Accueil | A la Une | Grande Grève du 31 août 1942 : quand tout un peuple résiste à l’occupant

Grande Grève du 31 août 1942 : quand tout un peuple résiste à l’occupant


Élus et habitants se sont figés tout d'abord devant le majestueux monument national de la Grève à Wiltz dans la matinée, puis à 18 h devant le monument aux morts d'Esch-sur-Alzette (photo) et la stèle des victimes de la Seconde Guerre mondiale à Schifflange. (photo Editpress)

Mercredi, des cérémonies ont été organisées pour marquer les 80 ans de la grève générale de 1942. Le 31 août, le peuple luxembourgeois s’élevait contre l’enrôlement de ses hommes sous l’uniforme allemand. Ce coup de force du monde ouvrier et de la population a affirmé la défiance du peuple luxembourgeois à l’égard de l’occupant nazi qui estimait que le Grand-Duché faisait partie du Reich.

Mercredi, vers 10 h, le silence s’est fait devant le monument national de la Grève à Wiltz. Huit heures plus tard, devant les monuments aux morts de Schifflange et Esch-sur-Alzette, des cérémonies répondant à la première étaient organisées. Tous les 31 août, les communes de Wiltz, de Schifflange et d’Esch-sur-Alzette sont intimement liées, malgré la distance.

Il y a 80 ans, le 31 août 1942, elles sont entrées en résistance et ont défié l’occupant nazi. La grève générale de 1942, lancée tout d’abord à la tannerie Idéal de Wiltz, a été comme une lueur dans la nuit de l’Occupation. Une lueur qui a guidé la population jusqu’à la délivrance en 1945. Elle a aussi uni le peuple luxembourgeois qui refusait cette intégration forcée au Reich allemand. L’évènement a permis de montrer à l’Europe et aux puissances engagées contre la barbarie nazie qu’il fallait aussi compter avec le «petit» Luxembourg dans le concert des nations. Mais le tribut à payer a été très lourd.

Mercredi, à 18 h 02, la sirène a retenti dans Schifflange marquant cet acte de résistance durant cette folle journée de 1942. Ce vaste mouvement de contestation national est en fait né le 30 août 1942 quand le Gauleiter Gustav Simon, le nazi dirigeant la «province» luxembourgeoise du Reich allemand, annonce à Luxembourg, place Guillaume-II, l’introduction du service militaire obligatoire pour les jeunes Luxembourgeois nés entre 1920 et 1924.

La nouvelle fait des remous dans la population luxembourgeoise, mais le Feldkommandant installé à Luxembourg reste confiant. Il envoie le jour même une communication au quartier général de la Wehrmacht de Wiesbaden : il veut aller plus loin et proposer l’incorporation de dix classes au lieu de quatre. En résumé, tous les Luxembourgeois âgés de 20 à 30 ans serviront sous l’uniforme allemand!

Un espion à Junglinster

Cette communication, Edmond Goergen, membre de la Letzeburger Vollekslegio’n (LVL), un réseau de résistants luxembourgeois, l’intercepte alors qu’il travaille à l’émetteur Radio-Luxembourg de Junglinster*. Le Luxembourgeois avait bien été remercié par les nouvelles autorités après ce funeste mois de juin 1940, mais il avait été rapidement réintégré.

En effet, l’ingénieur électricien spécialisé dans les hautes fréquences était le seul à pouvoir faire fonctionner convenablement cet émetteur radio… construit par la France. Les réseaux de résistance luxembourgeois et de la Grande Région ainsi que les Alliés ont alors pu compter sur cet espion qui se trouvait au cœur du dispositif de communication de l’ennemi. Le 30 août 1942, Edmond Goergen intercepte la communication du Feldkommandant et décide d’alerter la population du péril qui la menace! L’ingénieur part en pleine nuit en vélo de Junglinster et se rend à Wiltz situé à 50 km. Il informe sur place des «amis».

Lire aussi : [Luxemburgensia] Wiltz, ville héroïque

 

Le lendemain matin, la grève est décrétée dans l’entreprise Idéal pour protester contre la décision du Gauleiter Simon et de ses sbires. De retour à Junglinster, Edmond Goergen aperçoit que des ouvriers se mettent également en grève. Le mouvement fait tache d’huile… jusqu’à atteindre en fin de journée le bassin industriel du sud du Grand-Duché!

