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Corruption au Conseil de l’Europe : 2,5 milliards d’euros dans la « lessiveuse » azerbaïdjanaise


Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et son épouse et vice préesidente Mehriban Aliyeva à Bakou en juin dernier. Derrière le glamour kitsch se dissimule une féroce dictature usant de la corruption pour s'attacher les bonnes grâces des Occidentaux. (Photo: AFP)

 Des journaux européens dévoilent depuis lundi comment des membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont passé sous silence des informations gênantes pour l’Azerbaïdjan. Ces révélations interviennent alors que des magistrats ont débuté une enquête pour faire la lumière sur des accusations de corruption au sein de l’assemblée.

Réunis autour de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), dix journaux européens sont le Süddeutsche Zeitung, le Guardian et Le Monde, donnent depuis ce lundi 4 septembre du grain à moudre aux trois magistrats chargés d’enquêter sur des allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Le britannique Nicolas Bratza, le français Jean-Louis Bruguière et de la suédoise Elisabet Fura doivent déterminer si des membres actuels ou passés de APCE ont touché des pots-de-vin pour passer sous silence les violations des droits humains commises en Azerbaïdjan et faire la promotion de ce pays d’Asie centrale. Mis sur les rails en début d’année, ce groupe d’enquête est entré dans le vif du sujet précisément ce lundi 4 septembre à Strasbourg en auditionnant les premiers témoins dans cette affaire.

Selon les enquêtes publiées depuis lundi par l’OCCRP et des médias européens, l’Azerbaïdjan a usé d’un vaste système de blanchiment d’argent, surnommé le « Laundromat », ayant notamment servi à corrompre des membres de l’APCE. Dirigé depuis 14 ans d’une main de fer par le président Ilham Aliyev, l’Azerbaïdjan cherche à faire taire les critiques sur ses violations des droits de l’Homme mais aussi à se ménager des appuis dans le conflit territorial qui l’oppose à l’Arménie dans la région du Haut-Karabakh. Cette stratégie qui se trouve au centre de la politique étrangère de Bakou est parfois appelée « diplomatie du caviar ».

En épluchant le contenu de 16 000 transactions, des journalistes danois ont déterminé que de 2012 à 2014, 2,5 milliards d’euros ont transité sur les comptes de quatre sociétés écrans immatriculées en Angleterre et en Écosse. Si une partie de ces sommes était destiné à détourner des fonds au profit de proches du régime, elles ont également alimenté les comptes bancaires d’au moins deux anciens membres influents de l’APCE : l’Allemand Eduard Lintner (CSU) et l’Italien Luca Volonte (Union du centre).

Membre de l’APCE de 1990 à 2010, le chrétien-social bavarois Eduard Lintner aurait ainsi touché 61 000 euros de l’une des sociétés impliquées dans le « Laundromat » afin de taire les accusations d’atteintes aux droits de l’Homme à l’égard de Bakou. L’Azerbaïdjan, État pétrolier de 10 millions d’habitants, passe pour être l’un des pays les plus répressifs de la planète, muselant et emprisonnant les opposants politiques, les journalistes et les membres de la société civile critiques envers le régime. Circonstance aggravante pour Eduard Lintner, celui-ci a été à plusieurs reprises membre de commissions de l’APCE chargées d’évaluer la situation des droits humains dans les 47 État membres du Conseil de l’Europe.

Hommage au dictateur

Les sommes perçues par l’Italien Luca Volonte à travers une fondation et une société qu’il dirige sont bien plus impressionnantes, les médias ayant enquêté sur l’affaire évoquant plus de 2 millions d’euros. Il aurait touché ces pots de vin afin de contribuer à enterrer un rapport sur la situation des prisonniers politiques et d’autres atteintes aux droits humains en Azerbaïdjan. Soumis au vote de l’APCE le 23 janvier 2013, ce rapport avait été rejeté par une majorité des membres de l’assemblée.

Egalement mis en cause, le président du parti national slovène, Zmago Jelincic Plemeniti, aurait quant à lui touché 25 000 euros alors qu’il avait participé pour le Conseil de l’Europe aux missions d’observation des élections législatives azerbaïdjanaises de 2010 et présidentielle de 2013 à l’issue de laquelle il avait rendu un hommage appuyé au président Aliyev.

Quant à Kalin Mitrev, qui a touché quelque 500 000 euros via une société de conseils qu’il dirigeait, il est l’époux d’Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, connue pour entretenir d’étroites relations avec la famille du dictateur azerbaïdjanais.

Les enquêtes publiées ces derniers jours par des médias européens évoquent également des pots de vin versés à des hautes responsables de l’UE ou encore à l’ancien producteur de CNN Sager Eckart qui aurait touché 2 millions d’euros pour présenter l’Azerbaïdjan sous un jour favorable.

L’ensemble de ces éléments viennent conforter les soupçons pesant sur des membres de l’APCE. Le groupe d’enquête de trois magistrats nommés pour faire la lumière sur cette affaire a jusqu’au 31 décembre pour rendre ses conclusions.

Fabien Grasser

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