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« Letters from Luxembourg » : paroles de réfugiés


Sylvia Camarda et Serge Tonnar entourés de réfugiés et résidents du Grand-Duché. Un duo pour qui les mots intégration, bienveillance et solidarité ne sont pas vains. (Photo Isabella Finzi)

Imaginé et coordonné par le duo Tonnar-Camarda, «Letters from Luxembourg», nouveau projet artistique mêlant réfugiés et résidents, se veut comme un espace d’expression et d’intégration qui combat les clichés persistants.

L’ambiance est bon enfant, mais le travail, appliqué. Au cœur du Grand Théâtre, c’est un généreux patchwork, fait de réfugiés et de résidents luxembourgeois, qui s’active, corps tordus, sourires aimables. D’ici la fin du mois, ils seront sur scène pour «Letters from Luxembourg», spectacle hybride tout en musique et danse, articulé autour de lettres réelles ou fantasmées écrites par ces exilés de force. Un travail basé sur l’échange et la bienveillance et permis par Serge Tonnar et Sylvia Camarda, duo mobilisé face aux errances et à la tristesse de peuples déracinés. Ils racontent l’initiative et pourquoi elle est si importante en ces temps d’exclusion.

Dans quelle mesure, et avec quelle force, avez-vous été marqué par la récente crise migratoire ?

Serge Tonnar : Un peu comme tout le monde. Mais on a essayé de réagir assez rapidement et de faire quelque chose avec nos moyens, histoire que ça ne pose pas un problème ou un cas de conscience. Personnellement, j’ai créé une association avec laquelle on monte des projets interculturels avec les réfugiés et les Luxembourgeois ensemble. Sylvia est vite venue à mon secours et a mis en place des ateliers de danse dans des foyers. C’est là que notre collaboration a débuté.

Sylvia Camarda : Oui, réfléchir à des idées pour accueillir au mieux cette population était vraiment une nécessité. J’ai été bouleversée, même choquée, comme beaucoup, par l’image, il y a de ça un an, du bébé mort de noyade. Après les horreurs qu’avaient traversées ces gens, il fallait leur tendre la main. Qu’ils retrouvent une certaine joie et fassent des rencontres. Déjà, ça n’est jamais évident d’arriver dans un pays dont on ne connaît rien. Alors, dans leur situation…

Vous avez réagi ensemble avec la chanson Mir wëllen iech ons Heemecht weisen et son clip. Êtes-vous satisfaits de l’écho qu’ils ont eu ?

S. T. : Oui, absolument. L’association porte d’ailleurs le même nom (NDLR : que l’on traduit par «nous voulons vous montrer notre pays»). C’est à partir de cette chanson qu’on a commencé à développer des projets en dehors des foyers. Le clip était une première étape. La pièce en est une autre, d’une plus grande envergure. C’est une continuité. Pour preuve, certaines personnes figurent dans les deux projets.

S. C. : Ce qui est intéressant, c’est la controverse qui naît de ces idées. Certains aiment, d’autres s’en offusquent. Politiquement, on est dans une période où les gens se lâchent, disent ce qu’ils pensent, autant dans le positif que dans le négatif. Mais c’est toujours utile de susciter des discussions. Après, vis-à-vis des réactions haineuses, on n’est pas surpris. On sait très bien que le sujet est délicat.

En quoi cette nouvelle collaboration s’est-elle imposée ?

S. C. : Les préjugés ont la peau dure, vous savez. Et il est nécessaire, pour les combattre, de sortir les réfugiés des centres d’accueil, de les mélanger à la société. C’est une question de sensibilisation. On est tous pareils à l’intérieur. C’est ça qu’il faut montrer et défendre.

S. T. : On essaye là de leur donner la parole, et le théâtre est un lieu idéal pour cela. Il faut que les gens comprennent ce qu’ils ont à dire. Et l’art est l’un des meilleurs vecteurs pour ça. Et puis, à travers cette pièce, notamment, on leur donne de quoi s’occuper, histoire qu’ils sortent de la routine des centres d’accueil. Professionnellement, ils s’activent, sont en mouvement, de surcroît au milieu de résidents. C’est un échange ! Je ne veux pas faire quelque chose pour les réfugiés, mais avec eux et au milieu d’autres personnes. La société entière devrait suivre ce mouvement.

