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Pesticides : un plan au rabais ?


Des paroles, mais peu d'actions : les associations se disent déçues par le programme national de lutte contre les pesticides. (photo AFP)

Manque d’ambition, objectifs confus, réforme tardive… Natur&ëmwelt et Greenpeace Luxembourg ne sont pas tendres avec le nouveau plan d’action contre les pesticides. Leurs critiques, point par point.

Le Luxembourg tarde à agir contre les pesticides, estiment les deux associations. Elles déplorent notamment que le programme national de réduction des pesticides ne prévoie ni objectifs quantifiables ni échéances pour réduire les risques de ces produits controversés.

« Oui, on est déçu, et frustré. Car ce plan ne tient pas compte de nos revendications exprimées il y a déjà deux ans. Le gouvernement n’a pas pris sa responsabilité de proposer un plan ambitieux et courageux, pour réduire les risques sur la santé humaine et l’environnement. Les lobbys des pesticides n’ont pas de soucis à se faire », raille Lea Bonblet, de natur&ëmwelt.

Jeudi, l’association s’est associée à Greenpeace Luxembourg pour faire un point sur le nouveau plan d’action produits phytopharmaceutiques – programme luxembourgeois de réduction des pesticides (PRP).

Présenté début mai par le gouvernement, il vise à transposer au Luxembourg une directive européenne de 2009 ( lire ci-dessous ). Mais ce retard n’est qu’un des éléments qui font fulminer les deux associations…

Manque d’ambition

«En général nous constatons que le manque d’ambition que nous avons déjà relevé il y a deux ans persiste dans le plan actuel», estiment-elles. «Les mesures n’envisagent pas plus qu’une faible réduction des produits utilisés au lieu de viser leur substitution. La plupart des points du PRP ne revendiquent rien d’autre que le strict minimum demandé par la directive. Ne citons que l’absence, toujours et encore, de l’interdiction d’utilisation [de ces produits] par des non-professionnels, interdiction qui aurait été une amélioration substantielle.»

Les associations saluent, par contre, «des restrictions introduites depuis la version de 2014, comme le passage de la pente minimale de 10 à 20 % pour pouvoir demander une autorisation de pulvérisation aérienne.»

Surveiller et agir

Pour bien agir, il faut savoir de quoi on parle. Voilà pourquoi les associations avaient demandé, en 2014, une extension de la surveillance des biotopes concernés par les pesticides, afin de pouvoir définir des objectifs précis de réduction.

Sur ce point, elles saluent que le nouveau PRP prévoit un état des lieux sur les impacts sur l’environnement. Néanmoins, elles rappellent que certaines substances retrouvées dans l’eau, qui sont interdites comme produits phytopharmaceutiques, sont toujours utilisées comme composants de peinture (par exemple le diuron). «Ceci montre l’importance d’étendre le champ d’application du PRP sur les biocides en général le plus vite possible. Malheureusement le PRP reste très vague sur ce point.»

Bon appétit !

Les résidus dans les denrées alimentaires produites au Luxembourg doivent également être pris en considération, avertissent-elles. Selon un rapport du ministère de la Santé, 45 % des échantillons de denrées alimentaires analysés au Luxembourg présentaient des résidus de pesticides. «Mais dans aucun cas la concentration maximale d’une substance autorisée n’a été dépassée.»

Selon le même rapport, dans plusieurs échantillons, «des contaminations multiples de résidus de pesticides ont pu être constatées, entre autres dans les pommes, les pêches, les laitues, le poivron et les fraises. Malheureusement les contaminations multiples ne sont pas indiquées pour chaque échantillon.» Les associations demandent donc que tous les résultats détaillés des analyses des échantillons alimentaires soient publics. Car cette contamination multiple serait encore sous-estimée, alors qu’elle implique par exemple des substances à effet hormonal. «Ainsi il serait logique d’établir pour les denrées alimentaires des valeurs limites pour la somme de plusieurs pesticides, comme c’est le cas pour l’eau potable.»

Et d’exiger «la réduction conséquente de la contamination par les pesticides des produits agricoles produits au Luxembourg.»

Le grand flou

Pour combattre les pesticides, il faut aussi savoir combien entrent au Luxembourg, et combien sont utilisés. Or les deux associations indiquent être «fortement déçues que les statistiques de la vente et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ne soient toujours pas transparentes». Dans ces conditions, difficile de réaliser un PRP efficace, notent les associations, pour qui l’exclusion des chiffres concernant les semences enrobées rend en particulier les «statistiques inexactes, puisque les produits utilisés à cette fin sont principalement des néonicotinoïdes, substances à propriétés systémiques classées comme très dangereuses».

