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Panama Papers au Luxembourg : la CSSF réclame des comptes aux banques


"Recourir à une structure légale ne suffit plus pour justifier une opération", affirme Claude Marx, directeur de la CSSF, à nos confrères du Jeudi. (photo archives LQ)

La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) n’en fait pas publicité. Mais à la suite des révélations des Panama Papers, le gendarme de la Place luxembourgeoise a fini par demander aux banques de lui fournir des informations sur leurs activités offshore. Aider les gens à frauder n’est pas acceptable, affirme son directeur.

La première réponse officielle de la CSSF était très convenue. Un communiqué diffusé le 5 avril, au lendemain des révélations : «La CSSF a pris note des Panama Papers (…). La CSSF continuera à demander aux banques luxembourgeoises et aux fonds d’investissement de respecter strictement leurs obligations professionnelles.»

Circulez, y a rien à voir ? Pas si sûr. Derrière cette indifférence de façade, le gendarme financier luxembourgeois semble prendre très au sérieux le fait que de nombreux acteurs de la Place – à commencer par la BIL et la Société Générale Bank & Trust – soient impliqués dans le montage de ces milliers de sociétés offshore à des fins de dissimulation fiscale. Il eut été à la fois étonnant et dommageable que la CSSF n’imite pas ses homologues français ou britannique.

Ainsi, le 6 avril, au lendemain de son communiqué, la CSSF a adressé un courrier aux banques du pays pour leur demander de recenser les sociétés offshore qu’elles ont créées pour leurs clients, particulièrement avec le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, mais pas seulement au Panama. Sont notamment dans le viseur de la Commission les établissements qui ont adhéré en 2012 à la charte ICMA, code de bonnes pratiques en matière de gestion de patrimoine.

« La légalité ne suffit plus »

Une charte qui comporte un engagement d’intégrité très clair : « Ne rien faire qui puisse aider les gens à frauder les administrations fiscales », comme le rappelle Claude Marx, directeur de la CSSF, interrogé par nos confrères du Jeudi. « Nous voulons savoir si cet engagement a été respecté et comment s’opère concrètement la déclaration des avoirs de ces structures. »

Pour le nouveau directeur de la CSSF, l’argument de la légalité des montages offshore, brandi comme une barricade par le ministre des Finances Pierre Gramegna et l’Association des Banques et Banquiers du Luxembourg (ABBL), ne suffit plus : « Recourir à une structure légale ne suffit plus pour justifier une opération. Il faut désormais avoir cela à l’esprit : le légalité ne fait pas tout », affirme Claude Marx au Jeudi. Selon lui, il faut « s’assurer que ce qui est légal ici l’est également dans le pays de résidence du client et que celui-ci est en règle vis-à-vis de son administration fiscale ». Voilà des déclarations claires qu’il aurait été bon d’entendre dans la bouche du ministre des Finances.

Le silence de Pierre Gramegna tranche avec la vive réaction de son homologue français Michel Sapin, notamment vis-à-vis de la Société générale, alors même que la plupart des activités offshore de la banque sont opérées par sa filiale luxembourgeoise…

Si le Grand-Duché n’est plus un paradis fiscal, il lui reste à le prouver

L’image du Luxembourg est en jeu. L’offshore au service de la fraude fiscale est aujourd’hui pratiqué sans scrupules, et en toute connaissance de cause, par de nombreux acteurs de la Place luxembourgeoise, des banques aux cabinets d’avocats en passant par les fiduciaires. La CSSF aura-t-elle le soutien et le pouvoir nécessaires pour faire ce grand ménage ? Si cela n’est pas le cas, l’engagement du Grand-Duché en tant que « early adopter » des nouvelles normes de transparence fiscale se limitera à une campagne d’affichage, non suivie d’effets. Une simple opération de com’.

Gare alors au -brutal- retour de bâton. La récente sortie du pays de la liste grise des paradis fiscaux reste en effet très fragile. Et la révélation d’un nouveau « LuxLeaks » ou « Luxembourg Papers » sur les pratiques actuelles et futures de la place discréditerait durablement les bonnes intentions martelées ces deux dernières années auprès de l’UE et de l’OCDE. Si le Grand-Duché n’est plus un « paradis fiscal », il lui reste à en faire pleinement la preuve.

Avec ces « Panama Papers », la CSSF devra déterminer s’il s’agit d’un simple passif à solder, ou bien d’une survivance de – très nombreux ? – moutons noirs (et non des moindres à l’instar de la BIL). Gageons aussi qu’elle saura en faire la publicité et rompre avec la culture du secret et de la langue de bois, ce que ne laisse pas présager son communiqué du 5 avril. Sans doute un reflet contraint du silence du ministre des Finances.

Sylvain Amiotte

Panama Papers : les banques et intermédiaires luxembourgeois en première ligne

Quatre banques installées au Luxembourg apparaissent parmi les dix établissements les plus actifs dans la création de sociétés offshore, selon l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ainsi, parmi les plus de 500 banques qui ont enregistré près de 15 600 sociétés-écrans avec Mossack Fonseca, figurent Experta Corporate & Trust Services, Banque J. Safra Sarasin Luxembourg S.A., Société Générale Bank & Trust Luxembourg, et Landsbanki Luxembourg SA.

Experta est une filiale à 100% de la BIL, banque dont l’État luxembourgeois est actionnaire à 10% et dont l’ex-président Luc Frieden vient d’être nommé président. À elle seule, Experta a créé 1659 sociétés offshore. Elle est ainsi le premier acteur du scandale « Panama Papers ». À elles quatre, ces banques ont créé 3491 sociétés-écrans. Il y a fort à parier que la plupart d’entre elles ont abrité, au minimum, des fonds non déclarés.

L’ICIJ révèle aussi que 15 479 créations de sociétés offshore ont impliqué des intermédiaires luxembourgeois (avocats, fiduciaires…), en lien avec le cabinet Mossack Fonseca. Ce qui place le pays au 4e rang mondial.

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