Apeurées devant cette contestation, les autorités nazies déclarent la loi martiale. Les ouvriers des aciéries et des mines savent depuis 8 h que la grève a été lancée à Wiltz et qu’une manifestation publique a eu lieu contre l’occupant. L’ambiance est électrique durant toute la journée, les ouvriers sachant pertinemment qu’ils travaillent dans des usines hautement stratégiques pour l’effort de guerre nazi.

À l’usine ARBED d’Esch-Schifflange, la délivrance arrive à 18 h 02 : un inconnu a placé un lourd crochet sur une poignée qui a enclenché la sirène de l’usine. Le hurlement de la sirène dure 15 minutes. Cette heure n’a pas été choisie par hasard, c’est celle où la deuxième équipe est remplacée par la troisième, l’usine fonctionnant selon le rythme des trois-huit.

En entendant la sirène, cette troisième équipe se disperse sans avoir pris le travail. Les hauts-fourneaux s’éteignent. Alertée, la Gestapo arrive sur place 30 minutes plus tard : le directeur de l’usine, M. Koener, est arrêté, tout comme les ouvriers Eugène Biren, Jean-Pierre Wieshoff, Léon Bordez et Venant Schmit. Le 8 septembre, dans la nuit, ils sont jugés et Eugène Biren est même exécuté le lendemain matin aux aurores.

Cérémonie au monument de la Grève, à Wiltz, le 31 août 2016. (photo Didier Sylvestre)

Cérémonie au monument de la Grève, à Wiltz, le 31 août 2016. (photo Didier Sylvestre)

Le sacrifice de Hans Adam

Pour sauver les autres, Hans Adam, un apatride d’origine allemande travaillant à l’usine d’Esch-Schifflange depuis 30 ans et marié à une Luxembourgeoise, se dénonce : il dit que c’est lui qui a placé ce crochet au bout de la corde actionnant la sirène! «Je suis honteux d’avoir été allemand, je suis solidaire du peuple luxembourgeois», aurait-il dit à ses juges. Ses camarades seront libérés. Lui sera décapité le 10 septembre à Cologne dans la prison de Klingelpütz.

Mais, malgré la répression, le mouvement de contestation est lancé et touche l’aciérie de Differdange, les professeurs, les agents de la Poste, les paysans qui refusent de livrer leurs produits, les commerçants qui ferment boutique… En réaction, la Gestapo organise des rafles la nuit, fusille des otages et déporte leur famille dans les camps de concentration.

Au total, 21 Luxembourgeois, en comptant Hans Adam, sont exécutés durant cette période. Selon les chiffres donnés par le gouvernement luxembourgeois, presque 200 personnes furent arrêtées, dont 83 furent traduites devant le tribunal d’exception, puis remises à la Gestapo. Deux cent quatre-vingt-dix jeunes lycéens, garçons et filles, 40 apprentis de l’ARBED, sept jeunes postiers (tous mineurs) furent arrêtés et transférés en Allemagne dans des camps de rééducation.

De nombreuses familles luxembourgeoises durent quitter le pays pour être déportées en Silésie et dans le pays des Sudètes (4 000 personnes). Edmond Goergen, quant à lui, continuera d’informer la Résistance et les Alliés depuis l’émetteur de Junglinster. Il transmettra notamment des informations de première main sur la préparation des fusées V2 nazies à Peenemünde.

Le 14 décembre 1943, il est démasqué et arrêté par la Gestapo. Il sera interné successivement à Hinzert, au camp de Sachsenhausen et au camp de Mauthausen. Il survivra à ces épreuves. Il deviendra conservateur du service des Sites et des Monuments nationaux. Il sera aussi un artiste peintre reconnu et obtiendra la médaille de la société des artistes français, le prix Grand-Duc-Adolphe et le Kaiser Lothar Preis. Il s’est éteint le 28 avril 2000 à Luxembourg.

Malgré la violente répression qui s’est abattue en cette fin d’année 1942 sur le peuple luxembourgeois, le pays a tenu bon. Le sacrifice a été terrible, mais grâce à cette grève générale, l’enrôlement forcé a pu être évité à une partie de la jeunesse luxembourgeoise. Ailleurs, dans les régions annexées, de très nombreuses classes d’âge ont été concernées par l’élargissement de cet enrôlement forcé au fil de la guerre (comme en Alsace, par exemple).

Au Grand-Duché, l’occupant n’a pas insisté de peur d’une nouvelle grève, même si de très (trop) nombreux jeunes Luxembourgeois n’ayant pu fuir ont dû se battre sous l’uniforme honni.

Laurent Duraisin

* Source : La Dernière Guerre, une épopée de la Résistance, un ouvrage du Colonel Rémy.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.