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Luxembourg : les bouchons, «ça nous bouffe la vie»


Le Liser a organisé mardi son café-débat sur la mobilité, notamment frontalière au Luxembourg... intitulé "Entre stress et résignation". (Illustration : Isabella Finzi)

Perdre sa vie à la gagner au Luxembourg : la mobilité transfrontalière, enjeu de campagne électoral, se rapproche dangereusement de son point de rupture, avertissent plusieurs experts. Comme ceux que nous avons entendu mardi soir, lors d’un débat sur la mobilité organisé par le Liser, en partenariat avec Le Quotidien.

Si vous êtes tous les matins dans les bouchons, vous l’avez forcément remarqué. L’heure de pointe est toujours plus précoce… et interminable. Parce qu’il y a de plus en plus de frontaliers sur les routes? Certes, mais pas seulement : «C’est aussi à cause du manque de fiabilité des réseaux de transport. Personne ne sait quand il va arriver au travail, en raison de la saturation et des aléas constants, que ce soit par la route ou par le rail. Donc tout le monde prend une demi-heure ou plus d’avance, pour être sûr d’arriver à l’heure au travail», constate Henry Delescaut.

Olivier Klein, chercheur du Liser, a expliqué que plus de 50% des frontaliers quittent leur domicile avant 7h du matin (Photo : Romain Van Dyck).

Olivier Klein, chercheur du Liser, a expliqué que plus de 50% des frontaliers quittent leur domicile avant 7h du matin (Photo : Romain Van Dyck).

Avant d’embrayer : «Tant qu’on n’aura pas les moyens d’éviter qu’un accrochage mineur sur l’A31 provoque 20 km de bouchon ou qu’un train de fret en panne entre Thionville et Bettembourg provoque des retards en cascade, il est totalement illusoire d’espérer réduire les bouchons. Les réseaux ne permettent plus d’absorber les flux.»
Puis il passe la seconde : «Je suis peut-être pessimiste, mais les solutions mises actuellement en place sont des rustines. Car on cumule, d’un côté et de l’autre de la frontière, 30 ans de retard sur la prise de conscience du problème. On nous annonce des investissements pour 2025 qui suffiront à peine à absorber le flux actuel, alors que le nombre de frontaliers va exploser entretemps.»

«Le Luxembourg, c’est comme une drogue»
Henry Delescaut est le secrétaire général de l’association des voyageurs du TER Metz-Luxembourg (AVTERML). Pour les initiés : la ligne 90. Ce monstre, qui est une des lignes ferroviaires les plus fréquentées de France, engloutit près de 12 000 voyageurs par jour. Il en faut donc peu pour qu’il déraille. «Quand on tirait la sonnette d’alarme, on nous traitait souvent d’affabulateurs, grince Henry Delescaut. Je suis donc très content qu’il y ait une prise de conscience, et que M. Reuter et Mme Detaille soient parmi nous ce soir. Parce qu’il y a urgence.»
«Mobilité quotidienne transfrontalière : entre stress et résignation?». Le thème du café-débat organisé mardi soir à la Kulturfabrik à Esch donnait le ton : oui, il y a urgence. Et effectivement, la présence de Christophe Reuter, ingénieur en génie civil au ministère du Développement durable (MDDI), et de Michèle Detaille, vice-présidente de la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil), prouvait le caractère hautement inflammable du sujet.
Hubert Gamelon, journaliste au Quotidien et modérateur du débat, pose la question qui doit tarauder beaucoup de frontaliers : «Est-ce que cette saturation ne risque pas de dégoûter les gens et de les faire fuir la région?»
Réponse de Lucien Piovano, maire de la commune frontalière d’Audun-le-Tiche : «Non, les gens ne partiront pas. Car on a un gros déficit de développement économique dans notre secteur lorrain. Rien n’est venu remplacer les fermetures d’usines, donc tous les emplois restent concentrés au Luxembourg.»
Le Luxembourg, «c’est comme une drogue», confirme Henry Delescaut, citant un témoignage de frontalier qu’il trouve particulièrement juste. «On vient y travailler. On y gagne plus d’argent qu’en France. Donc on s’habitue à un certain train de vie. Et puis à un moment donné, on éprouve de la lassitude, car on passe deux ou trois heures dans les transports, qu’on n’a plus de vie sociale, etc. Et ça nous bouffe la vie. Mais on a acheté une belle maison, une belle voiture, des activités pour les gamins… Donc renoncer au Luxembourg, c’est renoncer à tout ça.»

Des résidents pas si privilégiés!
Christophe Reuter rappelle qu’il n’y a pas que les frontaliers qui se plaignent de cette saturation : «J’ai le grand privilège d’habiter à 9 km de mon lieu de travail (à Luxembourg), mais je mets pourtant 40 minutes en bus pour m’y rendre!»
Alors, que faire? Christophe Reuter cite trois propositions : «La première est de flexibiliser le travail, en permettant par exemple aux gens de travailler plus tôt ou plus tard. C’est une chose que le gouvernement luxembourgeois, en tant qu’employeur, va instaurer à partir du 1er octobre, en flexibilisant encore les horaires des fonctionnaires.» Il remarque aussi que «les pics du matin et du soir coïncident avec les horaires scolaires. Donc on espère que le prochain gouvernement agira pour décaler ces horaires, au moins ceux des lycées les plus liés aux axes congestionnés.»
La seconde est de mieux utiliser les infrastructures, en améliorant la coopération entre employeurs et pouvoirs publics pour réduire la congestion sur les réseaux.

L'application Copilote, lancée par le gouvernement luxembourgeois cette année (Photo : capture d'écran).