« Letters from Luxembourg » a démarré quand et comment ?

(D’une même voix) On a réfléchi à la chose dès janvier.

S. T. : Comme on avait des contacts avec les structures d’accueil et les organisations qui les encadrent (ASTI, Croix-Rouge, Caritas…), on a fait un appel à projets, qui s’est poursuivi sur les réseaux sociaux pour toucher les résidents. Les deux mondes se sont rencontrés comme cela.

S. C. : Parmi les résidents, on ne trouve d’ailleurs qu’une Luxembourgeoise ! Cette assemblée, d’une vingtaine de personnes, est à l’image du pays, très mixte, avec de nombreux pays représentés (Italie, Portugal, Canada, Cap-Vert, Angleterre…).

L’objectif de cette pièce est-il d’offrir une photographie du Luxembourg tel qu’il est perçu aujourd’hui par ceux qui y vivent et par les réfugiés ?

S. T. : C’est plutôt une photographie de ce que ça pourrait être ! C’est une évolution, une projection d’un peuple qui réinvente son histoire. Cette question des réfugiés, elle est actuelle, mais dans 100 ans, elle n’aura plus lieu d’être, car ce seront tous des Luxembourgeois ! Avec ce travail, on essaye de montrer comment ça pourrait fonctionner. Attention, ce n’est pas un mode d’emploi, mais quelque chose d’imagé et d’abstrait.

En quoi la lettre, dans ce sens, est-elle un symbole ?

S. T. : (il réfléchit longuement) On avait la musique, la danse, mais il fallait trouver une idée de base pour le texte. Pour la plupart, ces réfugiés sont tous éloignés de leur famille, d’où l’idée de cette correspondance, qui peut prendre la forme d’e-mails, ou de conversations par téléphone ou sur les réseaux sociaux. C’est par ces biais qu’ils se racontent, décrivant leur situation à l’heure d’aujourd’hui au Luxembourg. Quelque chose de très personnel, avec leurs propres mots, dans leurs propres langues.

S. C. : L’intéressant dans la lettre est que l’expéditeur sera toujours du Luxembourg, peu importe où elle va après. On peut même écrire à Dieu, comme quand on est petit et que l’on envoie une lettre au père Noël. Les possibilités sont infinies ! Et c’est surtout un partage avec la personne qui va la recevoir.

Dans « Letters from Luxembourg », les réfugiés sont impliqués de A à Z dans le processus de création (production, décor, costumes…). Cette pièce, si elle crée un espace d’expression, offre aussi un espace d’intégration. Est-ce une notion incontournable ?

S. C. : Au-delà de l’aspect artistique de notre travail, nous essayons de redonner à chacun son métier. Chacun vient ici avec ses divers bagages, ses connaissances, et on le pousse dans une direction qui lui convient le mieux. C’est un spectre de couleurs énorme.

Qu’attendez-vous, finalement, de ce spectacle ?

S. C. : Qu’il touche la population. (Elle prend alors un ton ironique) Plutôt que de critiquer ce qui nous arrive avec ces étrangers qui s’installent chez nous et volent notre argent, il faudrait faire un effort de mémoire et se rappeler les différentes vagues d’immigration, et toute la richesse que cela a apporté au Luxembourg. Peut-on aujourd’hui imaginer une société sans immigrés ? Je ne pense pas. Alors pourquoi sortir encore et encore les mêmes rengaines dans les mêmes situations. Il est plus que temps d’apprendre du passé !

S. T. : J’espère que l’on apportera un exemple que d’autres copieront, reprendront, dans d’autres domaines, secteurs. Chacun peut donner, car on reçoit énormément. Surtout ici, au Grand-Duché.

Entretien avec Grégory Cimatti

Théâtre des Capucins – Luxembourg. Les 28 et 30 juin, ainsi que les 1er, 3 et 6 juillet.

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