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Luxembourg : il raconte son addiction aux jeux


Romain Salzer est un ancien joueur pathologique. Son addiction aux machines à sous lui a fait perdre 25 ans de sa vie. (illustration AFP)

Tout ceux qui connaissaient Romain Salzer voyaient en lui un gérant de café énergique, petit mais costaud, toujours prêt à vous mettre une dérouillée au babyfoot. C’était le côté face. Côté pile, il était seul face à la dépendance au jeu dans une détresse telle qu’un soir de septembre 2015, il s’est retrouvé sur le parapet d’un pont.

490_0008_15177708_Sans_titre_9Lundi 7 octobre 2019 : 1 380 jours. Aujourd’hui, samedi 12 octobre 2019, il y a cinq jours de plus au compteur de Romain Salzer. Cela fait 1 385 jours qu’il s’est libéré de sa dépendance au jeu. «Je préférerais passer le reste de ma vie en prison plutôt que de recommencer à jouer de l’argent», prévient cet homme de 51 ans qui a commencé à jouer à l’internat à l’âge de 10 ans. Cinq ans plus tard, il découvre les cartes, le poker, puis les dés. Au départ, les mises sont ridicules mais augmentent rapidement. «A 18 ans, j’ai perdu mon meilleur ami», indique-t-il, «Les sommes engagées grimpaient au même rythme que mon taux d’alcoolémie. A 20 ans, j’ai été pour la première fois dans un casino en Allemagne. J’y allais trois ou quatre fois par mois.»

Tout commence à Weyler, près d’Arlon

Romain joue sur des machines à sous. Inlassablement, il appuie encore et encore sur un bouton lumineux et laisse son sort entre les mains de ces appareils programmés pour faire gagner juste assez d’argent aux joueurs et leur donner envie de continuer. Il préfère cette frénésie aux tables de jeux beaucoup plus lentes. «Je me disais que je maîtrisais, que ce n’était que des jeux», poursuit-il. A côté de cela, il participe à des parties de cartes illégales. Un soir de Noël, il reçoit 5 000 francs luxembourgeois en cadeau de sa famille. «Je les ai pris et je suis parti dans une salle de jeu à Weyler près d’Arlon. Je les ai joués et j’ai gagné 25 000 francs sur les courses hippiques électroniques. J’y suis retourné le lendemain, j’ai à nouveau gagné la même somme. Le surlendemain, j’ai tout perdu», se souvient-il, «Les responsables de la salle de jeu avaient trouvé un nouveau pigeon.»

« Dès que j’avais un peu d’argent… »

Ces salles de jeux, il les a toutes écumées, attendant leur ouverture dans sa voiture dès le matin. «Je m’étais forgé toutes sortes de théories. Je croyais que si j’étais le premier à jouer sur une machine, j’allais forcément gagner. Je recherchais les sensations fortes», poursuit-il, «Je ne contrôlais plus rien mais j’étais persuadé que je pouvais m’arrêter.» Sa famille tente de l’aider. Romain est suivi par un thérapeute. «Dès que j’avais un peu d’argent, je ne pouvais pas m’empêcher de le jouer. La pression était de plus en plus forte.»

En 1999, il passe plus de 5 mois dans une clinique spécialisée dans les dépendances à Muenchwies près de Neunkirchen en Allemagne. «Je n’étais pas prêt. J’avais du mal à me livrer. Je suis reparti de là sans mon problème d’alcool. J’aurais préféré que ce soit l’inverse.» Sa vie est un calvaire. Il demande à être interdit de casino au Luxembourg, en Belgique et en Allemagne. En vain. Les dettes s’accumulent, les problèmes aussi. Il perd son appartement. Pense parvenir à se reprendre. «Jusqu’à ce que les machines à sous soient installées dans les cafés. Pour pouvoir jouer, j’ai volé, j’ai menti, j’étais prêt à tout. J’aurais vendu un rein pour de l’argent. (…) Noir, rouge, noir, rouge… Au bout d’un moment, on s’en fout, l’ordinateur décide de toute façon à votre place.»

«Je perdais mon salaire en une journée»

Aujourd’hui, Romain regrette d’avoir fait autant souffrir son entourage. Il leur demande pardon. «J’avais atteint un point où gagner m’était égal. Je voulais me ruiner. Je n’étais satisfait que quand je n’avais plus un sous. Je vivais dans l’illusion. Mon cerveau me disait que les machines avaient besoin de mon argent. Je ne vivais que pour les machines.» L’argent n’a plus de valeur pour lui. Il n’en retire rien. Il est seul face à la machine. «J’étais devenu solitaire, la vie ne comptait plus. J’étais au stade terminal.»

Le 3 septembre 2015, à bout, il enjambe le parapet d’un pont. Dans un sursaut de vie, il appelle un ami au secours. «J’avais caché ma dépendance à tout le monde. J’avais honte. Mes amis proches n’en savaient rien.» Et encore moins les fidèles du café où il travaillait comme gérant. «Je m’étais forgé une double personnalité», admet-il. «Et puis, personne ne m’a jamais demandé comment j’allais…» Sa voix chancelle. «Les machines étaient devenues plus forte que moi, j’étais impuissant. Je perdais mon salaire en une journée.»

