structure a été condamné afin d’être aménagé d’une autre façon. Nous avons désormais des groupes de 30 à 45 personnes dans cette partie, tandis que l’accès extérieur à la structure est contrôlé selon un accès au compte-goutte.»

Pour protéger ses clients et son personnel, l’Abrigado ne laisse ouvertes que trois salles de consommation par voie intraveineuse et deux salles de consommation par voie d’inhalation (huit et six en temps normal et cela avec accès simultané des clients). La distance entre les tables de consommation s’en retrouve plus grande. Concrètement, le client qui attend son accès à une des salles de consommation doit désormais attendre son tour devant la porte de l’Abrigado en fonction du numéro de son ticket, «un peu comme au marché et cela est aussi valable pour l’accès à l’infirmerie», explique Raoul Schaaf. «En moyenne, il n’y a pas plus de 8 à 10 personnes se trouvant en même temps dans l’Abrigado.»

«Des gens sont dans la rue et pas uniquement certains de nos clients, tout simplement car ils n'ont pas de chez-soi. De ce fait, la consigne "#Bleiftdoheem" est impossible à respecter pour tous les SDF», constate Raoul Schaaf, le directeur du CNDS. (Photo archives Editpress/Julien Garroy)

«Des gens sont dans la rue et pas uniquement certains de nos clients, tout simplement car ils n’ont pas de chez-soi. De ce fait, la consigne « #Bleiftdoheem » est impossible à respecter pour tous les SDF», constate Raoul Schaaf, le directeur du CNDS. (Photo archives Editpress/Julien Garroy)

Les mesures de protection pour le personnel

Dès le départ, l’équipe a été divisée en cinq groupes différents, composés chacun de six à sept personnes, et ce, pour la journée : «Concernant l’asile de nuit, nous avons créé cinq équipes de deux personnes, tout en sachant que chaque groupe travaille deux jours d’affilée avant de bénéficier d’une pause de huit à neuf jours. Cela a été convenu pour assurer deux choses essentielles. Premièrement, pour ménager nos employés, car le travail actuel est fatigant étant donné que les clients sont dans un autre état que d’habitude. Et, deuxièmement, car si l’un des membres de chaque groupe est testé positif, on peut mettre tout le groupe en question en quarantaine. Cela nous permet d’assurer un travail en continu, et l’on pourra, le cas échéant, remplacer le groupe par un autre en cas d’infection.»

Par ailleurs, depuis le début des restrictions gouvernementales, le personnel de la structure est équipé de masques FFP2 à l’infirmerie et de masques chirurgicaux pour les autres employés. «Nous sommes approvisionnés par la réserve nationale du ministère de la Santé», indique Raoul Schaaf, qui précise encore que les gants font partie du matériel standard à l’Abrigado. «Notre personnel est sensibilisé toute l’année à l’importance à accorder à l’hygiène des mains.»

«Restez chez vous», difficile quand on n’a pas de chez-soi

De plus, la structure informe évidemment ses clients sur le Covid-19, notamment concernant la propagation du virus, car la majorité d’entre eux n’ont pas accès aux informations publiques. «Plusieurs ont minimisé la pandémie en évoquant une grippe passagère», selon Raoul Schaaf, mais la majorité d’entre eux a fait savoir qu’elle était bien contente d’être informée en «bonne et due forme». «Je pense que le message est passé, mais pour ce qui est des distances de sécurité de deux mètres, cela peut encore être respecté en temps normal, mais quand ils ont consommé des stupéfiants, nos clients sont forcément dans un autre monde. Et dans ce monde-là, la distanciation sociale n’existe pas!», constate-t-il.

Le problème de l’accès au logement, qui ne date pas d’hier, devient très visible avec cette crise, remarque le directeur du CNDS : «Des gens sont dans la rue et pas uniquement certains de nos clients, tout simplement car ils n’ont pas de chez-soi. De ce fait, la consigne « #Bleiftdoheem » est impossible à respecter pour tous les SDF. Car mis à part la Wanteraktion et nous-mêmes, il n’y a pas d’autre endroit où loger les SDF en ce moment! Il faut donc se poser des questions et l’on va certainement constater qu’il y aura de plus en plus de personnes sans logement, car ce problème s’accentuera au-delà de la crise sanitaire.»