Comme les données relatives à un certain nombre de substances actives tombent, selon le ministère, sous les règles de la confidentialité, elles ne sont pas divulguées, notent Greenpeace et natur&ëmwelt. Quelques données sont néanmoins publiées par Eurostat ( voir encadré ).

Conclusion

Finalement, concluent les associations, «la structure du PRP proposée reste confuse, sans préciser clairement les objectifs et mesures concrètes à mettre en place afin de réduire ou supprimer l’usage de produits phytopharmaceutiques.»

Les associations espèrent donc que le gouvernement va prendre en compte leurs critiques. « Il va y avoir une consultation publique, jusqu’à la fin du mois. Puis le ministère devrait retravailler son plan d’action. Une fois encore », déplore Lea Bonblet.

Romain Van Dyck

Une longue bataille

Une directive européenne de 2009 exige des États membres qu’ils élaborent des plans d’action nationaux relatifs à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Le Luxembourg aurait dû adopter dès 2011 une loi pour mettre en œuvre cette directive. Or, en 2014, il n’existait toujours qu’un projet de loi, relatif aux produits phytopharmaceutiques. Il exigeait notamment que «le gouvernement adopte, après consultation des acteurs et du public, un plan d’action national pour fixer des objectifs, des mesures et des calendriers pour réduire les risques et les effets de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine et animale et l’environnement.»

Le ministère de l’Agriculture avait donc commissionné natur&ëmwelt en août 2014, dans le cadre d’une consultation publique, de revoir le plan d’action national (PAN 2014). En outre, lors de la remise de la pétition «Save the bees» en septembre 2014, il avait également invité Greenpeace Luxembourg à y participer. Un mois après, les deux associations ont donc soumis leurs remarques au ministre, et la loi relative aux produits phytopharmaceutiques fut adoptée en décembre 2014, représentant dès lors la transposition de cette directive européenne en droit luxembourgeois.

Restait à définir un plan d’action! Et il a donc fallu attendre jusqu’en mai 2016 avant qu’une nouvelle version du plan d’action pesticides, le programme luxembourgeois de réduction des pesticides (PRP), soit publiée par le ministère… sans convaincre Greenpeace et natur&ëmwelt, visiblement!

???

Non, ce n’est pas une erreur. Ces points d’interrogation correspondent aux chiffres de ventes des produits phytopharmaceutiques, dont beaucoup tombent sous les règles de la confidentialité.

Grâce à Eurostat, quelques données sont néanmoins connues.

Herbicides : 83 tonnes (2013)

Fongicides et bactéricides : 91 tonnes (2012)

Molluscicides : 2,3 tonnes (2013).

Pour ce qui est des insecticides, acaricides ou encore des régulateurs de croissance, les données restent confidentielles, déplorent les associations.

Attention, toxique

Les pesticides sont des substances chimiques destinées à tuer des organismes vivants. À côté des effets recherchés, ils exercent des incidences multiples sur l’environnement et sur la santé humaine, en persistant dans l’air, l’eau et le sol et en y produisant des effets toxiques.

Ainsi, au niveau du sol, l’action de la plupart des pesticides n’est pas sélective, c’est-à-dire qu’ils éliminent à la fois des organismes jugés nuisibles ou indésirables, mais aussi d’autres organismes inoffensifs, voire bénéfiques.

Quant à l’homme, son corps est pratiquement incapable de dégrader les pesticides, qui s’accumulent donc dans les tissus adipeux, le sang et dans le lait maternel. Ils peuvent provoquer des troubles du développement et du comportement et dégradent le patrimoine héréditaire.

À noter qu’en matière de lutte contre les pesticides dans les communes, le Luxembourg va tout de même dans le bon sens. «Environ deux tiers des communes se sont engagées à réduire une partie ou 100 % des pesticides sur leur territoire», rappelait l’an passé la ministre Dieschbourg. Soit une vingtaine de communes qui ont banni les pesticides, et 50 qui ont déjà réduit leur utilisation. Une tendance qui doit s’accentuer, car l’objectif, à terme, est bien sûr d’arriver à 100 % de communes sans pesticides.

Un commentaire

  1. on se rend compte de pus en plus que les risques induits par l’exposition directe et/ou indirecte aux pesticides ont des effets marquants sur la fréquence de certains cancers, les maladies neuro-dégénératives et le développement fœtal : La prévention des risques des pesticides : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/risque-chimique/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=69&dossid=506

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