L’application Copilote, lancée par le gouvernement luxembourgeois cette année (Photo : capture d’écran).

Le covoiturage solution miracle ?
Et enfin, reste la volonté de favoriser le covoiturage. «On peut se débarrasser des bouchons demain si on a trois personnes dans chaque voiture», plaide-t-il. Il cite en exemple les Pays-Bas, dont les entreprises n’offrent des places de parking gratuites qu’aux employés qui covoiturent!
«Pas si simple, réagit Michèle Detaille, qui est chef d’entreprise et vice-présidente de la Fedil. Le covoiturage pose beaucoup de problèmes : celui qui doit faire des heures supplémentaires, celui qui habite dans un petit village… Et il ne faut pas croire que les gens viennent directement au bureau : ils doivent aussi passer à la crèche, faire des courses, etc.»
De toute façon, se désespère Henry Delescaut, la mobilité transfrontalière ne pourra pas s’améliorer tant que subsistera une spécificité franco-luxembourgeoise : «On a, d’un côté, un gouvernement d’un État autonome, le Grand-Duché, et, de l’autre, un interlocuteur qui devrait logiquement être l’État français, mais qui brille par son absence. Résultat, la gestion de terrain est principalement confiée à la région Grand Est et aux élus locaux, qui ne peuvent évidemment pas se mettre au même niveau que le Luxembourg.»
Un déséquilibre qu’il devient urgent de régler, car il n’est pas dit que frontaliers et Luxembourgeois réussiront à jouer encore longtemps aux funambules.

Romain Van Dyck

Une vie de fronta’ en chiffres

Thionville, l'un des bassins de vie de frontaliers (Photo : Pierre Heckler / Republicain Lorrain).

Thionville, l’un des bassins de vie de frontaliers (Photo : Pierre Heckler / Republicain Lorrain).

Olivier Klein, chercheur au Liser et spécialiste des questions de mobilité et d’urbanisme, a posé le débat en livrant quelques chiffres vertigineux…

Cocorico : 192 520 personnes franchissent quotidiennement la frontière pour se rendre sur leur lieu de travail au Luxembourg. Ces navetteurs, qui représentent 45 % de la main-d’œuvre employée au Luxembourg, se composent pour plus de la moitié de frontaliers français (51,8 %, en augmentation) et pour l’autre moitié, à parts quasi égales, de frontaliers allemands et belges (24 %, en baisse).
Un bus en plus par jour : Pour la seule année 2017, alors que 14 334 emplois sont créés au Luxembourg, 53,7 % d’entre eux sont occupés par des frontaliers. Ainsi, chaque jour ouvré, en moyenne, le contingent de frontaliers vient s’enrichir de 31 navetteurs supplémentaires. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser, disent les prévisions…
Si proche, si loin : Le fort éloignement entre le domicile et le travail est l’une des principales caractéristiques des frontaliers travaillant au Luxembourg. Ainsi, un frontalier français travaille en moyenne à 34 km de son domicile alors que pour la moyenne des actifs français travaillant en France, cette distance est de 15 km seulement.
Budget temps : Les frontaliers passent également beaucoup de temps dans les transports, notamment au regard des actifs travaillant dans leur pays de résidence. Leur budget temps de transport, qui représente le temps total passé à se déplacer pendant un jour de semaine de travail, s’élève à près de deux heures, alors que la moyenne est de 1 h 07 pour les actifs français par exemple. Du point de vue de l’organisation horaire quotidienne, ces frontaliers partent tôt au travail. Plus de 50 % d’entre eux quittent leur domicile avant 7 h.

Entreprises : les vertus de la souplesse

"Le temps c'est de l'argent"... les entreprises qui font preuve de souplesse face aux problèmes de mobilité tirent leur épingle du jeu (Photo : AFP).

« Le temps c’est de l’argent »… les entreprises qui font preuve de souplesse face aux problèmes de mobilité tirent leur épingle du jeu (Photo : AFP).

Au Luxembourg, chaque entreprise a sa politique pour gérer la question de la mobilité transfrontalière. Michèle Detaille dirige le groupe Alipa, une entreprise de levage et d’emballage industriels. Sa chance? Être installée en dehors de la capitale, à Wiltz.
«Mais on a aussi une quinzaine de personnes, parmi les 130 qui travaillent chez nous, qui viennent des cantons germanophones de Belgique, et qui, sans embouteillages, mettaient une heure pour venir à Wiltz, et ne pouvaient donc plus rien faire le soir en rentrant chez eux. On a donc ouvert un bureau tout au Nord, à Weiswampach, deux jours par semaine. Les employés peuvent désormais s’y rendre en un quart d’heure.»
Les autres employés bénéficient aussi d’un aménagement de leurs horaires : «Ils commencent généralement à 8 h. Mais certains ont demandé à avoir une pause de midi très courte, pour rentrer plus tôt chez eux. Des ouvriers ont également souhaité commencer à 6 h 15, pour pouvoir rentrer chez eux à 14 h 30. Et on a aussi des gens qui ont réclamé de faire une semaine de 5 jours en 4 jours.»
Une flexibilité qui en rebute encore certains : «Je me bats parfois avec certains de mes cadres pour qu’ils laissent davantage les employés aménager leur temps de travail. Et il faut de la souplesse des deux côtés. Si on a des conventions collectives trop strictes, ça coince aussi.» Mais une chose est sûre, être souple «ne nous coûte pas plus cher qu’être rigide, au contraire».

Un commentaire

  1. Il faut penser aussi au Télétravail, 2 à 3 fois par semaine ?

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