Asile de nuit et prises de température

Au niveau des dortoirs de l’Abrigado, des dispositions spécifiques ont également été prises. Douze des 42 lits ont été réservés aux femmes, même si le taux d’occupation des dortoirs des femmes n’est que de 50 % environ.

«Il y a possibilité d’élargir les distances entre les lits et pour les 30 qui restent, affectés aux hommes, nous connaissons une occupation de 65 à 70 %, ce qui permet également une distance plus grande entre lits», souligne Raoul Schaaf. La température corporelle de chaque pensionnaire est prise chaque soir et le personnel inspecte si d’autres symptômes du Covid-19 ne sont pas présents. Le 112 serait alors informé immédiatement, mais, jusqu’à présent, les deux seuls clients pour lesquels il existait des suspicions ont été testés négatifs. Mais tout le monde n’a pas été testé. L’Abrigado touche du bois. Pour l’instant, aucun des membres de son personnel n’a été testé positivement.

Claude Damiani

Qu’en est-il de l’approvisionnement en drogues?

Chez les toxicodépendants, des difficultés d’approvisionnement en drogues émergent en cette période de confinement. Elles leur font courir le risque de crises de manque.

Qui dit confinement dit également contrôles policiers accrus, contrôles aux frontières stratégiques (la drogue dure provenant essentiellement des Pays-Bas) et, donc, difficultés d’approvisionnement pour les consommateurs.

«Différents problèmes se posent pour les dépendants en cette période de crise, nous éclaire Raoul Schaaf. D’abord, ils n’ont quasiment plus de revenus, car ils ne peuvent plus faire la manche ni se prostituer. Les cambriolages sont aussi exclus, car tout le monde est confiné chez soi. Leurs moyens financiers sont donc nuls ou se réduisent à presque rien. Ensuite, en raison de la présence poussée de la police dans les rues qui, à mon avis, ne ferme pas du tout les yeux par rapport aux deals en cette période, tout devient plus difficile. Plusieurs de nos clients ne trouvent plus leurs dealers habituels, car ces derniers sont exposés à un danger beaucoup plus grand, aussi bien pénal que sanitaire.»

L’approvisionnement du marché des stupéfiants s’en retrouve impacté, ce qui entraîne de la nervosité chez certains clients de l’Abrigado.

«Projet pilote» avec le ministère de la Santé

Face à ce problème, la structure est en discussion depuis plus de deux semaines avec le ministère de la Santé pour établir «un genre de premier projet pilote de substitution de bas seuil. Si la substitution, notamment par méthadone, est assurée par la fondation Jugend- an Drogenhëllef depuis plus de 20 ans au pays, il y a néanmoins certaines conditions élevées à remplir, explique le directeur du CNDS. La personne cible doit passer physiquement chez eux et doit avoir déjà structuré un tant soit peu sa vie, etc. Ces conditions excluent donc pas mal de nos clients, du moins à l’heure actuelle, car ils ne disposent pas des bases nécessaires pour qu’un suivi puisse leur être assuré.»

Raoul Schaaf rappelle que l’Abrigado avait déjà proposé en 2019, dans le cadre du Plan national de lutte contre les drogues, de mettre en place une substitution bas seuil à partir de l’Abrigado, ce qui permettrait de stabiliser les personnes sur place, en cas de crise de manque, avant de les orienter vers les autres offres de seuil élevé, tel le centre thérapeutique de Manternach, ou un sevrage à l’hôpital, voire via un programme de substitution auprès de Jugend- an Drogenhëllef.

«La crise actuelle a considérablement fait avancer ce projet, de telle façon que depuis vendredi et désormais tous les lundis, mercredis et vendredis, un médecin est toujours présent à l’Abrigado pour les clients qui entreraient dans la logique d’une substitution bas seuil, mais uniquement en cas de consommation d’héroïne, afin de ne pas substituer une drogue à une autre. Pour la cocaïne, cela n’a pas de sens, car la dépendance est moins physique, mais on peut accompagner ses consommateurs», explique Raoul Schaaf, qui poursuit : «Le second objectif est de pouvoir assister médicalement les personnes qui, pour certaines, connaissent des difficultés à consulter leur généraliste habituel, quand ils n’ont pas le souci de ne pas avoir de couverture de la CNS. Le même problème se pose pour une consultation chez un psychiatre… Cela dit, l’Abrigado a ses propres psychologues et son personnel est très engagé face à ce virus.»

C. D.

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