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Procès LuxLeaks : le silence du fonctionnaire luxembourgeois


Guy Heintz à son arrivée au tribunal d'arrondissement, ce vendredi matin. (photo Hervé Monatigu)

Marius Kohl ayant fourni un opportun certificat médical pour justifier son absence au procès LuxLeaks, la défense du lanceur d’alerte Antoine Deltour a cité comme témoin, ce vendredi, son supérieur hiérarchique, Guy Heintz, directeur de l’administration fiscale luxembourgeoise. Lequel s’est réfugié derrière le secret professionnel dans une séance de questions-(sans) réponses assez surréaliste, faisant le procès de la bienveillance grand-ducale envers l’optimisation fiscale aussi agressive que massive des multinationales.

Sa venue était incertaine. Mais Guy Heintz a bel et bien franchi le pas du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, vers 8h50 ce vendredi, au 4e jour du procès LuxLeaks. Le directeur de l’Administration des contributions directes avait été cité la veille en urgence par Me Philippe Penning, l’avocat du lanceur d’alerte Antoine Deltour. Objectif : pallier l’absence de Marius Kohl qui, pendant vingt ans jusqu’à sa retraite en 2013, était le responsable du bureau Sociétés 6 chargé de vérifier les rescrits fiscaux révélés dans l’affaire LuxLeaks.

C’était sans compter sur la détermination de Guy Heintz à garder le silence. « Je me demande pourquoi je suis convoqué comme témoin. Je ne suis pas à même de révéler ce dont j’ai pris connaissance par ma fonction », prévient-il d’emblée. Et d’invoquer sa triple obligation de secret professionnel, secret fiscal et secret du fonctionnaire.

« Est-ce que d’une façon générale la question des tax rulings tombe sous votre secret professionnel ? », tente d’abréger ausssitôt le président de la chambre correctionnelle, Marc Thill. « Je pense que oui », verrouille M.Heintz.

Des questions en rafale

Se heurtant à un double mur, Me Penning ne se démonte pas :  «M. Heintz, vous êtes devant un tribunal, vous n’êtes pas obligé de vous cacher derrière votre secret. M. le président, je poserai toutes mes questions. Je ne peux pas évaluer à l’avance si elles tombent dans son petit secret.» Et de démarrer une interminable rafale, prolongée par les avocats d’Edouard Perrin et de Raphaël Halet :

« Combien de rulings étaient traités ? » – « Sur quels critères étaient-ils accordés ? » – « S’agissant de documents très complexes, comment le bureau 6 faisait-il pour les valider dans la journée ? » – « Étiez-vous au courant que cela permettait aux multinationales de ne pas payer d’impôt ? » – « Vos services respectent-ils la directive sur l’échange spontané des rulings ? » – « Les rulings étaient-ils tous légaux ? » – « Existait-il des cas où les rulings étaient refusés ? »… « Les pertes fiscales pour les autres États européens sont évaluées à près de 70 milliards d’euros, que pensez-vous de ce chiffre ? »…

Le fonctionnaire sera ainsi assailli d’une bonne trentaine de questions sur la façon dont l’administration luxembourgeoise traite les tax rulings. « Je ne peux pas répondre publiquement », se borne à chaque fois Guy Heintz, se contentant de décrire son rôle général : «veiller à ce que les lois, règlements et circulaires soient appliqués par les différents services fiscaux». Le président Thill vole régulièrement au secours du fonctionnaire : « Vous n’avez pas à répondre à toutes ces questions, M. Heintz. »

Une façon de renverser le procès

Un peu plus tard, Me Bernard Colin livrera quelques éclaircissements sur le traitement des rulings en interrogeant son client Raphaël Halet.

Si l’audition du témoin s’est révélée en elle-même inutile, elle aura montré toute la virulence de la ligne de défense des deux lanceurs d’alerte et du journaliste inculpés pour vol de données chez PwC. Une façon pour leurs avocats de renverser le procès et d’accuser à leur tour les tenants d’un système organisant dans le secret une évasion fiscale de masse.

Une virulence à la hauteur de l’indignation suscitée par l’affaire LuxLeaks parmi les citoyens européens. Comme le montrent les 185 000 signatures de la pétition de soutien à Antoine Deltour, déposées quelques minutes avant par son avocat. En juin 2015, le lanceur d’alerte a reçu le Prix du citoyen européen par le Parlement basé à Strasbourg.

Sylvain Amiotte

2 plusieurs commentaires

  1. De deux choses l’une: ou bien les rulings étaient légaux, ou pas. S’ils l’étaient, ce procès juge un voleur un point, c’est tout.
    Maintenant, si les rulings soulèvent des problèmes, il appartient au législatuer, national ou européen de fixer de nouvelles règles, POUR L’AVENIR.

    • Le taux d’impôt est de 29,5 % au Luxembourg ( soit plus ou moins comme dans les pays développés occidentaux sauf en Irlande de 12,5 % ).
      Or avec ses rulings, les taux appliqués via le cabinet de fraude PWC , étaient de 1 à 4 %.

      Comment peut on encore se poser la question de savoir si ces rulings donnés à ces multinationales multimillionnaires étaient t légaux?

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