Direction le centre Horizon su CHMP à Ettelbruck

Il entre alors à l’hôpital. Le 27 octobre, il intègre le centre Horizon su CHMP à Ettelbruck. «Je ne parlais plus. J’étais persuadé que personne ne pouvait m’aider. Jusqu’à ce que le déclic arrive après quelques semaines. Je portais un poids depuis mon enfance difficile.» Malgré l’aide des thérapeutes, il rechute trois fois. Un bien pour un mal, selon lui. Deux mois plus tard jour pour jour, il joue une dernière fois. «Je devais dire adieu aux machines. J’ai commencé à noter les jours sans jeu. Cela m’a aidé. (…) Parler aux inconnus de mon problème m’a permis de m’ouvrir et de comprendre, de me soigner. Sans les thérapeutes du CHMP, je ne serai plus là pour en parler.»

Avec l’accord de ses thérapeutes, les docteurs Kagerer et Raynaud, au bout de six mois, il intègre le groupe 15, une unité spécialisée dans la dépendance aux jeux à la clinique de Muenchwies. «J’étais une loque.» Romain se promène en forêt, lit beaucoup, écoute de la musique, écrit aussi, apprend à gérer son argent, à se connaitre, à penser à lui. Le chemin est long. Il devient un exemple pour les autres patients, trouve un équilibre sans le jeu. Il décide de faire table rase du passé. «J’ai tout dit, même les secrets terribles de mon enfance. Je me sentais bien à ce moment-là. J’avais confiance en moi et en l’avenir», raconte-t-il, «L’hypnose m’a permis d’avancer. Lors d’une séance, je me suis vu enfant avec mon meilleur ami. J’ai senti sa présence. Cela m’a fait un bien fou.»

«Il n’ y a pas de remède miracle»

Aujourd’hui, Romain Salzer est un autre homme. Son regard a changé. L’homme est souriant. «Il n’y a pas de pilule miracle pour sortir de ses problèmes, il faut travailler sur soi. Je me haïssais, je ne pouvais plus voir mon reflet dans le miroir. Aujourd’hui, je suis fier de moi.» L’ancien joueur écrit toujours. Un jour, il racontera son parcours dans un livre «pour alarmer, pour aider les autres joueurs compulsifs, pour les aider à parler et faire de la prévention». C’est la raison pour laquelle il témoigne à visage découvert. «Je sais quel effet cela fait de jouer son salaire dans ce qu’on pense – et l’entourage aussi – n’être qu’un jeu et qu’on est persuadé de pouvoir arrêter à n’importe quel moment», regrette-t-il. «C’est un jeu contre sa propre vie.»

Un survivant

Romain est un survivant. Il s’est sauvé. Sa vie est exempte de jeux : «Je n’en ai même pas sur mon téléphone. Je ne dois pas jouer avec des chiffres. J’ai trop peur de rechuter. (…) Avec la chance que j’ai, il suffirait que je joue 2 euros pour que tout cela recommence. La semaine dernière, j’ai joué ma première partie de fléchettes en quatre ans pour savoir comment je me sentais.» Il n’y a que le babyfoot qu’il continue de pratiquer. «C’est avant tout un sport que j’ai longtemps pratiqué», estime l’ancien champion. «La première fois que j’y ai rejoué, je me suis fait des reproches parce que j’avais mis deux euros pour jouer une partie.»

Refaire le même chemin encore une fois est inconcevable pour lui. «J’étais brisé, je suis arrivé à Ettelbruck en fauteuil roulant, j’ai été jusqu’à Muenchwies avec des béquilles. Je les ai laissé sur place pour faire mon propre chemin. C’est mon histoire. Elle commence par un jeu. Je suis devenu joueur et le jeu est devenu ma vie.»

Sophie Kieffer

Bannissement temporel

Au Luxembourg, les joueurs peuvent demander à être interdits de casino pendant un certain temps. Une interdiction de casino à la demande d’un joueur dure entre six mois et sept ans. «Nous surveillons les joueurs depuis 2002. Tous nos collaborateurs ont été formés pour reconnaître les différents stades de la dépendance au jeu», explique le directeur général du Casino 2000 de Mondorf, Guido Berghmans. «Nous recevons plus de 600 joueurs que nous repérons en entretien chaque année pour les alerter sur leur situation. Si les joueurs n’acceptent pas de nous rencontrer, nous avons la possibilité de les bloquer.»

Caméras biométriques

Un système de caméras biométriques permet d’y parvenir. Cette interdiction n’est valable qu’au Luxembourg pour des questions de protection des données personnelles. Il serait plutôt rare qu’une telle mesure soit prise contre la volonté d’un joueur. Le Casino 2000 pratique un genre de semi-interdiction. Dans ce cas, les visites des joueurs sont limitées à une par mois. «Cette mesure est recommandée. Tous les casinos la pratiquent», note le directeur général, «Elle est d’une grande aide pour les clients concernés. Pendant qu’ils ne jouent pas, ils peuvent recréer du lien social et se trouver des loisirs plus bénéfiques pour eux. Notre démarche est proactive et destinée aux personnes qui sont en train de se perdre. Elle n’est pas adapté aux joueurs pathologiques qui ont la possibilité de jouer ailleurs.»

Une technique qui aurait même été approuvée par le fondateur des Anonym Glécksspiller.

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