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Kiemerchen : du fer aux fleurs


Pour Tiago de Sousa (à g.) et Christian Berg, ces anciennes carrières sont désormais un vrai trésor biologique. (Photo : Romain Van Dyck)

Après le temps du fer et du calcaire, voici celui des orchidées et des papillons! Situé à la frontière entre Differdange et le voisin français, la réserve Kiemerchen abrite désormais une faune et une flore rares.

Enfant, Christian Berg était le roi de ces lieux. «J’habitais à côté, à Differdange, et dès que je le pouvais, je venais jouer dans la nature. Je voulais tout le temps être dehors. On jouait dans la forêt, on construisait des cabanes sous ces rochers. C’était notre territoire.»

Un territoire marqué par le passé sidérurgique du Luxembourg. «À l’époque, il y avait beaucoup moins de végétation. C’était un territoire lunaire.» Qui rime avec fer : «Il y avait ici une carrière à ciel ouvert. Mais avant d’atteindre le fer, on trouvait d’abord le calcaire. Comme celui-ci ne valait pas grand-chose, on le mettait de côté, ce qui a fini par former ces buttes que vous voyez à côté de la route.»

Désormais, Christian, du haut de ses 43 ans, ne reconnaît plus la réserve Kiemerchen. Et c’est tant mieux!

Si nous sommes toujours sur les terres d’ArcelorMittal, qui a autorisé la protection du site, l’exploitation de la carrière est terminée : «Le minerai contenait 20 % de fer. Pas assez rentable par rapport au minerai étranger», précise-t-il.

L'Orchis incarnat, une espère rare d'orchidée qui a la chance de pouvoir s'épanouir dans la réserve (Photo : Jeannot Braquet)

L’Orchis incarnat, une espère rare d’orchidée qui a la chance de pouvoir s’épanouir dans la réserve (Photo : Jeannot Braquet)

La nature, qui a horreur du vide, s’est donc chargée de métamorphoser les lieux. Le promeneur distrait ne remarque plus les buttes de calcaire, colonisées par des forêts primaires. «Ici, on ne plante rien, ce sont des forêts de régénération naturelle. Les hêtraies poussent grâce au calcaire, mais on trouve aussi des merisiers, frênes, érables, hêtres, chênes…», énumère-t-il.

Des orchidées «made in Lux»

Plus loin, les friches sont désormais recouvertes d’un riche tapis végétal, que nous visitons donc en compagnie de Christian Berg, qui est désormais préposé de l’administration de la Nature et des Forêts à Differdange. Quant au terrain de jeu de son enfance, il fait maintenant partie des «zones protégées d’intérêt national à déclarer» (lire ci-contre).

Car on y trouve quelques raretés : «Lorsque le projet de réserve est né, il y a eu un combat entre les tenants d’une renaturation totalement sauvage, où l’homme ne devait rien faire, et ceux qui voulaient intervenir pour protéger certaines espèces, notamment la population unique d’orchidées. Et ce sont ces derniers qui ont eu gain de cause.»

Attention, il ne s’agit pas de ces orchidées tropicales qu’on trouve souvent chez le fleuriste, mais d’orchidées d’Europe. Moins décoratives peut-être, mais «made in Lux»!

Parmi ces orchidées rares, on trouve notamment l’Orchis incarnat, découverte par un certain Josy Cungs, et qui appartient à la liste d’espèces en danger critique d’extinction. Ou encore l’Ophrys abeille, également menacée. Pour les aider à pousser, des coupes d’arbres sont réalisées chaque année.

Dans cette réserve, chaque visite peut réserver des surprises. Alors qu’on se promène au milieu des broussailles, Christian s’arrête soudainement. C’est une petite tache rose qui lui fait écarquiller les yeux : «Tiens, c’est une Petite-centaurée commune.» Contrairement à son nom, c’est une fleur rare, et protégée, car classée «vulnérable». «En voilà d’autres. Elles sont en train de se disperser. C’est bien!»

«La nature nous rapporte beaucoup»

La faune n’est pas en reste. Les papillons trouvent dans ces prairies semi-humides le gîte et le couvert. Ce jour-là, on aperçoit un Cuivré fuligineux, en danger d’extinction.

Abeilles solitaires, chats sauvages, lézards des murailles se partagent également les lieux, tout comme les chauves-souris, qui se plaisent évidemment dans les galeries qui affleurent ça et là. Des éboulements sont d’ailleurs assez fréquents. Certains points d’eau accueillent des crapauds calamites, peu fréquents au Grand-Duché.

Bref, la nature reprend ses droits, se réjouit Tiago De Sousa, chargé d’étude à l’administration de la Nature et des Forêts.

Ce spécialiste des espèces invasives rappelle que l’homme est certainement la plus invasive de toutes : «Il faut une place pour les gens, mais aussi une place pour la nature! Car on en dépend. La nature nous rapporte beaucoup, en régulation de l’eau, du climat, sans oublier les beaux paysages dont le Luxembourg est fier. Mais ici, au sud, on a un problème de fragmentation des espaces naturels. Les paysages sont coupés par des autoroutes, des villes, etc. Or beaucoup d’espèces, comme les papillons, ont besoin d’espace.»

On lui demande si l’homme est le mieux outillé pour faire renaître cette réserve : «Normalement, la nature fait mieux que nous… mais cet environnement a été dérégulé. Maintenant, l’homme doit rattraper ses erreurs.»

Romain Van Dyck

Réserve : Kiemerchen/ Scheiergronn/Groussebësch

Commune : Differdange

Superficie : 178 hectares

Intérêt écologique : Ces anciennes zones minières disposent de zones forestières et humides propices au développement d’espèces rares. C’est le cas notamment d’orchidées et de papillons actuellement en voie de disparition.

Classement : «C’est en 2016, lors du 2e plan de protection de la nature, que la décision de proposer cette zone en réserve naturelle a été prise. Mais déjà en 1981, un screening national des zones potentielles de réserves avait été fait, qui incluait celle-ci», explique Christian Berg. Qui est confiant : «Je sais que cette réserve est prioritaire, à cause de la rareté des orchidées et des papillons.» Le dossier de classement étant déjà finalisé, la concrétisation pourrait intervenir dans les prochains mois, espère-t-il.

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