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Luxembourg – Rencontre avec une Rom condamnée à la mendicité


De la Roumanie, qu'elle a quittée à 26 ans, au Luxembourg... Nutica évoque une pauvreté qui n'a pas beaucoup changé. (Photo : DR)

Le débat sur la mendicité continue d’enfler au Grand-Duché. Nous avons rencontré Nutica, une Rom qui partage son quotidien entre Longwy, Esch-sur-Alzette et Luxembourg.

Elle n’a pas voulu se laisser prendre en photo. À quoi ressemble Nutica? C’est une jeune femme de 33 ans, les cheveux jetés en arrière et une certaine dureté dans le regard. Des yeux très clairs qui contrastent avec sa peau mate. On se dit que les ethnologues ont raison : les Roms sont probablement venus d’Inde, il y a des milliers d’années. En attendant, Nutica vit à « Lonvi », comprendre Longwy, de l’autre côté de la frontière. Dans les campements de Mont-Saint-Martin? « Non, ça ce sont les Français », répond-elle. Les Johnny, Jessy, Jimmy, les Blancs, les gens du voyage. Nutica est sédentaire, elle dort « au-dessus d’un garage ».

On ne comprend pas s’il s’agit d’un hébergement d’urgence ou d’une location avec des frères. Nutica est entourée, mais des visages lui manquent. À commencer par celui de son papa, peintre en bâtiment, le seul qui ramenait un peu d’argent dans la maison de Barbulesti, une ville au nord de Bucarest. « Il est décédé à 53 ans, on était déjà pauvres, mais tout est devenu compliqué .» Trois frères, deux sœurs, chacun avec sa marmaille, et une maman diabétique qui n’a jamais travaillé : la situation est intenable.

Nous sommes en 2009, Nutica a 26 ans, elle décide de partir. En tant que citoyenne roumaine, elle peut circuler librement dans l’espace Schengen depuis 2007, avec une limite identique pour tous les Européens : séjour de trois mois maximum sans possession d’autorisation de travail. Cela fait six ans que ça dure. « Je suis en situation illégale, je sais. » Un boulot, la jeune Tsigane n’en a pas trouvé. «I l faut avoir une vraie maison pour faire les papiers. De toute façon, même si j’étais en règle, je n’aurais pas d’emploi. Je connais un Rom qui aime jardiner, il s’est fait un CD avec les plus belles photos de son travail en Roumanie. Personne ne l’a jamais embauché .»

Nutica mendie tous les jours à Luxembourg ou à Esch-sur-Alzette, parce qu’il y a du passage. Elle gagne 10 euros à la fin de la journée et prend cette activité comme un job « où il ne faut pas être en retard », car l’argent se gagne pièce par pièce. Quand on pose la question de la mendicité organisée, Nutica rejette en bloc. Faut-il la croire? L’essentiel est ailleurs. Si l’on se place à son niveau, le quotidien est une errance sans horizon. « Je n’ai même pas de quoi retourner en Roumanie voir mon fils (NDLR : il a 17 ans, elle l’a donc eu à 16 ans). Je lui envoie 50 euros quand un Rom rentre en bus. Et je lui dis que ça ne sert à rien de venir ici, car il n’y a pas plus de place pour nous ici qu’en Roumanie. »

Les Roms (à différencier des Roumains) sont une minorité ethnique très implantée en Roumanie. Et visiblement, ils n’ont pas la cote non plus là-haut. Perdu dans ces schémas d’identité, nous demandons la différence entre Rom et «Tsigane», comme elle se définit elle-même. « C’est la même chose, Tsigane c’est le mot triste. » À vrai dire, Nutica se moque de tous les poncifs qu’on lui ressort naïvement, lus dans des livres avant l’entretien. C’est qu’on en a marre de mener l’interrogatoire comme des flics, alors on tente de positiver. Les rassemblements, les fils du vent, la poétesse Papusza, les prodiges de la guitare… « Je ne connais pas ces noms, et je n’ai jamais vécu en voyageant. » Un pied ici, l’autre à Longwy, « toujours dans la rue » : l’identité s’efface.

On pense immanquablement à ces peuples qui n’ont pas les clés de compréhension du monde moderne, comme les Inuits du Canada, à qui les Canadiens eux-mêmes tentent de réapprendre leur histoire… Pourtant, Nutica est une fille douée et pour être honnête, c’est pour ça qu’on l’a sélectionnée. Elle a appris le français toute seule, elle déchiffre même les articles dans l’exemplaire du Quotidien qu’on lui tend. Elle se fend parfois d’une réflexion frondeuse, face à une question trop directe. « Vous parlez toujours de « communauté », mais moi, je ne connais pas tous les Roumains ici… » L’air de dire : «T’es français, tu connais tous les Français du Grand-Duché?» Elle n’est pas très au fait de la polémique du moment, lancée par un avocat qui, dans une lettre ouverte aux élus de Luxembourg, s’insurgeait contre «l’air rempli des puanteurs que dégagent les cortèges quotidiens de mendiants dégueulasses».

Nutica est même surprise, car elle s’estime dans le camp des petits, pas des puissants. « Des fois, je me fais cracher dessus. Ou alors, il y a des hommes qui me donnent 50 euros pour essayer d’avoir des choses .» Elle ne met pas tout le monde dans le même panier. Elle remercie les institutions comme la Stëmm vun der Strooss, à Esch-sur-Alzette, cette soupe populaire où elle mange pour 75 centimes d’euro. Ou encore Caritas, qui fournit des vêtements qui lui permettent d’avoir une certaine coquetterie, puisqu’elle porte un t-shirt Guess usé, mais qui lui va bien. Après réflexion, elle lâche : « Il y a des Tsiganes, je leur dis d’arrêter leurs bêtises, sinon on n’aura plus le droit de mendier .» On ne sait pas quoi répondre, l’entretien touche à sa fin. Voici une jeune femme qui, si elle avait appris à marcher sur les trottoirs de Paris dans une famille bien née, aurait eu sa place à coup sûr dans la société. Le hasard a fait qu’elle est née en Roumanie et aujourd’hui, mendier est devenu son seul but.

Hubert Gamelon

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